Le blanchiment, la tentative de blanchiment et l’anti-blanchiment

Pour rappel, notre rubrique est consacrée à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Chaque édition aborde un autre thème pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent.

Appliquer la loi anti-blanchiment relève parfois de l’exercice du funambule. D’où le titre de notre rubrique…

Celle-ci se veut courte et lisible. Elle se veut également interactive, donc n’hésitez pas à nous soumettre vos questions à l’adresse blanchiment@avocats.be. Nous ferons le maximum pour y apporter une réponse claire.

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Tentons…d’y voir plus clair.

En droit pénal, la tentative est une notion bien connue et définie précisément à l’article 51 du Code pénal : « Il y a tentative punissable lorsque la résolution de commettre un crime ou un délit a été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime ou de ce délit, et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur ».

Autrement dit, la résolution criminelle est complète, le délit est sur le point de se commettre et seul un événement extérieur à la volonté de l’auteur empêche son exécution. A contrario, la seule pensée criminelle, la seule planification imaginée d’un délit n’est pas punissable1

La loi (articles 52 et 53 du Code pénal) prévoit que la tentative est toujours punissable pour le crime, et ne l’est pour un délit que si la loi le prévoit ; le peine est celle qui est immédiatement inférieure pour un crime, et elle sera précisée dans la loi pour un délit, au cas par cas.

Pour le délit de blanchiment, à savoir les comportements repris aux 2°, 3° et 4° de l’alinéa 1er de l’article 505 du Code pénal, la tentative est expressément incriminée à l’alinéa 8. 

Que les avocats soient des justiciables de droit commun, y compris au pénal, ne fait pas débat.

Pour ce qui concerne la loi préventive, à laquelle les avocats sont soumis dans le cadre de leur assujettissement partiel et modalisé, il faut se garder de confondre les concepts.

L’article 47, 2° de la loi du 18 septembre 2017 dispose que les entités assujetties doivent procéder à la déclaration à la CTIF lorsqu’elles « (…) savent, soupçonnent, ou ont des motifs raisonnables de soupçonner que des opérations ou des tentatives d’opérations sont liées au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme. Cette obligation de déclaration s’applique y compris lorsque le client décide de ne pas réaliser l’opération envisagée. »

Dans son arrêt 114/2020 du 24 septembre 2020, la Cour constitutionnelle a annulé, pour les avocats, l'article 47, §1er, 2°, seconde phrase (ici soulignée) de la loi du 18 septembre 2017. 

Aux considérants B.13 à B.18 de l'arrêt, la Cour retrace minutieusement le secret professionnel de l’avocat, et le fait coïncider avec la mission de conseil juridique de l'avocat, dans toute sa dimension (conseil, et défense en justice - voir spécialement B.16). Considérant que "les informations dont l’avocat a connaissance au sujet d’une opération ou d’une tentative d’opération suspecte que son client, sur ses conseils, renonce à exécuter, sont connues de l’avocat dans le cadre de l’exercice de son activité de conseil juridique" (point B.17), la Cour en déduit qu'elle sont couvertes par le secret et qu'il échet d'annuler l'obligation de déclaration dans cette hypothèse. 
Ce qui est essentiel ici, c’est de comprendre que le sens du mot « tentative » dans l’article 47 de la loi préventive BC/FT n’est pas identique à sa définition en droit pénal général. La personne qui « décide » de ne pas commettre une infraction, qu’elle obéisse à sa conscience, à sa peur d’être punie, ou au conseil avisé de qui que ce soit, ne commet pas une tentative punissable au sens de l’article 52 du Code pénal.

Mais la loi préventive n’est pas une loi pénale, et ses concepts peuvent s’éloigner de ceux qui sont à l’œuvre dans une loi répressive. Le but de la loi préventive est d’empêcher l’entrée de capitaux douteux dans l’économie du pays, et de priver ceux qui tentent de le faire de l’aide de professionnels efficaces. Il est difficile de contester la légitimité de cet objectif.

Il est dès lors particulièrement heureux que la Cour constitutionnelle poursuive la ligne générale de sa jurisprudence contenue dans l’arrêt 10/2008 du 23 janvier 2008 :

B.7.2 […] les informations connues de l’avocat à l’occasion de l’exercice des activités essentielles de sa profession, y compris dans les matières énumérées dans cet article 2ter [aujourd’hui 5, §1, 28°], à savoir la défense ou la représentation en justice du client et le conseil juridique, même en dehors de toute procédure judiciaire, demeurent couvertes par le secret professionnel et ne peuvent donc pas être portées à la connaissance des autorités et que ce n’est que lorsque l’avocat exerce une activité, dans une des matières énumérées à l’article 2ter précité, qui va au-delà de sa mission spécifique de défense ou de représentation en justice et de conseil juridique, qu’il peut être soumis à l’obligation de communication aux autorités des informations dont il a connaissance »

B.13.5. L'avocat qui, s'étant efforcé de dissuader un client d'accomplir ou de participer à une opération de blanchiment ou de financement du terrorisme dont il connaît l'illégalité, constate qu'il a échoué dans cette entreprise, est tenu, s'il se trouve dans une hypothèse dans laquelle l'obligation de communication s'applique à lui2, de transmettre les informations dont il a connaissance au bâtonnier, qui les transmettra à son tour aux autorités. Dans ce cas, l'avocat concerné ne peut continuer à agir pour le client en cause et doit mettre fin à la relation qui le lie à ce dernier. Il n'y a donc plus lieu, dans ce cas, de parler de relation de confiance entre l'avocat et son client. Par contre, si l'avocat constate qu'il a persuadé son client de renoncer à exécuter une opération illégale ou à y participer, rien ne s'oppose à ce que la relation de confiance entre l'avocat et son client soit maintenue puisque, dans cette hypothèse, il n'y a pas lieu de communiquer des informations à son sujet à la Cellule de traitement des informations financière. Compte tenu du champ d'application limité de l'obligation de transmission des informations aux autorités qui s'impose aux avocats, interprétée ainsi qu'il est dit en B.9.6, la mesure attaquée n'est pas disproportionnée. 

Cette jurisprudence équilibrée et respectueuse d’une hiérarchie des normes compatible avec un Etat de droit moderne est plus précise et convaincante, pour les avocats, que la seule lecture de la fin de l’article 53 de la loi préventive qui prévoit les exceptions à l’exception de secret professionnel pour les entités visées à l’article 5, 23° à 28°, à savoir les avocats mais aussi les notaires, les huissiers et les professionnels du chiffre. 

Dissuader pour ne pas dénoncer ? C’est un slogan efficace, un peu réducteur certes3, et une pratique à encourager.

André Risopoulos,
Avocat au barreau de Bruxelles et membre de la commission anti-blanchiment d'AVOCATS.BE

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1 Souvenons-nous de l’inénarrable Jimmy Carter, président des Etats-Unis en exercice, qui rappelait à l’occasion d’une interview que penser à l’adultère était déjà pécher…la justice divine n’est pas celle de ce bas monde.

2 En tenant donc compte de l’exception de l’article 53, protégeant dans une certaine mesure le secret professionnel des entités visées à l’article 5,23° à 28°.

3 Dissuader pour ne pas dénoncer…lorsque l’avocat est sorti du périmètre strict ‘défense-représentation en justice-conseil juridique au sens large’, puisque dans ce périmètre, l’obligation de déclarer un soupçon est inexistante.

A propos de l'auteur

André
Risopoulos
Avocat au barreau de Bruxelles

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