La dernière audience par Foulek Ringelheim

La femme arrêta la voiture devant le commissariat de police. Elle alla déposer son fusil sur le bureau de l’agent de service et déclara : « Voilà. Je viens de tuer mon mari. » Elle frissonna enfin et se laissa choir sur une chaise. Elle n’était plus qu’une femme assise. 

Des magistrats fornicateurs (bon, pas en salle d’audience certes, mais pas loin quand même : dans leur bureau ou dans la salle de délibérations), un greffier « sans paupières et à la bouche cousue » qui conserve son air de greffier même lorsqu’il est en slip de bain, des avocats fats et imbus. Et puis des meurtriers froids, des suicidés passionnés. Des hommes et des femmes confrontés à une justice d’hommes et de femmes…

Dans la foulée de Boule de juif, les amis du regretté Foulek Ringelheim ont eu la bonne idée de faire éditer ce petit recueil de nouvelles grinçantes. Images d’une justice qui tourne parfois sur elle-même, d’une société qui engloutit et dévore ses membres. Images parfois joyeuses, cocasses, réjouissantes, parfois froides, implacables ou mélancoliques.

Histoire de cette femme trompée, bafouée, qui un jour en a assez, prend le fusil de son cocufieur de mari, se met en faction à quelques mètres de la maison où il accomplit ses basses œuvres, puis l’abat froidement - une balle pour chaque entaille dans le contrat conjugal, cela fait tout un chargeur… - avant de se constituer prisonnière. Parfois la dignité vaut bien la liberté.

Vous découvrirez aussi Candida, version lumineuse de la Lily de Pierre Perret, toujours joyeuse, même dans l’avion dans lequel elle a été contrainte de monter pour rentrer dans ce pays qu’elle exècre et avait fui. Ou R., conducteur de bus au bout du rouleau, terrassé par une grève qui lui ôte ses derniers espoirs de survie, mais dont il doit se montrer « solidaire ». Ou la terrible vengeance d’Adrienne Ferrage contre l’abominable pharmacien tueur de chats Albert Shmouk. Ou, encore, Pierre Mandoux, condamné à quatorze ans de travaux forcés pour avoir éclaté la tête, d’un coup de marteau bien placé, de son abject voisin (pléonasme ? Pierre Desproges ne définissait-il pas le voisin comme un « animal nuisible, finalement très proche de l’homme » ?), bruyant et veule, qui venait de lui administrer un direct du droit pour lui signifier son mécontentement.

Une sorte de zoo humain donc, qui s’étale devant nous par petites touches, bien racontées, bien écrites, bien senties.

L’histoire encore de cet homme sec et froid, qui comparait silencieusement, sans avocat, devant le magistrat qui doit le condamner pour abandon de famille parce qu’il ne paie pas les pensions alimentaires qu’il a été condamné à servir à son ex-épouse et à leurs enfants. Qui se tait, se contentant de fixer le juge, impassiblement. Qui ne dit rien, qui sort calmement après le prononcé de la peine, au grand soulagement de l’assistance traumatisée par la chape de glace qui semblait envelopper l’étrange personnage.

L’audience poursuivit son cours. Mais il revint. Dix minutes à peine après sa sortie, une voix de femme chuchota : « Horreur ! Il est revenu ! » Le procureur était en train de se rasseoir, ayant déclaré : « Je demande une application exemplaire de la loi. » Tous les regards, unanimement indignés, se tournèrent vers l’intrus et ne le lâchèrent plus. L’homme n’avait pas changé, mais une ombre de sourire animait sa bouche fermée. Il marchait d’un pas lent mais résolu, la main droite enfoncée dans la poche de son veston. Il s’arrêta à trois mètres du juge, il sortit la main de sa poche et appuya le canon d’un revolver contre sa tempe. Il regardait le juge sans haine et sans crainte. Celui-ci fit un geste, bien entendu, il tenta même de parler, mais au même moment le coup de feu retentit et l’homme s’écroula en chantant. La mort fut instantanée.

Cela s’est passé à l’audience correctionnelle du tribunal de Toulon, le mercredi 17 novembre 1982.

Parfois la réalité vaut bien la fiction.

Patrick HENRY,
Ancien Président

A propos de l'auteur

Henry
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Ancien Président d'AVOCATS.BE

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