La fausse bonne idée

Il y a quinze jours, je posais la question du type de justice que nous voulions.

Ce mardi matin, en lisant la presse, je n’ai pu qu’être frappé par un article qui développe une idée de la Ligue des Familles et qui semble être soutenue par notre ministre de la justice : « un calculateur unique pour les contributions alimentaires » (article paru dans le Soir du 15 juin 2021, pp. 1, 2 & 3).

Le constat posé par la Ligue est simple : il existerait cinq méthodes différentes pour calculer la contribution alimentaire due par les parents et aucune de ces méthodes n’est officielle. Ainsi, selon l’une des responsables de la Ligue, « les parents n’ont pas vraiment conscience du fait que le montant de la contribution alimentaire fixée par un juge à Mons n’est pas forcément le même que celui qui serait fixé à Bruxelles sur la base d’une autre méthode ».

Tout cela est parfaitement exact. AVOCATS.BE a d’ailleurs décidé de rencontrer la Ligue pour entamer un dialogue et proposer de travailler ensemble sur des outils qui rencontrent le souhait d’une certaine objectivité mais qui laissent la place à l’humain.

Mais faut-il conclure de ce constat qu’il est nécessaire que l’on impose un calculateur unique et officiel ? Car c’est cela qui est demandé et, selon l’article du Soir, « le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open VLD) dit vouloir y arriver au sein de la Commission ad hoc ».

Si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, nous nous trouverions alors face à une solution totalement prévisible : on entre une série de données dans un programme, certifié et unique, et celui-ci donne le montant, à l’euro cent près, de la contribution alimentaire. Le juge n’a plus qu’à l’écrire dans le jugement, l’avocat dans la convention, le notaire dans l’acte !

Sans doute, cela peut-il choquer que, face à des situations apparemment semblables, la décision d’un juge puisse différer de celle de son collègue. Mais la justice est rendue par des hommes, elle est faite de nuances, d’un sens de l’appréciation. Aucune situation humaine ne peut être réduite à des algorithmes aussi sophistiqués soient-ils.

A ce rythme, ne développerions-nous pas un calculateur d’indemnisation du dommage corporel qui fixe le montant dû, un calculateur d’indemnisation du licenciement unique, un montant unique d’intérêts conventionnels, … ? Bien entendu, de tels calculateurs ou tableaux de référence existent déjà et c’est sans doute très utile. Ils sont pour la plupart fondés sur une analyse de la jurisprudence et servent de base à la décision comme référence. Mais ils ne doivent surtout pas servir à plus que cela.

En faire une sorte de décideur en lieu et place du juge est la caricature d’une justice prédictive mal comprise dont personne ne veut. La digitalisation doit permettre l’aide à la décision, non la décision. Il faut laisser au juge le soin de juger et d’adapter la décision à chaque situation particulière. C’est l’ABC de l’indemnisation du dommage que de considérer que le petit doigt d’un pianiste n’a pas la même valeur que celui d’un avocat ! Cela, et tant d’autres spécificités particulières, ne sera jamais pris en compte par les algorithmes, aussi poussés soient-ils.

Faire de ces différents calculateurs une base de travail, sans doute. Mais n’allons pas plus loin. Ils doivent rester des repères à l’instar, au pénal, de l’échelle des peines, celles-ci restant fixées par les juges, sans automatisme, mais en tenant compte des faits et de la personnalité du justiciable.

C’est en cette justice là que je suis encore prêt à croire, même si elle a ses faiblesses.

Votre très dévoué,

 

 

Xavier Van Gils
Président

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Xavier
Van Gils
Ancien Président

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