Interviews croisées de Mes Selçuk Kozagaçli, Barkin Timtik et Oya Aslan

Nous avons visité nos consœurs et notre confrère Barkin Timtik, Selçuk Kozagacli et Oya Aslan dans la prison de haute sécurité à Silivri ce 6 septembre 2022. 

Ces visites sont éprouvantes : de longues heures d’attente, plusieurs check-points, photographie des rétines pour passer les diverses barrières automatisées, fouille sous soutien-gorge s’il sonne au portail, absence de tout autre matériel à emporter qu’un stylo et une feuille... 

Nos consœurs et notre confrère sont toujours réjouis des visites, qui symbolisent le soutien international qu’ils reçoivent depuis cinq ans. 

Nous avons voulu, cette fois, au-delà des questions procédurales, leur poser aussi trois questions, sur la jeunesse, l’espoir et la résilience. 

Nous partageons avec vous leurs réponses. 

Quel message souhaiteriez-vous faire parvenir aux jeunes avocats ? 

Barkin Timtik : Ma compréhension de ce qu’est être un(e) bon(ne) avocat(e), c’est que ce n’est pas une question d’argent. Être un(e) bon(ne) avocat(e), c’est être aux côtés des personnes désavantagées et cela mérite parfois des sacrifices, des efforts et des larmes. 

Lorsque j’étais plus jeune, je voulais devenir juge, parce que je pensais que je pourrais résoudre les problèmes. Il y a eu un cas célèbre d’un jeune qui avait volé un baklava et qui a écopé de six ou sept années de prisons. Je me disais que si j’étais la juge en charge du dossier, je ne l’aurais pas condamné. Cependant, par la suite, j’ai perdu espoir dans le système judiciaire et dans la séparation des pouvoirs. Je suis donc d’abord devenue avocate des militant(e)s révolutionnaires et je suis ensuite devenue une avocate révolutionnaire moi-même. 

Oya Aslan : Si vous faites ce métier non pas pour vos intérêts privés mais dans l’intérêt collectif, vous vous sentez satisfait. Si vous y mettez de la passion, vous pourrez créer tant de choses. Pour certaines personnes, l’argent est la première motivation. Pour moi, ma première motivation, c’est l’intérêt collectif. 

Seluk Kozagaçli : Il ne faut jamais baisser les bras, jamais abandonner. Par exemple, votre solidarité est très importante pour moi. Depuis le début de ma détention, j’ai eu 3.080 entretiens avec des avocat(e)s, dont 200 venu(e)s de l’étranger. Lorsque j’étais en cellule d’isolement, durant les 500 premiers jours, j’ai quand-même eu cinq ou six fois de la visite de mes avocat(e)s, qui ont lancé une pétition pour mettre fin à mon isolement. Le gouvernement s’est bien rendu compte de ce soutien. Au début, je me disais souvent : « quand je serai libre,… ». Mais après un certain moment, vous finissez quand-même par penser de manière un peu plus sérieuse (rires) ! 

Qu-est-ce qui vous fait tenir en prison ? 

Barkin Timtik : Je lis beaucoup. Franz Fanon, Hasan Izzettin,…

Oya Aslan : Le lundi, c’est le jour des réponses aux lettres qui nous parviennent. 

Le mardi, c’est le Ebru Labour Day1. Nous nous engageons dans des activités culturelles et artistiques, comme l’écriture d’un fanzine artistique etc. 

Le mercredi, c’est la journée administrative. Si nous n’avons pas trop de travail administratif, alors c’est un jour libre. Mercredi, c’est aussi la journée du petit-déjeuner commun. Nous nous échangeons les recettes comme nous pouvons, par exemple, en nous lançant des bouts de papiers à travers les barbelés surplombant les cours attenantes à nos cellules, et nous cuisinons tou(te)s la même chose, chacun dans sa cellule. Nous ne nous voyons pas, mais nous déjeunons ensemble, en quelques sortes. Parfois, le mercredi, nous dispensons également des cours de droit, en parlant sous la porte de la cellule à destination des autres détenu(e)s. 

Le jeudi, c’est le jour où j’écris : un roman, des documentaires…

Le vendredi, c’est le jour où je peux téléphoner et où je reçois le courrier. Je le lis. 

Le samedi, c’est une journée entière de lecture. 

Le dimanche, je nettoie ma cellule et je planifie la semaine suivante. 

Ce qui m’aide à faire face à ma détention, c’est de me savoir unie à mes collègues dans le même but à atteindre. C’est d’avoir la gestion de mon temps et de me mettre des délais pour accomplir des tâches. C’est-à-dire, de vivre comme si je n’étais pas en prison. 

Selçuk Kozagaçli : Il y a un mot [vefa] qui mêle les sens de foi et de fidélité. Mais foi et fidélité à quoi ? A Ebru ? A celles et ceux qui se battent pour la justice ? Lorsque j’étais encore avocat, j’ai assisté aux funérailles de 140 client(e)s, que je connaissais donc personnellement. Elles et ils se sont tou(te)s sacrifié(e)s, à leur manière, pour un monde meilleur. Je me tiendrai droit, par fidélité à ces personnes. Je me sens en dette à l’égard de ces personnes.  

Quels espoirs avez-vous pour la démocratie et les droits humains ? 

Barkin Timtik : Ce qui est certain, c’est que de l’espoir, j’en ai. Sinon, je ne pourrais pas continuer à me battre. Les personnes révolutionnaires qui continuent de se battre pour les droits de toutes les personnes me donnent de l’espoir. Lorsque nous nous inspirons de la résistance des femmes, des collégiens, des travailleurs, etc. et que nous nous unissons pour dépasser nos fractures, alors nous pouvons avoir de l’espoir pour la démocratie et les droits humains. 

Oya Aslan : Je pense que nous devons nous organiser de manière politique et collective, pour atteindre les droits humains. Dans les démocraties occidentales, les partis de gauche n’ont pas toujours cela à l’esprit. Ils obtiennent des changements mineurs, mais sans viser l’horizon où un nouveau système pourrait être créé, radicalement différent.

En Turquie, il y a une multitude de champs de lutte et de combats. Nous devrions rassembler toutes ces luttes en une seule. Selçuk était un bon exemple de cela. Il rassemble les personnes divisées, réunit la pratique et la théorie, écrit pour stimuler la créativité…  Evidemment, cela ne plaît pas à tout le monde, des esprits comme cela. 

Selçuk Kozagaçli :  Je ne pense pas que le Parlement a encore la capacité d’apporter la démocratie et les droits humains. En tout cas, durant toute ma vie, il ne l’a pas fait. Selon moi, la justice, la liberté et la démocratie seront difficilement atteintes uniquement par les élections, sans qu’il n’y ait des luttes organisées et collectives pour les défendre. Bien-sûr, si l’opposition en Turquie gagnait les prochaines élections, notre situation pourrait s’améliorer, puisqu’elle nous soutient. 

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1 Ebru Timtik, la sœur de Barkin Timtik, était également avocate. Détenue avec ses collègues dans le cadre du procès de masse contre les avocats progressistes, elle a entamé une grève de la faim pour le droit à un procès équitable. Elle est décédée le 238ème jour de cette grève, le 27 août 2020.

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Propos recueillis le 6 septembre 2022 à Silivri par Hélène DEBATY, Sibylle GIOE, Louis MASURE et Nathan MOURAUX

Les prochaines audiences de ce procès de masse à l’encontre de nos confrères et consoeurs progressistes en Turquie se dérouleront du 7 au 11 novembre prochain à Silivri. Ces audiences constituant probablement les dernières, la présence en masse d'observateurs internationaux est primordiale. Si vous souhaitez prendre part à cette nouvelle mission d'observation, ou que vous désirez vous informer davantage sur celle-ci, vous pouvez contacter Me Hélène Debaty: helene.debaty@avocat.be.

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