Ce lundi 4 novembre 2024, les négociations en vue de la formation de notre prochain gouvernement fédéral ont pris un tour nouveau à la suite de la décision de « Vooruit » de se retirer (provisoirement ?) des discussions.
Les quatre autres partis qui négociaient jusque-là restant autour de la table, il est vraisemblable qu’il ne va pas être fait totalement table rase du fruit des discussions antérieures. Plusieurs projets doivent pourtant être sérieusement revus, notamment en matière de justice.
En effet, le contenu de la “note justice” qui avait été dressée a été dévoilé par la presse le 22 octobre et AVOCATS.BE a pu en prendre connaissance. Elle contient certes quelques éléments positifs mais aussi d’autres qui le sont beaucoup moins … et même quelques horreurs !
Parmi ces dernières, figurent les lignes relatives à la diminution de la surpopulation carcérale. Il est temps : les astreintes qui sont dues à AVOCATS.BE en exécution des arrêts condamnant l’Etat belge à remédier à cette situation dépassent à présent les 60 millions (oui, soixante vous avez bien lu) mais les mesures envisagées dépassent l’entendement puisqu’il est question de louer des prisons à l’étranger – cela a déjà été fait et ce ne fut pas une réussite – et aussi d’avoir recours à des « bateaux-prisons » et des « villages de conteneurs ».
Comment les élus d’un pays démocratique peuvent-ils avoir de telles idées ? Même s’ils pensent que les détenu(e)s sont des parias qu’il convient d’éloigner de la société, ce qui est contradictoire avec l’objectif déclaré par ailleurs de limiter les cas de récidive, ils ne se préoccupent pas non plus du sort du personnel pénitentiaire, qui devrait donc rejoindre son lieu de travail en dinghy pour être ensuite à la merci d’une mutinerie des dits parias avec lesquels il partagerait le bateau ? Quant à faire vivre des êtres humains dans des conteneurs, dans quel esprit cette idée peut-elle germer ?
Toujours dans le cadre pénal, la note évoque le renforcement de la procédure de snelrecht, en supprimant de ses conditions d’application le consentement du suspect alors d’une part que la procédure en annulation de la loi du 18 janvier 2024 est toujours pendante devant la Cour constitutionnelle et, d’autre part, que cela va encore augmenter la surpopulation carcérale puisque cette procédure implique la détention préventive du prévenu. Pourquoi ne pas donner plutôt aux magistrats les moyens d’utiliser la procédure de comparution immédiate qui fonctionne fort bien dans certains arrondissements ?
Il est aussi question de comparution en prison ou par visioconférence mais en ce cas où sera l’avocat ? En prison, au côté de son client mais loin du juge et du procureur ce qui déséquilibrera encore les armes, ou avec les magistrats mais loin de son client qu’il doit pourtant « assister » ?
Tout cela c’est du pénal or, fort heureusement, le contentieux civil (ou commercial ou social) est plus important me direz-vous. Certes, mais ces procédures ne sont pas épargnées par les négociateurs. Ainsi, il est prévu d’instaurer une procédure d’appel écrite complète dans laquelle les parties ne peuvent fournir des explications orales que « si cela ne retarde pas la procédure ». Il s’agit là d’une condition impossible dès lors que, par hypothèse, l’audience de plaidoiries ne pourra se tenir qu’après l’échange des écrits. Qui plus est, c’est nier l’importance des plaidoiries alors que les magistrats eux-mêmes sont très souvent désireux d’entendre les exposés oraux, ce qui leur permet de poser des questions voire, et ils sont de plus en plus nombreux à le faire, de susciter un réel débat interactif.
Et que dire des appels de jugements de justice de paix ou de tribunaux de police alors que de nombreux justiciables y comparaissent sans avocat ? Pour eux, supprimer l’audience revient quasiment à supprimer l’appel !
Certes la note contient, reconnaissons-le, certains éléments positifs tels la mise en place d’une sorte de permanence Salduz à destination des victimes de violences graves et d’infractions sexuelles, l’encouragement à la médiation, également via le B.A.J., la mise à disposition publique de la banque de données des décisions de l’ordre judiciaire, l’uniformisation des délais d’appel et d’opposition en matière pénale (30 jours) et l’accès facilité des avocats spécialisés à la magistrature mais ils n’empêchent que nous espérons que cette version de la note justice ne se transformera pas en programme de gouvernement, quelle que soit la majorité qui le composera.
Si ce devait être le cas, nous devrions entrer en résistance.
Stéphane Gothot,
Président