Vendredi 2 décembre
A Mons, respectant ainsi une tradition bien ancrée remontant à l’immédiat après-guerre (40-45), c’est par l’hommage à Maître Paul CAVENAILE que débute la rentrée.
Notre bâtonnier, Maître Bernard POPYN, rappela que notre confrère mourut en février 1945 dans le camp de concentration de Mauthausen, pour avoir défendu la liberté, conscient du risque suprême qu’il prenant pour sa vie.
C’est un moment fort, chargé d’émotion et de lucidité au moment où, plus que jamais, nos libertés sont fragiles face aux tentatives d’en rogner les ailes pour de bien bas prétextes d’économies budgétaires.
Il est de notre devoir de nous indigner et de hausser le ton en nous serrant les coudes.
Samedi 3 décembre
Le déjeuner à la Table du Boucher, rue d’Havré est devenu une institution fort appréciée de tous les barreaux du pays.
Les huîtres nous iodent en abondance dans une ambiance joviale et bruyante où se retrouvent le Jeune Barreau, leurs anciens Présidents et ceux du pays, les anciens bâtonniers, les représentants d’avocat.be et les bâtonniers des barreaux conviés à la fête.
Nous eûmes même droit, oh surprise, à la visite de Saint Nicolas qui distribua les bons et mauvais points…
Ainsi le grand Saint se montrant ainsi bien binaire …
Quelle belle transition pour rejoindre la Salle des Pas Perdus des Cours de Justice et le discours qui nous attendait.
En effet, l’orateur du jour (qu’elle préfère à « oratrice » qui lui fut servie à toutes les sauces) n’en avait ni plus ni moins fait le titre de son discours : « BINAIRE ! ».
Maître Ambre Biefnot nous invita, tout sourire, à la suivre dans son cheminement.
Une escapade lucide et fouillée au pays des idées simples et tranchées de leur corollaires : les positions.
Mais elle prévient : « Mon souhait est celui de tenter de rassembler et le seul combat qui m’anime est de tenter d’en découdre avec la morosité ».
C’est la chanson d’Orelsan (L’Odeur de l’essence) qui l’inspira : « Soit t’es pour ou soit t’es contre, tout est binaire ».
Dans ses couplets Albert Camus est très présent : « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison ».
Son refrain sera : « Choisis ton camp, camarade et plus vite que ça. »
Elle nous propose de redécouvrir la nuance par opposition à la binarité étouffante ambiante.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Par la soumission, docile ou inconsciente, à l’omnipotence de l’information matraquée par « la sphère médiatique ».
Cette omnipotence nous abrutit, nous écœure … et puis c’est parfois tellement facile (confortable ?) d’hurler avec les loups ou de bêler avec les moutons.
Elle cite Denis MUZET qui utilisa (inventa ?) le concept « d’infobésité » tellement parlant. Nous sommes priés, dans l’émotion, de prendre parti rapidement, sans l’effort de la réflexion, voire de la hauteur face à la complexité reconnue de la situation caricaturée.
On pense à Pierre Soulages qui vient de décéder à cent trois ans.
Ses noirs, outre-noirs, gris … n’étaient nullement binaires mais des tellement subtils et chatoyants, … d’une poésie profonde.
J’ai revu récemment la cascade doucement bruissante de la Fondation Vuitton à Paris qui m’a tellement évoqué Soulages … Quelle beauté dans ces drapés plissés sans cesse recommencés…
Tout est dans la nuance et le doute, contrairement aux commentaires des plateaux télévisés de l’information assénée.
Chaque intervenant a choisi son camp avant de s’asseoir dans le studio et de se livre à une joute caricaturale sur le sujet du menu du soir avec comme titre « Pour ou contre ceci, cela, etc. ».
C’est ce qu’on appelle, dira l’orateur, « le biais de confirmation ».
Pour celles et ceux qui hésiteraient encore, il faut choisir son camp… afin d’éviter toute dérive…
Et surtout restez bien calés au fond de votre fauteuil vespéral.
Nous « assistons » à une polémique ou disait Camus « plus personne n’écoute, tout le monde s’exprime » et encore : « (…) consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard, ni s’il lui arrive de sourire et de quelle manière. Devenus aux trois quarts aveugles par la grâce de la polémique, nous ne vivons plus parmi des hommes, mais dans un monde de silhouettes ».
Ainsi « l’autre » n’existe plus et le dialogue disparaît.
Car le dialogue a besoins de temps, d’écoute, de respect, de bonté sinon de bienveillance.
Il a besoin de comprendre que la parole de l’autre s’inscrit dans un contexte, une histoire, des peurs, des traumatismes, l’appartenance à un groupe intellectuel dogmatique tendu vers le grand soir pour ne pas parler de la solution philosophique finale…
Il est vrai que d’aucuns, par lassitude, démission, modestie et qui suis-je encore, ont jeté l’éponge, laissant le champ libre aux diktats des slogans qui, parfois se dissimulent, plus ou moins subtilement derrière des simulacres de fines analyses dont l’intolérance sous-jacente est finalement démasquée.
L’orateur fait un constat navrant en rappelant, à l’instar de Nicolas GALITA que souvent, les idioties ne progressent pas grâce à l’intelligence de ceux qui les propagent, mais grâce à la bêtise de ceux qui prétendent les contredire.
Elle constate à ce sujet que, souvent, les organisateurs des débats télévisés s’ingénient à inviter des porteurs d’opinions opposées nettement tranchées sur des sujets ne méritant pas d’être débattus de la sorte, qui aboutissent à « attiser les haines plutôt qu’éclairer les esprits ».
Ambre nous propose de prendre notre temps avant d’émettre un avis et d’apprivoiser la nuance.
D’aller plus loin que « le miroir de fumée » de Miguel RUIZ, dans « Les 4 accords toltèques ».
Mais attention il n’est pas question, à force de nuances d’émettre des avis neutres et tièdes. Mais d’oser des réflexions au terme d’un dialogue constructif.
Elle cite Julien LECOMTE :
La nuance, ce « n’est pas une tiède modération ni la revendication d’une neutralité chimérique. (…) La nuance n’est pas non plus un entre-deux équidistant : il s’agit de prendre la mesure du bien-fondé des différentes positions.
Il y a une différence fondamentale entre le fait de prendre parti de façon radicale et aveugle, ce qui relève du dogmatisme, le fait d’exclure toute prise de position, ce qui relève du relativisme et enfin le fait de se construire une position raisonnée qui tienne compte de différents aspects de la réalité ».
L’orateur termine son beau discours et si bien dit, en ces termes :
J’ai découvert ou redécouvert durant ce chemin des auteurs qui ont presque fait de la nuance une religion.
Albert CAMUS est l’un d’entre eux, je me suis largement inspirée de ses textes.
Camus a toujours défendu la nuance. Tant et si bien qu’il fût attaqué par plusieurs de ses contemporains et notamment Jean-Paul SARTRE, qui lui reprochait ses nuances en ces termes :
« Vous n’êtes ni de droite, ni de gauche, vous êtes simplement en l’air, Camus ! »
La réponse de CAMUS à ces reproches est parfaite :
« Les philosophes communistes disent que je suis un philosophe réactionnaire, les philosophes réactionnaires disent que je suis un philosophe communiste, les athées me trouvent très chrétien, les chrétiens déplorent mon athéisme… Si bien que je suis un peu perdu au milieu de ces demandes contradictoires et j’ai décidé de continuer à être ce que je pouvais être et comme je pouvais l’être ».
Cher tous, mes chers confrères, nous aussi, revendiquons le droit d’être ce que nous pouvons être, comme nous pouvons l’être et rappelons-nous toujours que « Dans le brouhaha des évidences, il n’y a pas plus radical que la nuance »
Vient le moment de la réplique de la Présidente.
Shane et Ambre se connaissent depuis longtemps et sont amies. Elles le resteront à l’issue de la rentrée même si Ambre qualifie de Shanistan le royaume de la Présidente.
Shane nous apprend qu’Ambre est du signe du Lion ce qui ne m’étonne pas tant elle est comme le roi des grands espaces « superbe et généreuse ».
Elle lui sert toutefois de l’oratrice alors qu’Ambre, je l’ai dit, préfère « orateur » et « confrère » à « consœur ».
Elle se propose de tenter d’échapper à la binarité en approuvant l’analyse de son amie mais estime qu’il ne faut pas se tenir loin du débat, puisqu’il est inévitable.
N’ayons pas peur : cette peur qui force la pudeur, le tiède, le neutre.
Nous devons être responsables et ne pas nous taire, ce que l’orateur ne préconisait du reste pas.
Apprenons, dit-elle, le traitement de l’information.
Elle cite David BUCKINGHAM : « nous ne pouvons pas mettre les enfants à l’abri de ces médias sociaux. Etant donné que le téléphone portable et Internet donnent accès à des contenus de toutes sortes, incontrôlés et potentiellement dangereux, alors même qu’ils n’ont qu’une maitrise incertaine des outils : Il faut plutôt y éduquer. ».
Oui, nous sommes les jouets de nos téléphones portables.
Eduquons nos enfants à les maîtriser et, d’abord, maîtrisons-les nous-mêmes.
L’avant-propos d’une étude réalisée par l’Observatoire Européen de l’audiovisuel l’évoque : « … il devient de plus en plus important d'assurer au grand public un niveau de connaissance suffisant. Parfaire son éducation dans ce domaine, que ce soit sous la forme de programmes scolaires d'éducation aux médias dans les écoles ou d’initiatives extrascolaires visant à améliorer les compétences numériques. ».
Il faut développer notre sens critique.
Elle rappelle que :
La Grèce a réalisé́ le projet « Connexions » en lien avec le « Mouvement contre le discours de haine » du Conseil de l'Europe. Un manuel qui met en relation les notions de discriminations et toute forme de haine fondée sur l’intolérance avec les droits de l’homme et qui permettrait d’endiguer les discours de haine sur internet.
L’Italie ainsi que sept autres pays européens ont participé́ au projet « Mobilisation sur internet contre la violence ». Ce programme associe recherche et fourniture de ressources pédagogiques afin de mettre en perspective les nouveaux courants populistes de droite et les formes de discrimination véhiculés par les médias et les réseaux sociaux.
Nous devons apprendre à débusquer les fakes news, qui faut-il le rappeler sont des fausses nouvelles lancées en connaissance de cause dans le champ médiatique.
La manipulation poussée à l’extrême par des desseins sournois, pervers et révélant un mépris total pour l’être humain ainsi rabaissé à un pantin à utiliser.
Shane évoque, de manière opportune, « le témoignage d’un jeune macédonien de 19 ans, créateur de Fake-News comme on est « instagrameur et créateur de contenu » aujourd’hui a été entendu : "L’argent est à portée de main. Tu achètes un nom de domaine et tu crées une page web. Quelque chose de simple qui ressemble à un média sérieux, mais sans investir trop d’effort car presque personne ne viendra directement sur le site, ils cliqueront plutôt sur des nouvelles relayées via les réseaux sociaux. Ensuite, tu ajoutes du contenu à ta page. Tu cherches des nouvelles, sur les sites étrangers, fausses ou pas, peu importe. Tu changes un peu le contenu, ou pas, l’important c’est d’ajouter un titre marquant. Et devant le titre, tu ajoutes Shocking (Choquant), Breaking news (Dernières nouvelles) ou Spread this ! (Faites tourner !). Tu t’inscris sur les réseaux publicitaires qui ajoutent automatiquement des publicités sur ton site. Tu publies ton billet sur divers groupes Facebook des supporteurs de Trump par exemple et tu attends qu’ils commencent à cliquer sur le texte, puis sur les publicités et ensuite les dollars commencent à couler à flots ».
Elle rappelle ensuite le rachat de Twitter par Elon Musk spécialiste mondial en la matière et … milliardaire.
La Présidente nous appelle à la vigilance et à la méfiance.
A ne pas partager des messages sans en avoir analysé l’origine et la fiabilité.
Car comme le dit Michel Serres, ces messages « hantent un espace topologique de voisinage alors que nous vivions dans un espace métrique, référé par des distances.
Elle nous invite également, après avoir pris nos distances et compris le fonctionnement du monde médiatique lui-même, à prendre la parole.
Sans avoir peur.
Sans nous enfermer dans des positions retranchées.
Sans nous laisser influencer par les « ultracrépidariens », élus mot de l’année en 2021 en Belgique, c’est-à-dire ceux qui donnent leur avis sur des sujets à propos desquels ils n’ont pas de compétence.
En cultivant la nuance, loin de la neutralité, mais au contraire exprimées haut et fort pour faire échec à la binarité.
Shane termine sa réplique en ces termes :
« Osons donner notre avis, mais laissons la discussion ouverte à l’autre.
Soyons instruits à suffisance pour le faire.
Ne nuançons pas ce que nous sommes
Je souhaite laisser ce débat ouvert…
Si l’éducation est un gage d’ouverture, de connaissance, de compétence.
Alors ne pouvons-nous pas pousser la société du commentaire à son paroxysme ?
Rendre sa voix au peuple ; ce peuple qui se sent si peu entendu à l’heure actuelle ?
Rendons-nous notre voix.
Et comme le disais un grand homme, fort proche de vous Madame l’Oratrice, et plus que probablement très fier de vous en ce moment même ;
JUSTE OU PAS JUSTE ?! ».
A Mons, le Bâtonnier ne fait pas la synthèse entre le discours et la réplique mais prononce un « discours de circonstance ».
Ces circonstances sont, dans un premier temps, dictées par la tristesse et le devoir de mémoire à l’égard des confrères décédés au cours de l’année écoulée :
- Maître Anne-Marie DELHAYE est décédée le 19 juin 2022 à l’âge de 93 ans à La Louvière. Elle fut inscrite au Tableau de l’Ordre le 16 janvier 1956 jusqu’à son omission, à sa demande, le 8 décembre 1988.
Sa gentillesse, sa discrétion et son dévouement la caractérisent le mieux.
Chaque année, tant que sa santé le permit, elle déposait les fleurs, au nom du Barreau, sur la tombe de Maître Augusta Moreaux, première femme inscrite au Barreau de Mons le 3 mars 1941.
- Maître Nicole CHILIADE est décédée le 3 juillet 2022. Elle avait 65 ans.
Notre bâtonnier a rappelé les étapes de sa belle carrière jusqu’à sa nomination comme conseiller suppléant à la Cour d’Appel de Mons. L’émotion fut vive au sein du barreau. Parler de Nicole m’étreint d’autant plus que j’ai eu le privilège de compter parmi ses amis les plus proches.
Dire son courage, sa dignité, sa lucidité face à la maladie qui la terraillait depuis tant d’années est bien peu de choses devant la réalité de son calvaire au quotidien : vivre avec cette lourde et cruelle épée de Damoclès suspendue au-dessus d’elle.
Garder le sourire et la confiance pour ses enfants et ses amis. Ne jamais se plaindre.
Nicole forçait l’admiration et le respect, avec humilité.
L’amour des siens l’entoura à chaque instant jusqu’à son dernier souffle.
Nous savions que l’issue était proche et l’appréhendions à voix basse.
Elle s’en est allée paisiblement, au bout de son combat pour la vie.
Sa disparition crée un vide qui ne peut être comblé.
Nicole était lumineuse et porteuse d’espérance.
Notre plus bel hommage est de tenter d’être à son image, lumineux et porteurs d’espérance.£
- Monsieur le Bâtonnier Jacques DEBACKER nous a quittés le 8 novembre 2022, à l’âge de 89 ans.
Admis au stage en 1956 quelques mois après le décès de son père le Bâtonnier Albert DEBACKER, en cours de stage et au tableau de l’ordre en 1959, il fut ce brillant avocat qui nous épatait chaque jour jusqu’en 2003.
Notre amis Jacques pratiquait avec un talent exquis l’art de l’autodérision, mais nous savions qu’il s’agissait d’une subtile stratégie destinée à espérer du juge une clémence bienveillante pour les clients qu’il défendait avec humanité.
Monsieur le Bâtonnier POPYN a rappelé « qu’il était un plaideur redoutable, défenseur des plus humbles et sachant s’adapter à son auditoire avec une facilité déconcertante ».
Il fut orateur de rentrée en décembre 1971 et avait choisi comme sujet le procès de Pierre LAVAL, collaborateur patenté durant l’occupation nazie.
Il fut bâtonnier de l’ordre de 1985 à 1987. Mais il eut, en marge de sa profession, une activité politique locale intense, au sein du P.S.C. de Pâturages devenu Colfontaine, conseiller communal et très actif dans les associations locales où il était très apprécié pour sa gentillesse et sa jovialité.
Le souvenir remis lors de son décès contient, à côté de sa photo souriante, la belle citation de Lamartine :
« Le livre de la vie est le livre
suprême qu’on ne peut ni
fermer, ni rouvrir à son gré.
On voudrait revenir à la
page où l’on aime, et la
page où l’on meurt est
sous nos doigts ».
Monsieur le Bâtonnier Bernard POPYN rappela que nous le vîmes pour dernière fois en mai dernier : il avait tenu à assister à l’installation de la Statue de Saint-Yves dans l’Eglise Sainte-Elisabeth en face du Palais de Justice.
Il se rappelait sa présence au Grand Pardon de Saint Yves à Tréguier en Bretagne auquel le Barreau de Mons assista à plusieurs reprises jusqu’à ce jour.
Sa vie fut bien remplie, parsemée de joies intenses mais aussi de peines profondes partagées avec sa chère épouse Madame Danielle COULON qu’il avait épousée en 1972.
Elle était la sœur aînée de :
- Monsieur le Bâtonnier Bernard COULON dont le décès, survenu ce 1er décembre, trois semaines après celui de son beau-frère nous a stupéfaits.
Il était âgé de 77 ans.
Il exerça brillamment notre belle profession durant 44 ans, de son entrée en stage en 1968 jusqu’à son omission à sa demande le 31 décembre 2012.
Il fut orateur de rentrée en 1978 et avait choisi pour titre de son discours « Au fil du vent » en évoquant avec poésie les gens du voyage.
Président du Jeune Barreau en 1978-1979, élu au conseil de l’ordre en 1980-1989, Vice-Bâtonnier en 1996-1997 et Bâtonnier de 1997 à 1999.
Il mena ces fonctions parallèlement à une carrière politique intense à Quiévrain, en « libéral social », où il siégea en tant que conseiller communal durant plus de quarante ans à partir de 1970. Echevin de 1974 à 1981, élu Bourgmestre de 1981 à 1988, et de 2000 à 2006 puis échevin de 2006 à 2012.
C’est alors qu’il se retira à Ostende, avec sa charmante épouse Anny …
Une manière de « prendre un peu de distance et l’air du large après autant d’années au service de ces concitoyens ».
Il arborait, en toutes circonstances un sourire bienveillant, reflétant bien sa personnalité empreinte d’empathie.
Ayant eu l’honneur et le plaisir de siéger au Conseil de l’Ordre sous son bâtonnat je peux en témoigner.
Monsieur le Bâtonnier COULON restera une figure marquante de notre Barreau auquel il fut très attaché.
Après la minute de silence observée en souvenir de nos chers disparus le Bâtonnier POPYN aborda les sujets intéressant le barreau et particulièrement l’avenir de la profession, à la suite du rapport de Maîtres Patrick HENRY et Patrick HOFSTROSSLER en 2018.
Le premier ministre Alexander DE CROO a proclamé récemment que la police et la justice devaient s’adapter – A quoi ?
Pas uniquement, affirme avec force notre Bâtonnier, aux lois du marché et aux nouvelles technologies.
L’avocat doit rester le garant d’un procès équitable, de l’accès à la justice et au droit en défendant envers et contre toute la liberté.
Parmi le « pot-pourri » concocté par le cabinet ministériel, Monsieur le Bâtonnier POPYN relève la proposition de l’article 428 du Code Judiciaire qui permettrait d’inscrire au Tableau les associations d’avocats qui verraient l’entrée de tiers dans leur capital, ce qui fragiliserait la confiance, entre l’avocat et son client et du public en général, de même que le secret professionnel indispensable à l’exercice bien compris de la profession.
La dérive est grave.
L’avocat ne serait plus indépendant par rapport à « son » conseil d’administration guidé par la rentabilité et l’intérêt des actionnaires. Il ne serait donc plus indépendant à l’égard de son client.
Le Bâtonnier POPYN poursuite son analyse avec rigueur :
« Nous sommes dans une société post-industrielle qui vise à l’industrialisation des services.
La rationalisation implique la réduction au maximum du coût de l’interaction entre le prestataire et le client. »
« Il en est de même pour le magistrat et l’on pourrait imaginer l’intervention d’une intelligence artificielle où l’algorithme pourrait prendre des initiatives telles que l’établissement des calendriers de mise en état judiciaire de la cause. »
« On pourrait concevoir des audiences entières de Justices de paix ou du Tribunal de la Famille où le juge serait remplacé par une intelligence artificielle et ne subsisterait qu’un magistrat pour les questions les plus spécifiques.
Voilà, Monsieur le Ministre de la Justice, une solution clé en mains, qui permettrait à votre ministère de réaliser d’importantes économies. »
« Le justiciable s’adresserait à un « call center », passerait son temps à taper 1, 2 ou 3, avant d’obtenir une réponse d’une machine, enfin un contact avec un humain en tout dernier recours. »
« Mais, raisonnablement, sommes-nous prêts à une déliaison sociale ? »
« La vraie difficulté réside en réalité dans le fait que cette « maladie des coûts » vous obsède. »
« Mais nous sommes, le monde judiciaire, une activité dite « essentielle » d’aide à la personne, à l’instar du monde médical, nous avons été les premiers de « corvée ». »
L’obsession de réaliser des économies au sein du service public qu’est la justice balaie cyniquement l’élément humain primordial qu’il est censé protéger.
« Ainsi, un projet de loi récent instaure la possibilité d’unifier les greffes de différentes divisions d’une juridiction et assouplit les dispositions relatives au règlement de répartition des affaires au niveau des arrondissements pour les tribunaux et du ressort pour les Cours, permettant que des lieux d’audience puissent être supprimés (excepté pour les Tribunaux de Police) et permettant la possibilité de centraliser des phases de procédure au sein d’une division. »
Cela est consternant et dénote un mépris du justiciable, qui n’est pas (encore) une machine…
« Le cynisme est porté à son comble lorsque l’on lit dans le commentaire des articles :
« Le rassemblement de services permet aussi, par exemple, d’accorder une attention plus grande à l’accueil du public ou encore d’ouvrir la possibilité à du télétravail pour le personnel judiciaire. »
« En outre, cela garantit l’utilisation optimale de l’infrastructure, les bâtiments obsolètes ou partiellement inutilisés pouvant être éliminés. » »
« Ce qui est le plus scandaleux, c’est que l’on se sert d’une demande des acteurs du terrain pour juguler des difficultés rencontrées en raison du manque de personnel, pour permettre la suppression totale de lieux de justice.
Le Barreau restera donc vigilant.
La désertification judiciaire donnera inévitablement lieu à la création de services privés qui ne donneront aucune garantie d’indépendance et d’impartialité.
Nous sommes loin de la mobilité des magistrats ! »
Le Bâtonnier termine ainsi son intervention :
« Mais tout n’est pas si noir.
Si enfin le Ministre entend supprimer les Ordres locaux, je lance un appel vibrant à Mesdames les Bâtonnières des Barreaux de Tournai et Charleroi à envisager la création d’un Barreau du Hainaut avant qu’on ne nous l’impose.
Cette concentration des synergies permettra de rendre à nos avocats un service encore plus qualitatif !
Je vous convie tous l’année prochaine à la Rentrée commune des Barreaux du Hainaut ! »
Il lui restait à honorer les jubilaires ayant atteint cinquante ans de Barreau :
- Maître Christian HENNARD, malheureusement absent pour des raisons personnelles fut, fut président de la conférence du Jeune Barreau en 1983-1984.
Il s’attacha à défendre les plus faibles et les plus démunis.
- Maître Monique BLONDIAU.
Vous l’évoquez en ces termes :
« Ma chère Consœur, ma chère Monique, vous avez prêté le serment d’Avocat le 1er septembre 1972 et vous avez été admise au stage le 7 septembre de la même année.
Votre patron, Maître Gilles COLINET, vous a formé au contentieux du droit des assurances.
Il était à la tête d’un important cabinet d’assurance et occupait à lui seul trois secrétaires, nous raconte la légende du Barreau, vous nous direz si c’est vrai.
C’est certainement de lui que vous avez tiré votre force de travail.
Il est malheureusement décédé bien jeune.
Vous avez été admise au tableau de l’Ordre le 6 novembre 1975 et avez intégré l’équipe du jeune Barreau dont vous avez été une membre active et dont vous avez assuré par la suite la présidence.
Le 8 décembre 1984, vous avez prononcé le discours d’usage « Fluctuat nuc mergitur ». Notre profession va-t-elle se laisser submerger ?
Ce discours est troublant d’actualité, vous dressiez un état des lieux de la profession en évoquant les questions du numerus clausus de la formation permanente du paiement des stagiaires du rendement des cabinets d’Avocats, décrivant selon vous, ce que devait être l’Avocat de demain.
Vous êtes devenue l’Avocate que vous appeliez de vos vœux.
Compétente dans les matières trop peu pratiquées par le Barreau et qui impliquent de solides connaissances du monde du chiffre.
Vous avez développé un cabinet commercialiste de grande renommée.
Votre pratique professionnelle était un exemple pour nombre d’entre nous et particulièrement pour votre serviteur.
Je vous remercie pour les précieux conseils que vous m’avez prodigués et je suis heureux, ma chère Consœur, ma chère Monique, de vous céder la parole. »
La jubilaire prit alors la parole. Sa voie est claire, bien posée et sans emphase.
Elle adresse de nombreux remerciements à celles et ceux à qui elle doit sa carrière : ses parents, ses confrères, les magistrats, ses amis, son personnel dévoué. Elle évoque avec émotion son cher époux Patrick décédé beaucoup trop tôt, qui lui fut d’un appui inestimable dans sa vie tant professionnelle que privée.
Ses enfants et sa famille sont à ses côtés en ce jour de fête …
Bravo, Chère Monique, et merci.
Elle termina en citant Jacques Prévert :
« La vie n’a pas d’âge
La vraie jeunesse ne s’use pas »
Enfin le Président d’AVOCATS.BE, Maître Pierre SCULIER lui remit la plaquette commémorative de son jubilé.
Mais ce n’était pas fini.
Il restait à fêter le départ à la retraite de Madame Cécile POLET, secrétaire du Bâtonnier depuis trente-quatre ans.
Elle épaula donc … dix-sept bâtonniers … dont votre serviteur.
Notre chère Cécile fut une véritable mère-poule pour nous tous.
Sa bonne humeur et son sourire ne furent jamais pris en défaut.
Une formidable ovation salua sa carrière exceptionnelle.
Elle va beaucoup nous manquer.
Peut-être que nous lui manquerons aussi… et qu’elle pensera à nous … en taillant ses rosiers …
Merci à toi Cécile !
Il restait à notre Bâtonnier à accomplir une tâche bien agréable : proclamer les résultats du concours d’éloquence remporté par Maître Romane DETHEUX qui se voit ainsi remettre, par Maître Paul URBAIN, le prix des Anciens Bâtonniers du Barreau de Mons. Le sujet proposé était : « Tous les droits ont-ils vocation à être inscrits dans la Constitution ? ».
***
La rentrée se prolongea dans la plus grande tradition : réception dans le hall des Cours de Justice, banquet, revue et soirée, cette fois au Wallonia Conférence Center et dont tous les échos furent enthousiastes.
Le lendemain, dimanche, les courageux(ses) répondirent à l’invitation du Bâtonnier et de son épouse attentionnée de regagner le « Chant d’Eole », à quelques minutes de la ville pour visiter le vignoble, les chais et assister au Déjeuner du Bâtonnier. Il s’agit d’un moment délicieux, au propre comme au figuré, où « la famille » et ses invités savourent la réussite de la rentrée dans la complicité, les rires, les confidences et l’amitié.
Assurément la rentrée de Mons, pétillante et bien remplie, fut un grand cru.
Jean Saint-Ghislain,
Ancien bâtonnier