Rentrée de la Conférence du Jeune Barreau de Mons des 8, 9 et 10 décembre 2023

Chaque barreau connaît ses rituels de rentrée qu’il respecte au fil des années.

Hommage à Paul CAVENAILE : souvenir et vigilance

À Mons, c’est le vendredi à 11 heures 30 que les avocats se réunissent devant la plaque apposée en 1948 en mémoire de Paul CAVENAILE, notre confrère déporté le 23 mars 1943, mort dans le camp de Mauthausen en Autriche en 1945.

Sur cette plaque en bronze, on peut lire :

« À Paul CAVENAILE
Juriste et lettré délicat
Plaideur ferme, loyal et bon
Ami des humbles
Mort pour son pays
À Mauthausen
Mons 20 mars 1943
Mauthausen février 1945 »

Madame le Bâtonnier Valérie DEHON nous rappela que :

« Paul CAVENAILE a lutté au péril de sa vie pour la liberté et l’humanisme, contre l’oppression, la tyrannie, les extrémismes, le fascisme et l’intolérance.

Aujourd’hui, des guerres violentes et fratricides ont lieu aux portes de l’Europe.

Des peuples se déchirent, des civils, des otages sont exécutés.

La barbarie est toujours bien là.

Proche de nous, des partis populistes et extrémistes ont pignon sur rue.

Des élections démocratiques portent au pouvoir des hommes politiques dangereux pour nos démocraties.

Demain, nous célébrerons ensemble notre Jeune Barreau, notre Barreau, nous serons heureux et unis.

Aujourd’hui, souvenons-nous et restons vigilants.

Notre liberté reste fragile ».

Nous n’oublions pas …

 

Activités de la rentrée : entre mémoire et convivialité

Le vendredi soir, l’association des Anciens(nes) Président(e)s de la Conférence du Jeune Barreau de Mons proposait à ses membres (nous sommes quarante), aux anciens Bâtonniers, au Conseil de l’Ordre et au Comité de la Conférence une visite guidée de la Maison Losseau « Joyau de l’Art Nouveau » suivie d’une réception.

Samedi, le déjeuner traditionnel à la Table du Boucher réunit les mêmes auxquels s’ajoutent nos invités des barreaux extérieurs et les administrateurs d’AVOCATS.BE. Les huîtres sont abondantes et l’ambiance est amicale et détendue.

Commence alors à 15 heures la séance de rentrée solennelle qui, cette année, se tenait dans la salle académique de la Faculté Waroqué de l’UMONS.

 

Discours de Madame le Bâtonnier Valérie DEHON : un appel à la réflexion

Madame le Bâtonnier y prononce le premier discours pour, dit-elle, « partager avec vous mes questionnements et réflexions de « jeune bâtonnier ».

« Quel avenir pour notre Barreau ? ».

Elle rappelle les étapes de la réflexion initiée en 2013 par l’OBFG et l’OVB ayant abouti, en 2015, à un rapport intitulé « horizon 2015 », poursuivie par « les deux Patrick » en 2017 et 2018 qui présentèrent un long rapport, poursuivie par l’initiateur, le Ministre de la Justice en septembre 2022 de confier à Maître Bram VANDROMME la rédaction d’un projet relatif à la modernisation de la profession d’avocat.

On peut en retenir :

  • la possibilité pour le stagiaire de devenir « employé »
  • une formation de qualité
  • l’attractivité de la profession

De nombreuses questions demeurent sans réponse, ce qui rend notre Bâtonnier perplexe :

« J’ai donc une certaine inquiétude face à ce projet, à cette formation qui sera imposée aux nouveaux arrivants, celle-ci n’est à ce stade, ni suffisamment réfléchie, ni aboutie.

Les dispositions transitoires prévoient une application au 30 juin 2028, vantant que les ordres communautaires auront donc largement le temps de mettre cette formation préalable en place.

Il s’agit d’un défi important, à relever rapidement.

Nous savons tous à quel point la formation doit être un gage de qualité.

Ces mois de stage sont si importants pour la construction d’un jeune avocat, ses apprentissages, la transmission du savoir, du savoir-faire et du savoir-être. »

« Je soutiens donc la nécessité du maintien de cette transmission dans un stage suffisamment long, de nos usages, de notre déontologie, de nos valeurs fondamentales qui font que notre profession reste ce qu’elle est. »

« La formation rigoureuse et de qualité et la transmission doivent rester notre priorité et un engagement de chacun.

Les jeunes confrères qui représentent actuellement 40 % de notre Barreau sont l’avenir de notre profession. »

Plus inquiétant :

« Le législateur entend également s’emparer de la question de la rémunération minimale des stagiaires et légiférer à ce sujet.

Cette volonté est interpellante alors que notre profession est une profession libérale indépendante et réglementée et même autoréglementée et autocontrôlée.

Cette autorégulation est une garantie de notre indépendance.

Comme l’écrivait il y a peu Monsieur le Bâtonnier Van Gils, « dans la profession d’avocat, faut-il que le politique se mêle de tout » ? ».

« J’entends que nous resterons extrêmement attentifs dans les mois à venir et souhaite que nous puissions surtout être proactifs dans ces démarches et réflexions. ».

Voilà qui était dit et bien dit …

 
Hommages aux confrères disparus : souvenirs et éloges

Après cet « état de l’union », Madame le Bâtonnier sacrifia au sacro-saint devoir de mémoire en prononçant les éloges funèbres de confrères décédés durant l’année écoulée.

Nos chers disparus avaient chacun leur personnalité attachante, et nous avons toutes et tous des souvenirs personnels à évoquer à leur sujet.

Il n’est pas facile de résumer ces éloges, et je n’en ai pas l’envie.

Aussi, ne m’en veuillez pas de les reproduire tels quels sans trahir les mots choisis et chaleureux de notre Bâtonnier :

Me Marino SANTARELLI

Ce 12 décembre 2022, Maître Marino SANTARELLI nous a quittés lors d’une dernière démarche symbolique à Bruxelles où il s’était rendu afin de manifester et de se consacrer une fois encore à la défense des autres et, plus précisément, aux avocats qui luttaient pour pouvoir exercer leur métier librement.

Marino SANTARELLI avait prêté serment en septembre 1982 et avait accompli son stage chez Maître Carmelo ZAITI, devenu son ami.

Il partageait avec lui le sens du droit, de l’intelligence et de l’humour.

Il a été inscrit au Tableau de l’Ordre des avocats le 2 juin 1988 et avait créé son cabinet unipersonnel.

En septembre 2022, il avait été mis à l’honneur par notre Barreau fêtant ses 40 ans de carrière professionnelle.

Il avait été honoré ce jour-là, entouré d’autres jubilaires et des nouveaux stagiaires.

C’était un avocat discret, compétent, juriste avisé, homme de bons conseils et toujours confraternel.

Il était présent à nos rentrées et aux différents événements de notre Barreau, n’hésitant pas à s’investir pour porter des valeurs qui lui tenaient à cœur, notamment, quelques mois avant son décès, lors de la manifestation et de la vidéo réalisées pour commémorer le souvenir de Masha AMINI.

Sa femme et ses fils étaient sa vie; c’était un mari et un père attentionné, un grand-père heureux de deux petits garçons.

Ses amis disent de lui qu’il était fidèle en amitié, de très longue amitié, discret, cachant ses soucis ou ses peines.

Il avait également été pleinement investi comme pilier de l’équipe de rugby du CRAMONCIAU.

Il était resté fidèle à son club et à ses amis du rugby.

Chacun de ses proches amis au sein du Barreau pourrait vous raconter une anecdote joyeuse à son sujet, comme quand il s’amusait à relever le défi consistant à placer un mot incongru au milieu d’une plaidoirie.

Il exerçait son métier avec sérieux et compétence, mais sans jamais se prendre au sérieux.

Il était attentif aux jeunes confrères et bienveillant à leur égard.

Il avait beaucoup de sagesse sans jamais être donneur de leçons.

Il manque à beaucoup d’entre nous, à notre Barreau, à son épouse, à ses fils et à toute sa famille.

Au nom de notre barreau, je réitère à ses proches notre soutien et le souvenir fort que nous gardons de lui.

 

Monsieur le Bâtonnier Willy VANQUAELLE

Monsieur le Bâtonnier Willy VANQUAELLE nous a quittés ce 16 février 2023.

Il était âgé de 92 ans.

Inscrit depuis septembre 1953 à la liste de stagiaires du Barreau de Mons, il occupait depuis plusieurs années la place emblématique de numéro 1 de notre Ordre.

Il prêta serment le 15 septembre 1953, fut inscrit à la liste des stagiaires le 21 septembre 1953 et, à l’issue de son stage, fut admis au Tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Mons le 24 septembre 1956.

Il effectua son stage auprès de Maître Francis LACHAPELLE, avec lequel il s’associa, et fut ensuite rejoint par Maître Claude PARMENTIER dès 1971.

Il créa l’une des associations d’avocats les plus importantes de notre Barreau, une association d’avocats qui perdure toujours à l’heure actuelle à La Louvière.

Le nom du Cabinet VANQUAELLE est toujours aujourd'hui un gage de sérieux et de qualité, porté par ses différents collaborateurs et associés.

Il fut membre de notre conseil de l’Ordre de 1979 à 1981 et Bâtonnier de 1983 à 1985.
Monsieur le Bâtonnier VANQUAELLE a eu une longue et brillante carrière, faisant preuve d’une rigueur et d’un professionnalisme sans faille.

Il était respecté de tous. C’était un personnage marquant.

Il était aussi extrêmement investi dans sa commune de La Louvière, sa ville, et était connu de tous.

Il était attaché au folklore de sa ville et porta fièrement les habits de gille durant septante années.

Il fonda la société de gilles « Les commerçants » en 1961 et s’investit dans la création d’une Amicale des Sociétés de gilles de La Louvière.

Il a porté haut et fort le folklore de la ville de La Louvière, en plus de s’investir dans son club de football et le Lion’s Club.

Sa famille unie était aussi sa fierté : son épouse, ses quatre enfants dont notre consœur Lisbeth, ainsi que ses petits-enfants.

Je réitère aujourd'hui, au nom de notre Barreau, à son épouse, à ses enfants et à notre Consœur Lisbeth, ainsi qu'à ses associés, notre soutien et notre sympathie.

 

Monsieur Paul CORDIER

Le 27 février 2023, Monsieur Paul CORDIER, avocat honoraire, nous a quittés.

Il prêta serment le 5 novembre 1956 et fut admis au stage le 8 avril 1957, pour être ensuite inscrit au Tableau de l’Ordre le 8 avril 1960.

Il fut omis le 1er novembre 1970, ayant d'abord été magistrat auprès du Tribunal du travail de Mons, puis auprès de la Cour du travail de Mons.

Il fut juge suppléant du canton de Pâturages dès 1968.

Il fut conseiller à la Cour d’appel de Mons dès le 24 décembre 1974 et nommé Président de Chambre le 19 juin 1978.

Il fut admis à la retraite le 30 novembre 1994.

À son épouse et à ses enfants, Anne-France et Hervé, notre barreau réitère toutes ses condoléances.

Je vous remercie de votre attention et vous invite à respecter une minute de silence en hommage à ces différents confrères qui nous ont quittés.

***

Intelligence artificielle et humanité

L’heure du discours de l’orateur du jour, Maître Pierre-Yves BALLEZ, était arrivée…

Son titre : « INTELLIGENTSIA », ni plus ni moins.

Même les plus assoupis après les agapes de « La Table du Boucher » avaient compris : il serait question de l’intelligence artificielle.

« Une force à la fois puissante et ambigüe. »

La voix est posée, le texte bien charpenté en plusieurs subdivisions.

IA, révolutionne

« Désormais, presqu’aucun jour ne s’écoule sans que la thématique de l’intelligence artificielle ne soit évoquée, de près ou de loin, dans les médias grand public. »
« Le grand public » serait-il devenu intelligent ?

IA, où est la vraie innovation ?

L’orateur rappelle le test de Turing.

« Le test, relativement simple, impliquait qu’un interrogateur discute avec deux participants, l’un étant une machine et l’autre un humain, sans que l’interrogateur ne soit informé de l’identité de chacun.

Turing considérait que si l’interrogateur identifiait à tort la machine comme l’humain ou ne pouvait pas distinguer l’humain de la machine, alors le test était réussi : la machine pouvait être qualifiée d’intelligence artificielle. »

Mais l’IA n’en est qu’à ses débuts.

« À titre d’exemple, le fameux ChatGPT est parfaitement capable de vous résumer la théorie de la relativité d’Einstein en 30 lignes de manière convaincante.

Par contre, s’il est interrogé sur la différence, certes subtile, entre les œufs de poule et les œufs de vache, il expliquait encore, il y a quelques mois, avec tout l’aplomb du monde que les œufs de vache sont plus sombres et plus gros que les œufs de poule et plus difficiles à trouver dans les supermarchés. »

« L’IA s’appuie sur une base de données composée d’une quantité astronomique d’information, » fournie par l’humain.

Mais l’utilisation artificielle de cette mare infinie se perfectionne constamment.

Une interface avec l’humain

L’IA commence à « comprendre » l’humain.

« L’IA, pour la première fois dans l’histoire, a donc vocation à devenir une technologie disposant certes de connaissances, mais qui pourra aussi et surtout dialoguer avec l’humain en saisissant la sémantique des propos qui lui sont adressés et qui dépasse la somme des termes qui les composent.

Lorsque l’on se penche sur la définition du terme intelligence (suivant le Petit Robert comme le Larousse, j’ai confronté mes sources dans un souci évident de rigueur), elle se définit au sens premier comme « la faculté de connaître et de comprendre ». »

En consultant mon smartphone bien-aimé (et Wikipédia), je lis la définition suivante :

« L'intelligence est l'ensemble des processus trouvés dans des systèmes, plus ou moins complexes, vivants ou non, qui permettent d'apprendre, de comprendre ou de s'adapter à des situations nouvelles. »

L’orateur se pose alors « une interrogation cardinale » :

« Comment l’être humain et nos sociétés peuvent-elles gérer la perte du monopole de l’intelligence au sens premier du terme, à savoir la faculté de percevoir et de comprendre ? »

Une technologie opaque qui nous dupe

L’IA s’apparente à une nouvelle boîte noire cognitive.

Outre cette opacité dans son fonctionnement, l’IA a également un avantage non négligeable par rapport à l’être humain : elle n’est pas aussi crédule.

L’orateur nous relate l’histoire de Talos :

« Ainsi, par exemple, Talos, dans la mythologie grecque, gardait l’île de Crète. Son origine est controversée, mais dans la version d’Apollodore, il serait un automate forgé par Héphaïstos lui-même.

Cet automate avant l’heure n’est pas conçu par un pouvoir divin des dieux grecs, mais bien de la fabrication technique de la main d’Héphaïstos. Il est supposé être façonné de manière en quelque sorte technologique, sous forme d’un robot intelligent et autonome. Une forme d’IA avant l’heure, en somme.

Talos sera ensorcelé par Médée qui, pour aider Jason dans sa quête de la toison d’or, parvient à le convaincre de se faire opérer, prétendument pour atteindre l’immortalité.

Talos se laissera alors convaincre de prendre place sur la table d’opération et sera tué. La technologie était alors vaincue, dupée par Médée.

Si Talos existait aujourd’hui, à l’inverse, c’est peut-être lui qui parviendrait à nous convaincre de nous allonger naïvement sur la table d’opération.

Et de croire à la photographie de l’arrestation de Donald Trump le 20 mars 2023, qui était créée par une intelligence artificielle.

Nous sommes piégés. »

Thémis, notre déesse, dont les yeux sont cachés par un bandeau, ne court-elle pas le risque, une fois celui-ci enlevé, de ne voir que des images douteuses et une vérité « artificielle » ?

Abracadabrantesque..., comme l’a écrit Arthur Rimbaud…

IA et l’humain : les réponses

Quelle coexistence ? Quelle éducation ?

L’orateur propose, à l’instar du professeur à l’UCL Mark Hunyadi, la protection juridique de l’esprit humain, en en faisant un patrimoine commun de l’humanité, à l’exemple des fonds marins de plus de mille mètres de profondeur.

« Le défi juridique serait de taille. Cette solution permettrait, probablement, de s’assurer que plutôt que d’agir à contretemps pour encadrer une technologie exponentielle, nous protégeons ce qui doit l’être.

L’IA et l’humain : les différences

La problématique n’est pas que l’IA soit meilleure que nous, mais de savoir dans quel domaine nous voulons qu’elle puisse l’être.

Si l’intelligence artificielle peut travailler « pour nous », et même mieux que nous, ce n’est pas fondamentalement un mal. Certes, des difficultés se poseraient qui impliqueraient des remises en question, notamment économiques, mais cela nous permettrait peut-être de consacrer du temps à ce qui est plus essentiel, nos familles, nos proches, nos passions. En somme, à ce qui fait justement cette singularité.

Cette singularité, c’est ce qui nous rend proprement humain, cette capacité à aimer, à éprouver de l’empathie, la capacité à créer, à ressentir des émotions et des sentiments profonds qui font de nous des êtres sensibles, éloignés d’une réalité binaire et robotique d’une intelligence artificielle.

Mais déjà l’IA Replika propose des relations amoureuses virtuelles avec un avatar purement numérique, allant de la relation platonique à un rapport que l’on pourrait qualifier d’érotisme numérique…

Une grande part de nos émotions résulte en réalité de réactions biochimiques complexes et d’influence de neurotransmetteurs. Ces émotions que nous considérons ancrées en nous seraient, selon une part de la communauté scientifique, explicables rationnellement. Peut-on dès lors écarter que l’IA puisse simuler des émotions si complexes soient-elles ?

Il en est de même de la création artistique.

Alors, quelle est notre singularité à protéger ?

Je pense que l’esprit humain aura toujours une particularité que n’aura pas l’intelligence artificielle et qui lui permettra de s’en distinguer : sa capacité à l’échec, à la beauté du raté, de l’erreur et de l’approximation.

Et cela grâce à notre liberté.

Ne serait-ce pas la liberté qui, dès lors, serait le monopole de l’humain, plus que la possibilité de commettre des erreurs ?

Par essence, l’erreur est inconsciente mais fondamentalement, elle est peut-être une des plus pures manifestations que l’on peut percevoir de notre humanité.

L’erreur est humaine.

C’est cette erreur qui permit à Fleming de découvrir la pénicilline et qui provoqua la chute du mur de Berlin.

Ce constat pourrait être sombre pour l’humain. Mais…

« La capacité de l’humain par rapport à l’IA à pouvoir se tromper constitue justement une force : c’est parce que nous pouvons nous tromper que nous sommes contredits, parfois avec pertinence.

C’est également parce que nous pouvons nous tromper que nous remettons en question nos acquis. À défaut de quoi, nous nous trouverions toujours à soutenir que la terre est plate.

C’est également car nous sommes faillibles et susceptibles d’erreur que nous ressentons de la frustration et de la honte en cas d’échec et à l’inverse, de l’ivresse dans la joie de la réussite.

Nous sommes bouleversés par l’imperfection, dans le domaine artistique notamment, loin du « calcul binaire du correct et juste » de l’IA.

Leibniz fantasmait déjà, à la fin du 17ème siècle, un monde où l’on pourrait mathématiquement calculer la vérité, dans une rationalité absolue.

Il espérait pouvoir ainsi débarrasser la société des débats d’opinion, en les soumettant à une machine qui ne se tromperait pas.

Mais l’IA n’y arrivera pas davantage.

Les algorithmes, à la base du fonctionnement des IA, ne peuvent calculer que ce qui est calculable, aussi complexes et perfectionnés soient-ils.

L’IA ne pense pas.

Ne sombrons pas dans le piège de la prévisibilité et de la sécurité à tous les étages que peuvent nous offrir les intelligences artificielles, ni dans les mirages artistiques ou pseudo-relationnels qu’elles tendent.

L’orateur nous ramène au titre de son discours : Intelligentsia.

L’intelligentsia désignait les intellectuels au temps de l’affaire Dreyfus par opposition aux « intelligents » tels Barrès ou Maurras qui ne « toléraient » pas les avis divergents.

Intolérance à l’égard de ceux qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas.

« L’enjeu est à mon sens là : dans une société qui cherche toujours plus à supprimer l’erreur, le doute et l’approximation au profit de l’exactitude, de la précision et de la clarté, l’IA doit être cantonnée à un outil utile, et ne pas donner le dictat de nos perspectives, même si elles risquent d’être, parfois, erronées.

Nous devons nous éduquer et encadrer l’IA, pas pour ce qu’elle fait, mais pour les champs que nous voulons bien lui laisser intégrer. Nous devons poser une frontière à même de protéger un monopole d’humanité nécessaire, en laissant subsister, en certains domaines, la possibilité de maladresse et de bévue.

L’erreur est la fissure du mur des certitudes qui certes nous guide mais qui aussi, nous limite.
Peut-être penserez-vous, et en ce qui vous concerne, je n’en doute pas, Monsieur l’Orateur, que j’ai tort, que je fais fausse route et que je suis dans l’erreur.
Peut-être est-ce le cas.
Cependant, je ne pourrais que vous répondre que je suis heureux d’en avoir encore le droit. »

Maître Pierre-Yves Ballez termine intelligemment son discours en évoquant le bonheur, état propre à l’humain…

Car, à ce jour en tous cas, il n’a pas rencontré d’IA heureuse.

Ouf…

Il nous reste quelque chose d’original… à vivre et à partager… ne nous en privons pas…

À Mons, il appartient au Président de la Conférence de donner la réplique à l’orateur.

Maître Julie Legat s’en acquitta avec bonheur.

Il ne partage pas la crainte de l’orateur de voir l’intelligence humaine perdre son monopole face à l’IA envahissante.

Il veut nous rassurer :

1. « Contrairement à ce que vous soutenez, de tous temps, l’innovation effraie car elle est vectrice de changement, et l’humain est fondamentalement conservateur. »
Songeons au téléphone, à l’imprimerie et au vaccin anti-covid-19... etc.

2. Il reconnaît volontiers que l’IA est limitée en ce qu’elle est contrainte d’utiliser des données passées pour interpréter le présent et le futur, et parfois des données biaisées.
Les émotions, l’intention, la subtilité, les contextes sociaux et moraux échappent nécessairement à la numérisation et à l’IA.

« Je ne vous rejoins dès lors pas dans vos inquiétudes quant à la perte du monopole de l’intelligence, ni dans votre définition de celle-ci.

Votre crainte est mue par le fait que l’humanité se considère par définition comme supérieure à la nature et aux êtres vivants, et qu’elle perçoit notre cerveau comme le Saint-Graal de l’évolution pour déterminer l’intelligence.

Mais si l’on aborde la question par l’étymologie latine du mot 'intelligence', du verbe 'intelligere' qui signifie 'comprendre', on ne peut que constater que l’IA, faute d’intériorité, ne sera jamais capable de 'comprendre' le sens caché derrière un mot, une pensée, une nuance, et de dialoguer d’égal à égal avec l’Homme.

En réalité, elle ne comprend pas, elle répond, et cela est fondamentalement différent.
À titre d’exemple, nous sommes actuellement totalement incapables de faire parfaitement conduire un véhicule par une IA, en toute sécurité, sans qu’une modification de la signalisation ou un autocollant sur un panneau ne viennent la perturber.

C’est ce que l’on appelle le paradoxe de Moravec, du nom d’un chercheur en robotique et IA à la Carnegie Mellon University de Pittsburgh en Pennsylvanie :

« Il est facile pour une IA d’atteindre et de dépasser les niveaux de performance d’un adulte dans des tests d’intelligence ou aux échecs, mais il est difficile, voire impossible, de lui donner les compétences d’un enfant d’un an en ce qui concerne la perception et la mobilité. »

L’Homme et la machine sont différents.

Vous gratifiez l’homme d’une majuscule.

3. « Je vous rejoins toutefois sur le fait qu’il faille coexister avec cette nouvelle technologie, légiférer et surtout apprendre et éduquer sur comment l’employer pour en exploiter son plein potentiel, sans qu’elle ne nous nuise.
Il ne faut pas perdre de vue que l’IA est l’outil, et l’humain l’utilisateur.

Ce paradigme doit évidemment être maintenu, sous peine d’embrasser un risque bien réel cette fois, l’abêtissement de l’Homme qui s’abaisserait à la logique standardisée des machines sans plus pouvoir appliquer d’esprit critique. »

4. L’IA est un outil formidable
« Vous évoquiez d’ailleurs l’usage de cette technologie par un juge colombien dans le cadre de son délibéré.

J’évoquerais pour ma part l’Estonie où certains jugements sont déjà rendus par des intelligences artificielles, dans des litiges qualifiés de simples aux responsabilités 'objectives', et pour des enjeux de moins de 7 000,00 euros.

De ce fait, l’IA prononce des décisions judiciaires en matière d’infractions de roulage, ou encore en droit social pour calculer une indemnité de licenciement.

Le robot fait ici application de ce qu’on appelle la justice prédictive.

Il se fonde sur la jurisprudence passée pour estimer les chances de succès et dresse des moyennes de probabilités pour rendre son verdict.

Comme vous l’avez judicieusement exposé, cet outil permet aux juges de consacrer plus de temps à ce qui est essentiel, à savoir aux dossiers et matières complexes qui requièrent plus d’attention.
Aujourd’hui aussi, en Belgique, nous employons cette technologie, à moindre échelle, dans nos moteurs de recherches Jura ou Strada Lex, notamment, ce qui engendre un gain de temps certain.

Ces 'juges-robots' et outils de recherches qui facilitent le travail de l’Homme requièrent cependant son intervention constante dans le développement de leurs bases de données et leur emploi.

En outre, ils ne pourront jamais purement et simplement remplacer l’Homme car, contrairement à ce que vous avez affirmé, en dépit de leur évolution, ils n’approcheront jamais la singularité de l’esprit humain, laquelle leur est inaccessible. »

5. « Vous ne pouvez à cet égard assimiler les sentiments développés par un humain pour une machine, ou encore la capacité d’une machine à créer une 'œuvre d’art', à une quelconque humanité dont disposerait une IA.
En effet, ce qui a mené plusieurs individus à s’éprendre de cette IA Replika (avec un K pour le côté vendeur), c’est justement son mimétisme particulièrement abouti, la capacité de l’humain à se projeter et projeter ses désirs, ainsi, certes, qu’une certaine crédulité et une fragilité sentimentale.

Mais cela n’induit absolument pas une réciprocité.

En ce qui concerne l’art, on ne peut l’assimiler à la pure capacité de créer ou reproduire une œuvre, sans quoi tout un chacun serait artiste.

Le propre de l’art est de communiquer un message, une charge émotionnelle.

Ici encore, la machine ne pourra jamais remplacer l’être humain.

L’art et l’amour sont l’expression de l’essence même de l’être humain, et ils le resteront.

Ce qui crée cette émotion et cet attrait pour quelque chose ou pour autrui est le fruit d’un échange.

C’est un ressenti purement personnel que ne pourra jamais apprivoiser une intelligence artificielle. »

6. Conclusion

« Ce qui différencie l’Homme de l’IA n’est pas simplement sa capacité à l’échec, mais bien son intériorité, sa conscience.

L’amour, la créativité, la joie, la surprise, la colère, le bonheur sont autant d’émotions parmi tant d’autres qui sont propres à l’être humain, tout comme l’éthique, et qui le définissent et le différencient de l’IA.

Si l’Homme s’égare au gré de ses envies, s’il se fourvoie par passion, s’il erre en quête de sens, c’est parce qu’il vit ces émotions.

Et en cela, il est libre ! »

Si l’IA donne l’illusion d’approcher l’essence de l’esprit humain, elle en est en réalité très loin.

« Je vous rassure donc, la singularité de l’Homme n’est nullement menacée, pas plus que son monopole de l’intelligence.

J’en terminerai en vous citant, Mon Cher Orateur, car comme vous l’avez dit 'Se tromper constitue une force, et c’est parce que nous pouvons nous tromper que nous sommes contredits, parfois avec pertinence'.

Alors, loin de moi de penser que vous vous soyez trompé lors de votre brillante prise de parole, bien au contraire, mais permettez-moi cependant d’espérer vous avoir contredit et donné la réplique avec pertinence en ce jour. »

En réalité, l’Orateur et le Président étaient bien plus proches l’un de l’autre qu’il n’y paraissait.

Ils partageaient la même envie de nous intéresser et peut-être de nous convaincre.

Ils avaient au moins une autre envie, celle de se prendre dans les bras… sous le regard globuleux et vide du robot farci d’IA…

À Mons, nous fêtons lors de la rentrée les jubilaires ayant atteint cinquante ans de vie professionnelle (voire soixante le cas échéant…).

Cette année, c’est Maître Pierre Demolin qui fêtait ses cinquante ans de barreau.

Madame le Bâtonnier rappelle la carrière brillante de cet avocat sonégien précurseur et imaginatif dans bien des domaines.

« Vous avez créé en 1991 déjà le groupement européen d’avocats LAWROPE avec Maître Yves Brulard et en 1996 le cabinet d’avocats DBB ayant plusieurs sièges dont Soignies, Mons, Bruxelles, et Paris.

Depuis 1995, vous êtes membre de la Commission juridique de la Fédération belge de la Franchise.

Vous êtes également depuis cette même date arbitre dans le cadre de litiges en matière de droit de la distribution commerciale.

Depuis 2006, vous êtes Président de la Commission d’arbitrage qui a été créée en application de la loi du 16 décembre 2005 sur l’information précontractuelle dans le cadre des contrats de partenariat commercial.

Depuis 2013, vous êtes médiateur agréé par la Commission fédérale de médiation.

Depuis 2015, vous êtes chargé d’enseignement à l’UCMons dans le cadre du certificat universitaire de mandataire de crise.

Vous êtes également conférencier en Belgique et en France dans le cadre de séminaires sur le droit des sociétés, sur le droit de la responsabilité des administrateurs, sur le droit de la franchise et de la distribution commerciale. »

En 1986, vous avez prononcé le discours de rentrée dans cette même salle.

Votre titre : « Une dose de naïveté, une dose d’utopie ».

Car votre fibre sociale et humanitaire est profonde et vous plaidez pour l’instauration de 'l’allocation inconditionnelle universelle' qui demeure d’actualité.

Votre attachement aux valeurs de notre profession est sans faille, tout en maîtrisant les innovations telles que l’informatique.

« Vous présidez depuis 2010 l’ASBL MMI 'Maison Marie Immaculée', ayant son siège social à Neufvilles, qui organise l’accueil des personnes âgées, maisons de repos et de soins, résidences services ainsi que l’accueil de personnes malades et handicapées, hôpital de soins palliatifs, centre pour polyhandicapés et l’accueil d’enfants en bas âge, crèches et garderies.

Vous exercez ce mandat avec grand dévouement de manière gratuite depuis des années. »

Mais à côté de ce débordement d’activités, vous recherchez le silence et la méditation, notamment sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle…

Vous faites honneur à votre barreau et n’avez pas l’intention de le quitter pour notre plus grande joie.

Pour clôturer cet hommage, Maître Pierre Sculier, Président d’AVOCATS.BE, lui a remis le souvenir symbolique de son brillant parcours.

La séance s’est clôturée par la remise du Prix du concours d’éloquence organisé par les Anciens Bâtonniers auquel s’adjoint l’École de Droit de l’UMONS.

C’est Maître Romane Detheux qui, pour la deuxième fois, l’a emporté, ce qui lui conférera l’honneur de représenter notre Barreau lors du Tournoi d’éloquence du Barreau des Hauts-de-Seine.

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Réception et festivités : moments de convivialité

Vint alors le moment des nourritures terrestres.

La réception se tint dans le hall du bâtiment et permit aux invités de jauger leur intelligence respective à saisir les petits fours et autres mignardises… sans dommages vestimentaires…

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Il ne m’était malheureusement pas possible d’assister à la soirée et… je le regrette beaucoup.

En effet, de nombreux échos élogieux m’ont été rapportés…

J’avais toutefois demandé à ma fille Valérie d’en faire la relation et je vous livre ci-après les lignes qu’elle y a consacrées avec plaisir :

« La soirée du barreau de Mons est un événement annuel très attendu par les avocats. C'est l'occasion pour tous de se réunir dans un cadre convivial et festif, permettant ainsi de renforcer les liens professionnels et personnels.

C'est un événement qui allie tradition, élégance et convivialité, et qui contribue à renforcer la cohésion au sein du barreau.

Cette année, l’arrivée au Chant d’Eole était toute illuminée… les décorations de Noël avaient déjà pris place dans les vignes alentours. La soirée se promettait étincelante.

À l’intérieur, point de déception : le précieux breuvage servi bien frais coulait à flot et la soupe de butternut – à manger bien précautionneusement – a ravi les papilles.

L’Impératif d’Eole a ensuite plutôt bien « fait le job » avec un menu fin et savoureux, quoique trop frugal pour certains... Les vins étaient fort bien choisis.

Le moment de la Revue arrivé, Maîtres Crombez et Locoge ont lancé les hostilités avec de courtes vidéos drôles et rafraîchissantes. Les saynètes qui ont suivi n’ont pas manqué d’arracher des rires à l’assemblée et des sourires crispés pour certains.

Me Schoeps fils a fait une entrée réussie avec un discours drôle, qui n’a pas manqué d’émouvoir ses parents.

La soirée s’est poursuivie gaiement entre le photobooth et les déhanchements sur le dance floor jusqu’aux petites heures.

Le Jeune Barreau peut être fier du travail réalisé : ce fut une soirée réussie et déjà mémorable ! »

 

Clôture de la rentrée : derniers moments et réflexions

Le dimanche, le déjeuner du Bâtonnier se tint au restaurant « Maxens » à Saint-Symphorien, après la visite du Musée du Doudou pour les courageux qui n’eurent que quelques heures de sommeil…

L’ambiance y fut décontractée, amicale et… très gastronomique…

C’est avec plaisir que j’y ai prononcé quelques mots (encore un rituel…) au nom des Anciens Bâtonniers du Barreau de Mons.

Ainsi se clôtura notre rentrée, fidèle à ses rituels et… à son accueil légendaire.

Comme on dit après la Ducasse, « In v’la co pour ein an »…

Jean Saint-Ghislain,
Ancien bâtonnier du barreau de Mons

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