La problématique des retraites des avocats français au regard du projet de loi sur le système universel

1) La présentation du régime

L’histoire de la Caisse Nationale des Barreaux Français (CNBF) est liée à celle du droit de plaidoirie.

Inspiré par les ordonnances royales de la fin du XVIIe  siècle, le droit de plaidoirie fut conçu comme la contrepartie du service public, permanent et gratuit, rendu par le Barreau français sous forme de rémunération des anciens « procureurs et avoués ».

Les premières caisses de retraite et de prévoyance pour les avocats sont nées de la loi du 31 décembre 1921 marquant l’évolution majeure du système de protection de la profession : placé sous le contrôle des ordres, le droit de plaidoirie sera, dans un premier temps, destiné à financer allocations et secours des avocats.

Les caisses de prévoyance vont fonctionner de manière autonome. Toutefois, seuls les plus grands barreaux seront en capacité d’assurer des pensions substantielles. La création de la CNBF en 1948 en tant que section professionnelle de la Caisse Nationale Vieillesse des Professions Libérales, puis sa transformation en organisme autonome en 1954, permettront d’assurer une égalité de droit à l’assurance vieillesse pour l’ensemble des avocats et ce quel que soit leur barreau auquel ils sont inscrits.

La CNBF est donc un organisme de sécurité sociale autonome, régi par les articles L723-1 et suivants du code de la sécurité sociale. Tout avocat est affilié obligatoirement à la CNBF, dès son inscription au Barreau, qu’il exerce en qualité de non salarié ou de salarié. La CNBF permet à l’avocat non salarié une couverture sociale des risques invalidité, décès et vieillesse. L’avocat salarié est couvert par la CNBF pour le risque vieillesse, sa protection sociale d’invalidité étant couverte par le régime général des salariés, comme la maladie.

Les instances dirigeantes de la CNBF sont exclusivement composées d’avocats qui agissent au nom et dans l’intérêt de l’ensemble de la profession

Le régime de retraite des avocats en France, contrairement à celui des autres professions libérales, même juridiques, et à tous les autres régimes, est composé d’un régime de base autonome. Alors que toutes les autres professions cotisent, pour leur régime de base à un régime général ou interprofessionnel, les avocats versent une cotisation forfaitaire plus une cotisation proportionnelle à leurs revenus à la CNBF, qui sert, à tous les avocats, une prestation de base identique minimum de l’ordre de 17.500 € par an pour une carrière complète.

A ce régime de base s’ajoute une prestation du régime complémentaire qui est un régime par points classique. C'est donc un régime solidaire puisqu’en prestation de base, quel que soit le montant cotisé, tous les avocats reçoivent la même somme.

L’entrée dans le régime universel, où la prestation de retraite correspond au montant des cotisations versées, fera perdre ce caractère solidaire. L’une des justifications avancées par le gouvernement de l’entrée dans le régime universel est justement son caractère solidaire et égalitaire.

2) L’enjeu de la réforme envisagée par le gouvernement  pour la CNBF

L’enjeu n’est pas tant l’autonomie de l’organisme de gestion des retraites que celui du régime. Il ne servira à rien de conserver l’autonomie de la CNBF si elle doit appliquer les règles du régime universel voulu par le gouvernement. La Caisse ne sera plus autonome pour définir les paramètres à appliquer, le montant des cotisations, la gestion des actifs. Le projet de loi du gouvernement français ne précise pas qui va gérer les actifs, mais il presque certain que la gestion des réserves soit laissée aux administrateurs avocats.

Dans le cadre du régime universel, le rôle de la CNBF apparaît ainsi très limité et marginal. Alors qu’elle pilotait le régime de base et le régime complémentaire, en fixant les taux des contributions, les règles de versement et les montants des pensions, en gérant les fonds dans un cadre réglementaire, elle n’aurait donc plus qu’à :

  • décliner le plan de convergence fixé par ordonnance ;
  • décider du sort des réserves, bien que l’évolution du montant des réserves disponibles dépendrait nous semble-t-il du montant servant à financer les prestations des retraités et futurs (génération avant 1975) et de la dotation versée par la Caisse nationale du régime universel à la CNBF ;
  • le cas échéant, organiser le mécanisme de solidarité qui serait mis en place entre les avocats à hauts revenus et les avocats à faibles revenus

3) La situation des avocats dans le nouveau régime

Pour les avocats nés avant 1975 : ils resteraient dans le régime CNBF. Toutefois leurs taux de cotisation seraient – à compter de 2025 – alignés sur les taux nouveaux du régime universel.

La répartition de ces nouveaux taux et assiettes de cotisation entre régime de base et régime complémentaire devra être fixée en tenant compte de la répartition actuelle. Leurs droits à pension seraient préservés selon des règles préservant les effets attendus du régime.

Pour les avocats nés à compter du 1er janvier 1975 : les personnes nées à compter du 1er janvier 1975 seront intégrées dans le régime universel à compter de 2025. Ils bénéficieraient de droits constitués auprès de la CNBF et auprès de la Caisse nationale du régime universel. Là encore, la dotation du régime universel à la CNBF serait calculée pour assurer le financement de leurs droits constitués avant 2025.

Pour les avocats nés à compter du 1er janvier 2004 : le régime universel entrera en vigueur pour cette génération dès 2022 (art. 62 du projet), de telle sorte que les individus concernés n’ouvrent aucun droit dans les régimes de la CNBF.

Pour ce qui concerne les cotisations, les cotisations retraite passent de 12/14% à 28%, même si le gouvernement a dit qu’un travail serait mené sur l’assiette des cotisations.

Ce qui est en jeu avec ce projet de loi, c’est bien la sécurité économique des cabinets et l’avenir de la profession pour les avocats qui ont des revenus modestes.

 

Laurent Pettiti
Président de la Délégation des Barreaux de France
Avocat au barreau de Paris

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Motion de soutien de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone de Belgique (AVOCATS.BE) aux actions menées par le Barreau français

À l’occasion de son conseil d’administration de ce 27 janvier 2020, AVOCATS.BE a décidé de manifester son soutien aux actions actuellement menées par le Barreau français pour défendre ses droits en matière de retraite.

Vous trouverez ci-dessous la motion adoptée au nom des 8.000 avocats francophones et germanophones de Belgique.

AVOCATS.BE a pris connaissance des actions entreprises par les Ordres et les barreaux français à l’encontre des projets de réforme du régime des pensions des avocats.

AVOCATS.BE est particulièrement sensible à ce combat légitime. Nous exprimons tout notre soutien aux organisations professionnelles représentatives des avocats français et aux actions entreprises.

Les réformes entreprises par les autorités risquent de fragiliser les avocats les plus faibles en leur causant un lourd préjudice économique, et de porter atteinte à l’accès au droit des justiciables et à l’indépendance des avocats.

 

Photo by Robin Benzrihem on Unsplash

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