Stéphane Boonen,
Administrateur
Relevé dans L’Europe en bref n°1010 du 23 juin au 6 juillet 2023
L’Europe en bref n°1011 du 24 juin au 18 juillet 2023
L’Europe en bref n°1012 du 19 juillet au 7 septembre 2023
L’Europe en bref n°1013 du 08 au 14 septembre 2023
L’Europe en bref n°1014 du 15 au 21 septembre 2023
L’Europe en bref n°1015 du 22 au 28 septembre 2023
L’Europe en bref n°1016 du 29 septembre au 05 octobre 2023
L’Europe en bref n°1017 du 06 au 12 octobre 2023
L’Europe en bref n°1018 du 13 au 26 octobre 2023
L’Europe en bref n°1019 du 27 octobre au 9 novembre 2023
L’Europe en bref n°1020 du 10 au 16 novembre 2023
L’Europe en bref n°1021 du 17 au 30 novembre 2023
L’Europe en bref n°1022 du 01 au 07 décembre 2023
AVOCAT – confidentialité de la correspondance avec le client – violation - Turquie
Le non-respect de la confidentialité des communications entre un avocat et son client, même lors du déclenchement de l’état d’urgence, est contraire à la Convention en l’absence de garanties suffisantes contre l’arbitraire (14 novembre)
Arrêt Canavci e.a. c. Türkiye, requête n°24074/19, 44839/19, et 9077/20
Les requérants, des ressortissants turcs placés en détention provisoire dans le contexte de la tentative de coup d’Etat de juillet 2016, invoquent la violation des articles 8 et 13 de la Convention, alléguant que les entretiens qu’ils ont eu avec leurs avocats respectifs pendant leur incarcération étaient surveillés et enregistrés conformément à un décret-loi adopté pendant l’état d’urgence. Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que les communications entre un client et son avocat, dans le contexte de l’assistance légale, entrent dans le champ d’application de l’article 8. Elle constate donc une ingérence de l’autorité publique du fait de la surveillance et de l’enregistrement de leurs entretiens. Dans un 2nd temps, la Cour EDH précise que de telles ingérences doivent avoir une base légale offrant les garanties nécessaires dans une société démocratique. Or elle constate que le décret-loi ne prévoit pas de mécanisme de réexamen automatique et permanent de la nécessité de telles mesures, alors qu’elles étaient susceptibles d’être arbitraires et incompatibles avec l’exigence de légalité. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 8 §2 de la Convention.
CONDAMNATION A L’ANONYMISATION – droit à l’oubli - absence de violation – Belgique
La condamnation à l’anonymisation d’un article, au nom du droit à l’oubli, n’entraine pas une ingérence disproportionnée à la liberté d’expression d’un éditeur de journal (4 juillet)
Arrêt Hurbain c. Belgique, requête n°57292/16
L’éditeur d’un journal national invoquait une violation de l’article 10 de la Convention pour contester sa condamnation civile l’obligeant à anonymiser une archive d’un article de presse au nom du droit à l’oubli. Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle l’importance de la liberté de la presse et le rôle important des archives de presse numérique et que l’information donnée doit rester authentique, fiable et intègre. Dans un 2ème temps, elle analyse si les juridictions nationales ont correctement mis en balance la liberté de la presse avec le droit au respect de la vie privée de l’individu cité dans l’article. La Cour EDH estime que les juridictions nationales ont pris en compte de manière cohérente la nature et la gravité des faits de nature judiciaire relatés dans l’article litigieux, l’absence d’actualité ou d’intérêt historique ou scientifique de celui-ci ainsi que l’absence de notoriété de l’individu cité. Elle note également que le maintien de l’article litigieux en libre accès était de nature à créer un casier judiciaire virtuel. Dans un 3ème temps, la Cour EDH considère que l’anonymisation litigieuse ne constituait pas une charge exorbitante et excessive et représente la mesure la plus efficace pour la protection de la vie privée de l’individu cité dans l’article. Partant, elle conclut donc à la non-violation de l’article 10 de la Convention.
DROIT DES ETRANGERS – refus de regroupement familial – violation – Suisse
Le refus du regroupement familial basé sur le critère de la dépendance à l’aide sociale constitue une violation de la Convention (4 juillet)
Arrêts B.F e. a. c. Suisse, requêtes n°13258/18, 15500/18, 57303/18 and 9078/20
La Cour EDH rappelle, dans un 1er temps, sa jurisprudence selon laquelle elle laisse aux Etats membres une certaine marge d’appréciation en matière de regroupement familial, notamment concernant le critère de non-dépendance à l’aide sociale. Dans un 2ème temps, elle procède à la mise en balance entre les intérêts des requérants et l’intérêt collectif pour se prononcer sur le refus des autorités nationales d’accorder un regroupement familial aux requérants en raison de leur dépendance à l’égard de l’aide sociale. Elle précise à cet égard que les Etats doivent prendre en compte la vulnérabilité des réfugiés et que le critère de non-dépendance à l’aide sociale doit constituer un des éléments de l’appréciation globale. En l’espèce, 2 des requérants occupaient un emploi rémunéré et un 3ème avait été déclaré médicalement inapte au travail. Dans un 3ème temps, elle estime que les autorités nationales n’ont pas outrepassé leur marge de manœuvre et ont ménagé les intérêts en présence concernant le 4ème requérant qui, alors qu’il pouvait occuper un emploi à temps partiel, n’avait entrepris aucune démarche à cet égard. La Cour EDH ajoute également que la durée de la procédure de regroupement familial ne peut constituer, au regard des faits de l’espèce, une violation de l’article 8 de la Convention. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 8 de la Convention pour 3 des requérants mais pas pour le 4ème. (SL)
DROIT DES ETRANGERS – directive retour – question préjudicielle - France
La directive 2008/115/CE (dite directive « retour ») s’applique à tout ressortissant de pays tiers entré sur le territoire d’un Etat membre sans remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence (21 septembre)
Arrêt ADDE e.a., aff. C-143/22
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Conseil d’Etat (France), la Cour de justice de l’Union européenne a été invitée à déterminer si un Etat membre peut refuser l’entrée sur son territoire d’un ressortissant de pays tiers intercepté sans titre de séjour valable à ses frontières intérieures sur la seule base du règlement (UE) 2016/399 (dit « code frontières Schengen »), sans devoir respecter les normes et procédures communes prévues par la directive « retour ». La Cour précise que le refus d’entrée peut être décidé sur la base du code frontières Schengen mais qu’en vue de l’éloignement de l’intéressé, les normes et procédures communes prévues par la directive « retour » doivent tout de même être respectées. La Cour rappelle à ce titre que la directive « retour » s’applique également lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers, en situation irrégulière, a été appréhendé à une frontière intérieure d’un Etat membre et que cette situation n’entre pas dans les exclusions prévues par la directive « retour ». Elle souligne néanmoins que les Etats membres peuvent placer en rétention un
DROIT DES ETRANGERS - Réfugié palestinien après arrêt de la protection UNRWA – question préjudicielle - France
La protection ou l’assistance de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (« UNRWA ») est réputée avoir cessé lorsque celui-ci se trouve dans l’impossibilité de fournir les soins nécessaires à une personne, de sorte que cette dernière peut se prévaloir du statut de réfugié dans l’Union européenne (5 octobre)
Arrêt OFPRA (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne), aff. C-294/22
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Conseil d’Etat (France), la Cour de justice de l’Union est invitée à déterminer l’articulation de la directive 2011/95/UE, s’agissant de l’accès au statut de réfugié, avec les dispositions de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. La directive exclut l’octroi du statut de réfugié dans l’Union à une personne qui relève du champ d’application de la Convention de Genève, par exemple lorsqu’elle a recours à la protection ou l’assistance sanitaire de l’UNRWA, à moins qu’il n’y ait lieu de considérer que cette protection ou assistance a cessé. La Cour juge en l’espèce que cette protection ou assistance doit être regardée comme ayant cessé dès lors que l’UNRWA n’est pas en mesure d’assurer à un apatride d’origine palestinienne l’accès aux soins et aux traitements médicaux sans lesquels ce dernier court un risque réel de décès imminent ou un risque réel d’être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé ou à une réduction significative de son espérance de vie. Elle précise qu’il est nécessaire de constater que cette personne se trouve dans un état personnel d’insécurité grave qui la contraint à quitter la zone d’opération de l’organisme. Par conséquent, l’impossibilité pour l’UNRWA de fournir les soins nécessaires, conformément à sa mission, implique la cessation de son assistance, de sorte que la personne concernée peut se prévaloir du statut de réfugié dans l’Union.
DROIT PENAL – « non bis in idem » - question préjudicielle - Italie
Le principe non bis in idem s’oppose au maintien dans un Etat membre de poursuites pénales pour pratiques commerciales déloyales lorsqu’une condamnation pénale pour les mêmes faits est devenue définitive dans un autre État membre avant que l’arrêt sur le recours juridictionnel formé contre l’amende imposée dans le 1er Etat membre n’ait acquis force de chose jugée (14 septembre)
Arrêt Volkswagen Group Italia et Volkswagen Aktiengesellschaft, aff. C-27/22
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Consiglio di Stato (Italie), la Cour de justice de l’Union européenne est invitée à interpréter le principe non bis in idem, consacré à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. En l’espèce, les requérantes s’étaient vu imposer en Italie une amende pour pratiques commerciales déloyales, puis, avant que le recours juridictionnel formé contre cette décision ne soit devenu définitif, ont fait l’objet d’une condamnation pénale définitive pour les mêmes faits en Allemagne. Dans un 1er temps, la Cour affirme que les sanctions infligées en matière de pratiques commerciales déloyales peuvent effectivement être qualifiées de sanctions administratives de nature pénale, dès lors qu’elles poursuivent une finalité répressive et présentent un degré de sévérité élevé. Dans un 2nd temps, elle juge qu’il en découle que le principe non bis in idem s’oppose bien au maintien de poursuites pénales dans un Etat membre, quand bien même la condamnation pénale dans le 2nd Etat membre est postérieure à la date d’imposition de l’amende dans le 1er Etat membre mais qu’elle est devenue définitive avant que le recours juridictionnel formé contre cette amende n’aboutisse. Elle précise que la limitation de l’application du principe non bis in idem est autorisée, de sorte à permettre un cumul de procédures ou de sanctions pour les mêmes faits, que dans des conditions strictes. (AL)
DROIT PENAL – primauté du droit pénal européen - question préjudicielle - Roumanie
Les juridictions peuvent écarter les jurisprudences nationales de prescription pénale afin de se conformer au principe de droit européen de prévention et répression effective (24 juillet)
Arrêt Lin, aff. C-107/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Curtea de Apel Brașov (Roumanie), la Cour de justice de l’Union européenne rappelle qu’en principe, les juridictions nationales doivent laisser inappliquées la jurisprudence nationale si celle-ci permet l’application de la prescription de la responsabilité pénale dans un nombre élevé de cas de fraude grave portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, et qui causerait donc un risque systémique d’impunité pour de telles infractions. Toutefois, la Cour considère qu’il reste loisible aux juridictions d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union. Enfin, la Cour rappelle qu’une décision rendue à titre préjudicielle doit être appliquée même si cela nécessite du juge qu’il écarte une jurisprudence nationale. Elle précise que cet écart ne peut être érigé en infraction disciplinaire à l’encontre du juge. (CZ)
DROIT PENAL – mandat d’arrêt européen - double incrimination (non) – question préjudicielle Espagne
L’interdiction de la double incrimination ne s’oppose pas à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen (« MAE ») lorsque les faits à l’origine des condamnations du responsable dans les deux pays ne sont pas identiques (21 septembre)
Arrêt Juan, aff. C-164/22
Saisie à titre préjudiciel par l’Audiencia Nacional (Espagne), la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la décision-cadre 2002/584/JAI sur le MAE. Selon elle, la décision-cadre s’oppose en principe à l’exécution d’un MAE émis par un Etat membre, lorsque la personne recherchée fait déjà l’objet d’un jugement définitif dans un autre Etat membre et y purge une peine d’emprisonnement pour l’infraction constatée dans ce jugement. Toutefois, ce principe ne s’applique qu’à condition que cette personne soit poursuivie pour les mêmes faits dans l’Etat membre d’émission ainsi que dans l’Etat membre où elle purge sa peine, et ce afin de ne pas déroger au principe non bis in idem. Ainsi, pour établir l’existence de mêmes faits, la Cour estime qu’ils doivent impliquer le même auteur et être indissociablement liés dans le temps et dans l’espace. En revanche, il n’y a pas lieu de tenir compte de la qualification des infractions en cause selon le droit de l’Etat membre d’exécution. En l’espèce, s’agissant de la mise en place d’un système pyramidal frauduleux, elle relève que si le mode opératoire était identique dans les 2 Etats membres, les faits poursuivis semblaient se différencier sur plusieurs points.
DROIT PENAL – spray au poivre contre un détenu – violation - Danemark
L’ineffectivité de l’enquête sur l’utilisation sans avertissement préalable d’un spray au poivre contre un détenu, et sans que cet usage ait été rendu strictement nécessaire par le comportement de l’intéressé, constitue une violation de la Convention (3 octobre)
Arrêt El-Asmar c. Danemark, requête n°27753/19
Un détenu placé en cellule d’observation, se plaint d’avoir fait l’objet d’un recours excessif et illégal à la force après avoir été aspergé de gaz au poivre par des gardiens de prison. Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que le recours à la force par les forces de l’ordre contre un individu doit être rendu strictement nécessaire. A cet égard, elle constate que les autorités nationales n’ont pas cherché à démontrer que l’usage de la force à l’encontre du requérant était effectivement strictement nécessaire. Dans un 2nd temps, si la Cour EDH estime que l’usage d’un gaz au poivre peut être justifié à des fins de maintien de l’ordre, elle relève en l’espèce que l’enquête aurait dû comporter un examen permettant de déterminer si les garanties procédurales légales qui entouraient le recours au gaz au poivre avaient été respectées. Par conséquent, la Cour EDH considère que les autorités nationales n’ont pas mené une enquête effective sur les allégations de mauvais traitements formulées par le requérant. Partant, elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention.
DROIT PENAL – confiscation disproportionnée – violation - Bulgarie
Une loi de confiscation de biens est conforme au droit de propriété si et seulement si son champ d’application est restreint et qu’elle impose aux juridictions nationales la démonstration d’un lien entre les infractions commises et les biens dont ils sont issus (26 septembre)
Arrêt Yordanov e.a. c. Bulgarie, requêtes n°265/17 et 26473/18
La Cour EDH analyse les griefs des requérants, 3 ressortissants bulgares, sur le fondement de l’article 1 du Protocole n°1 à la Convention, relatif à la protection de la propriété. Les requérants reprochent à l’Etat bulgare d’avoir confisqué leurs biens, conformément à une loi adoptée en 2012, dont il est allégué qu’ils ont été acquis par le biais d’une infraction pénale. La Cour EDH rappelle que l’article 1 du Protocole n°1 implique que la privation de la propriété est soumise à certaines conditions. Ainsi, les Etats peuvent, entre autres, contrôler l’utilisation des biens conformément à l’intérêt général. Toutefois, la Cour EDH précise que ce contrôle, qui constitue une ingérence dans le droit de propriété, ne peut se faire que s’il est légal, dans l’intérêt public et qu’il est proportionnel aux droit des requérants. En l’espèce, la loi de 2012 opère une mise en balance disproportionnée entre la nécessité de lutter contre les biens mal acquis et la protection du droit de propriété, car son champ d’application vise un nombre important d’infractions, pénales comme administratives. En outre, la loi n’impose pas aux juridictions nationales d’établir un lien entre lesdites infractions et les biens acquis du fait de celles-ci, pour les confisquer. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 1 du Protocole n°1.
DROIT PENAL – injonction interdisant la publication d’une vidéo d’une arrestation – violation - Allemagne
L’injonction comportant une motivation à caractère général rendue contre la publication de la vidéo d’une arrestation dans laquelle un policier est reconnaissable constitue une violation de la Convention (31 octobre)
Arrêt Bild GmbH & Co. KG c. Allemagne, requête n°9602/18
La requérante, une société de presse, se plaignait que l’injonction de retirer la vidéo d’une intervention des forces de l’ordre de son site internet, à moins de brouiller le visage de l’un des policiers impliqués, portait atteinte à sa liberté d’expression. La Cour EDH vérifie que les autorités nationales ont correctement mis en balance les intérêts concurrents, à savoir le droit à la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée. Dans un 1er temps, elle reconnait l’intérêt public légitime des actions de la police en tant qu’institution et note que la publication de l’image d’un policier peut entraîner des conséquences négatives sur sa vie privée. Dans un 2ème temps, elle estime que le simple fait que l’usage de la force par la police n’ait pas été dépeint de manière négative dans la vidéo ne signifiait pas que sa couverture médiatique devait cesser de bénéficier de toute protection. Dans un 3ème temps, elle relève que l’injonction ne s’appliquait pas seulement aux images déjà publiées mais à toutes vidéos à venir et considère que la motivation à caractère général de la décision des juridictions internes pourrait conduire à une interdiction inacceptable de toute publication future d’images non éditées de policiers accomplissant leur mission qui n’aurait pas été autorisée par l’intéressé. La Cour EDH estime ainsi que l’injonction en cause n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Partant, elle conclut à la violation de l’article 10 de la Convention.
DROIT PENAL – condamnation pour corruption – loi accessible et prévisible – non violation - France
Une condamnation pour corruption d’agents publics étrangers n’est pas contraire à la Convention si elle est fondée sur une loi suffisamment accessible et prévisible (12 octobre)
Arrêt Total S.A. et Vitol S.A. c. France, requêtes n°34634/18 et n°43546/18
Les sociétés requérantes, 2 compagnies pétrolières, ont été condamnées pour corruption d’agents publics iraquiens dans le cadre d’achat de pétrole brut, alors qu’était en vigueur le programme de l’Organisation des Nations Unis (« ONU ») dit « pétrole contre nourriture », qui imposait aux compagnies pétrolières de négocier le prix du pétrole à un prix suggéré par le gouvernement iraquien et avalisé par l’ONU. Ils soutiennent que cette condamnation n’était pas prévisible ou accessible au moment de la commission des faits litigieux. S’agissant de la prévisibilité de l’interprétation de la loi d’incrimination, la Cour EDH estime que même si les sociétés requérantes étaient les premières condamnées sur le fondement de cette loi, l’Etat ne pouvait se voir reprocher un manquement à l’exigence de prévisibilité. Elle ajoute par ailleurs, qu’au vu de leur expertise en matière de négoce de pétrole, les sociétés requérantes ne pouvaient ignorer que leur comportement commercial s’inscrivait dans une démarche violant le droit international. Elles pouvaient donc prévoir les éventuelles conséquences de cette violation. S’agissant de l’accessibilité de la loi d’incrimination, la Cour EDH rappelle que celle-ci était en vigueur avant la période au cours de laquelle les faits reprochés aux sociétés requérantes ont été commis. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 7 (pas de peine sans loi) de la Convention.
DROIT DE PROPRIETE – continuité du service public – non violation - France
Une loi s’ingérant dans le droit de propriété est conforme à la Convention dès lors qu’elle poursuit un objectif de continuité du service public et que les justiciables ne sont pas privés de toute compensation ou possibilité d’indemnisation (5 octobre)
Arrêt Sarl Couttolenc Frères c. France, requête n°24300/20
La Cour EDH analyse les griefs de la requérante, une société française exploitant des remontées mécaniques, sur le fondement de l’article 1 du Protocole n°1 à la Convention, relatif à la protection de la propriété. La société requérante se plaint de l’application de la règle des biens de retour qui, à l’échéance de la convention de délégation de service public qu’elle a signée avec la commune qui gère les remontées mécaniques, l’a privée de biens dont elle était propriétaire avant la signature de cette convention, et ce sans qu’une indemnisation ne lui soit versée. La Cour EDH rappelle que toute ingérence de l’autorité publique dans le droit de propriété ne peut se faire que si elle est légale, dans l’intérêt public et qu’elle est proportionnelle au droit de la requérante. En l’espèce, la réglementation sur les biens de retour est légale, puisqu’elle est suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application. En outre, elle poursuit un objectif d’intérêt public car elle vise à assurer la continuité du service public. Enfin, cette réglementation est proportionnée car elle n’a pas privé la société requérante de toute compensation ou possibilité d’indemnisation. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 1 du Protocole n°1.
DROIT DE RETRACTATION – abonnement à distance – période d’essai – question préjudicielle - Autriche
En cas de souscription à un abonnement à distance comprenant une période d’essai gratuite à l’issue de laquelle le contrat devient payant s’il n’a pas été résilié, le droit de rétractation découlant de ce contrat n’est en principe garanti que pour la période d’essai (5 octobre)
Arrêt Sofatutor, aff. C-565/22
Saisie d’un renvoi préjudiciel par l’Oberster Gerichtshof (Autriche), la Cour de justice de l’Union a interprété la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs. En l’espèce, il s’agissait d’abonnements à une plateforme d’apprentissage en ligne, qui devenaient payants à l’expiration d’une période d’essai octroyée aux consommateurs, si ces derniers n’avaient pas résilié le contrat. La question était de savoir si le droit de rétractation concernait seulement la souscription à un abonnement d’essai gratuit de 30 jours ou s’il s’étendait également à la transformation de cet abonnement en abonnement payant lors de sa reconduction. Dans un 1er temps, la Cour considère que le droit de rétractation d’un contrat à distance n’est en principe garanti qu’une seule fois dans le cas d’une souscription à un abonnement comprenant une période initiale gratuite et étant, en l’absence de résiliation, reconduit automatiquement. Dans un 2nd temps, elle juge néanmoins que si lors de la souscription à l’abonnement, le consommateur n’a pas été informé de manière claire, compréhensible et explicite que, après la période initiale gratuite, cet abonnement deviendra payant, il devra alors disposer d’un nouveau droit de rétractation après cette période d’essai.
ENVIRONNEMENT – crise des déchets – violation – Italie
La pollution causée par la crise des déchets en Campanie et par une décharge d’ordures porte atteinte au droit au respect de son domicile et de sa vie privée (19 octobre)
Arrêt Locascia e.a. c. Italie requête n°35648/10
Les requérants ont reproché aux autorités nationales de ne pas assurer le bon fonctionnement des services publics de collecte, de traitement et d’élimination des ordures et de l’absence de sécurité et de nettoyage d’une décharge. Ils ont revendiqué des atteintes graves à l’environnement mettant en danger leur santé et portant préjudice à leur vie privée. Dans un 1er temps, la Cour EDH affirme qu’une exposition aux ordures, en méconnaissance des normes de sécurité, augmente le risque de contracter des maladies et constate que les autorités nationales n’ont pas assuré le bon fonctionnement des services relatifs aux ordures pendant la période d’état d’urgence. La Cour EDH estime donc que l’Etat n’a pas adopté les mesures nécessaires à la protection effective du droit au respect d’un domicile et de la vie privée des requérants, et a méconnu les dispositions de l’article 8 de la Convention. Dans un 2ème temps, concernant le dépôt illégal d’ordures, elle souligne que les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour protéger le droit des requérants au respect de leur vie privée face à la pollution environnementale et reconnait la violation de l’article 8 de la Convention en son volet matériel. Dans un 3ème temps, concernant le manquement allégué des autorités à fournir aux requérants des informations sur la pollution environnementale, il n’y a pas eu de violation de l’article 8 car la situation était connue du public.
EXPORTATION DE GAMETES OU D’EMBRYONS – Non violation – France
L’interdiction d’exporter des gamètes ou des embryons vers un pays qui autorise l’insémination post mortem n’est pas contraire à la Convention (14 septembre)
Arrêt Baret et Caballero c. France, requêtes n°22296/20 et n°37138/20
Les requérantes, deux ressortissantes françaises qui souhaitaient, pour l’une exporter des gamètes de son défunt mari et pour l’autre exporter les embryons du couple qu’elle formait avec son mari décédé vers l’Espagne où la procréation post mortem est autorisée, se sont vu opposer un refus de la part des autorités françaises. Dans un 1er temps, la Cour EDH reconnaît que l’interdiction d’exporter ses embryons ou gamètes vers un pays où la procréation post mortem est autorisée affecte la vie privée car elle constitue une ingérence dans leur droit de tenter de procréer. Dans un 2ème temps, elle estime néanmoins que cette ingérence vise à garantir le respect de la dignité humaine. Dans un 3ème temps, la Cour EDH s’interroge sur la nécessité de l’ingérence litigieuse. Elle précise que la décision d’interdire l’insémination post mortem en France relève d’un sujet de société et que, par conséquent, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. En outre, la Cour EDH note que l’interdiction d’exportation de gamètes ou embryons a pour objectif d’éviter le contournement de l’interdiction d’insémination post mortem en vigueur sur le territoire national. Elle estime donc qu’en exerçant son contrôle sur les refus litigieux, les autorités internes ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, et que partant il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
JUSTICE – régime disciplinaire des juges - violation – Pologne
La Cour EDH a relevé de multiples violations dans une affaire portant sur le régime disciplinaire applicable aux juges en Pologne (6 juillet)
Arrêt Tuleya c. Pologne, requêtes n° 21181/19 et 51751/20
Le requérant, un magistrat polonais connu pour critiquer ouvertement le système judiciaire, a été visé par différentes enquêtes préliminaires qui ont conduit à la levée de son immunité et à la suspension de ses fonctions pendant plus de 2 ans suite à une décision de la chambre disciplinaire de la Cour Suprême. Dans un 1er temps, La Cour EDH, dans la continuité de sa jurisprudence relative au système judiciaire polonais, affirme que la chambre disciplinaire n’est pas un tribunal indépendant et impartial établi par la loi au sens de l’article 6 §1 de la Convention en ce que la composition de cette chambre est influencée par les pouvoirs législatifs et exécutifs. Dans un 2ème temps, elle précise que les mesures prises contre le magistrat ne reposaient sur aucune base légale et qu’elles ont eu un impact significatif sur le droit au respect de la vie privée du requérant. Dans un 3ème temps, la Cour EDH estime qu’il existe une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression du requérant, qui n’est pas prévue par la loi et qui ne poursuit aucun but légitime, et qui peut s’apparenter à des stratégies d’intimidation. Partant, elle conclut à la violation de l’article 6 §1, de l’article 8 et de l’article 10 de la Convention.
JUSTICE – longueur d’une procédure civile - violation – Belgique
La longueur d’une procédure civile devant une juridiction de Bruxelles relève d’un problème structurel auquel l’Etat belge doit remédier (5 septembre)
Arrêt Van den Kerkhof c. Belgique, requête n°13630/19
La Cour EDH rappelle que la justice ne doit pas être administrée avec des retards propres à en compromettre l’efficacité et la crédibilité. En l’espèce, un délai de plus de 7 ans pour l’obtention d’un jugement définitif n’est pas un délai raisonnable alors que l’affaire est toujours pendante devant le 1er degré de juridiction. La Cour EDH souligne que le système de protection des droits garantis par la Convention repose sur le principe de subsidiarité et qu’il appartient aux juridictions nationales de veiller au respect des droits garantis par la Convention. Elle constate par ailleurs que ce système ne peut fonctionner correctement en l’absence d’une justice interne rendue dans un délai raisonnable. Enfin, la Cour EDH affirme que les problèmes tenant à la durée excessive des procédures dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles revêtent un caractère structurel et estime qu’il incombe à l’Etat belge de prendre les mesures nécessaires afin de garantir le droit à être jugé dans un délai raisonnable. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 6 §1 de la Convention.
JUSTICE – Evaluation indépendante des magistrats – Question préjudicielle - Roumanie
La promotion des magistrats vers une juridiction supérieure peut reposer sur une évaluation de leur travail et de leur conduite par des membres de cette juridiction, à condition que ce régime garantisse le respect du principe de l’indépendance et de l’impartialité des juges (7 septembre)
Arrêt Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România », aff. C-216-21
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Curtea de Apel Ploieşti (Roumanie), la Cour de justice de l’Union européenne est interrogée sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’un régime de promotion des juges vers les juridictions supérieures fondé sur une évaluation du travail et de la conduite des candidats par des membres de la juridiction supérieure concernée. Il est reproché à ce régime d’être subjectif, discrétionnaire, et de conduire à une concentration de pouvoirs entre les mains de la commission d’évaluation. La Cour rappelle dans un 1er temps qu’une réglementation nationale relative au régime de promotion des juges doit en tout état de cause garantir le respect du principe de l’indépendance des juges. Dans un 2ème temps, elle considère, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier, que cette concentration des pouvoirs entre les mains de certains membres de la commission d’évaluation ne semble pas leur conférer la capacité d’influencer l’orientation des décisions de la commission et de faire ainsi naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes quant à l’indépendance des juges promus. Dans un 3ème temps, elle relève que les décisions de promotion semblent fondées sur des critères pertinents, faisant l’objet d’appréciations objectives sur la base d’éléments vérifiables, et au terme d’une procédure appropriée.
JUSTICE – Saisine de la CEDH qu’après juge de cassation – non violation - France
La Cour EDH ne peut être saisie que si la procédure a été menée, sauf dispense, jusqu’au juge de cassation (14 septembre)
Arrêt Daoudi c. France, requête n°48638/18
Le requérant, ressortissant algérien assigné à résidence en France depuis près de 15 ans, allègue que cette mesure serait contraire à l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention. La Cour EDH rappelle qu’elle ne peut être saisie qu’après épuisement des voies de recours internes. Dans le cas français d’un recours pour excès de pouvoir, la Cour EDH ne peut être saisie que si la procédure a été menée jusqu’au juge de cassation. Elle estime ainsi que l’intervention du Conseil constitutionnel statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité ne suffit pas à épuiser les voies de recours internes. En outre, la Cour EDH souligne qu’aucune raison ou circonstance particulière ne dispensait le requérant de se pourvoir en cassation. Selon elle, la raison avancée par le requérant, à savoir que l’état de la jurisprudence administrative permettait de considérer que le pourvoi était voué à l’échec, n’est pas de nature à justifier le non-épuisement des voies de recours internes.
JUSTICE – suspension d’un juge pour des infractions commises dans des fonctions antérieures – violation – France.
La suspension temporaire des fonctions d’un juge, en raison de poursuites pénales engagées contre lui pour des infractions présumées commises dans ses fonctions antérieures, constitue une violation de la Convention (10 octobre)
Arrêt Pengezov c. Bulgarie, requête n°66292/14
Le requérant a été suspendu de ses fonctions de juge pour une durée indéterminée et sans maintien de son salaire, par une décision du Conseil supérieur de la magistrature (« CSM ») en raison des poursuites pénales engagées contre lui. Dans un 1er temps, la Cour EDH considère que l’effet cumulatif de l’absence de garanties procédurales et de réelle motivation de la décision du CSM, du contrôle restreint opéré par la juridiction nationale et de l’absence de contrôle juridictionnel de la mise en examen effectuée par le parquet, permet de constater que la juridiction nationale n’a pas procédé à un contrôle d’une étendue suffisante. En revanche, elle note l’absence de déficiences structurelles graves dans la composition du CSM ou d’élément permettant de constater un manque d’impartialité des juges ayant statué en l’espèce. Dans un 2nd temps, la Cour EDH estime que la décision constitue une ingérence dans le droit du requérant à sa vie privée, notamment en raison de l’incertitude quant à la durée de sa suspension, et la juge disproportionnée à l’objectif poursuivi. Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 ainsi qu’à la violation de l’article 6 de la Convention, mais concernant ce dernier, uniquement en ce qui concerne l’étendue insuffisante du contrôle juridictionnel opéré par la juridiction nationale, et non en ce qui concerne son indépendance et son impartialité.
LIBERTE D’EXPRESSION – journaliste – violation – Lituanie
Une sanction dont le niveau de sévérité est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression de journalistes est contraire à la Convention (12 septembre)
Arrêt Eigirdas et Vj Demokratijos plètros fondas c. Lituanie, requêtes n°84048/17 et 84051/17
Deux articles ont été publiés dans un journal concernant un homme d’affaires et ses fils ayant exercé une influence supposée sur les élections à venir grâce à d’importantes dépenses publicitaires. La juridiction suprême a considéré que le 1er article outrepassait les limites de la liberté d’expression et que pour le 2nd, un droit de réponse aurait dû être adressé, et a ordonné la publication de sa décision dans le journal. La Cour EDH considère que le 1er article concernait une question d’intérêt public et les limites de la critique admissible sont plus larges pour une personnalité que pour un simple particulier et que les autorités internes n’ont à aucun moment procédé à une mise en balance entre la protection de la réputation de l’homme d’affaires, actif en politique, et le droit à l’accès à l’information des citoyens. Concernant le 2nd article, elle estime que le droit national relatif au droit de réponse n’est pas conforme aux recommandations du Conseil de l’Europe et que la sanction infligée est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression. Partant, elle conclut à la violation de l’article 10 de la Convention.
PATERNITE – refus de contestation – non violation - France
Le refus des juridictions internes d’examiner l’action du requérant visant à contester la paternité du père légal, en vue de faire établir sa filiation, n’est pas contraire à la Convention (12 octobre)
Arrêt C.P. et M.N. c. France, requêtes n°56513/17 et 56515/17
Les requérants, auteurs d’une action en contestation de paternité, soutiennent qu’en déclarant cette dernière irrecevable, les juridictions internes ont méconnu les principes de prévisibilité et de clarté des règles concernant la computation du délai de forclusion. Dans un 1er temps, la Cour EDH constate que l’existence des délais de forclusion n’ont pas empêché les requérants d’agir plus tôt. Dans un 2ème temps, elle relève que les juridictions internes ont caractérisé les éléments factuels lui permettant de vérifier l’existence d’une possession d’état conforme à la reconnaissance de paternité ainsi que des liens indéfectibles existant entre le père légal et l’enfant. Cette possession d’état était paisible, publique et non équivoque, avec une prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans un 3ème temps, la Cour EDH estime que les juridictions internes ont ménagé un juste équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant, l’intérêt des parents et l’objectif de sécurité juridique. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention.
PATERNITE – refus de prise en considération d’une procédure dans un autre Etat partie – violation – Estonie
L’absence de prise en compte d’une procédure en reconnaissance de paternité pendante dans un autre Etat partie, dans le cadre d’une procédure d’autorisation d’une adoption, constitue une violation de la Convention (10 octobre)
Arrêt I.V. c. Estonie, requête n° 37031/21
Le requérant conteste devant les juridictions nationales l’inscription d’un autre homme dans l’état civil de son enfant biologique. Pendant la durée de la procédure, la mère et l’enfant se sont installés dans un autre Etat partie à la Convention et l’enfant fut adopté par un nouvel homme. La juridiction du 2nd Etat a conclu que le requérant n’avait pas la qualité pour agir pour contester l’adoption au sens du droit national, puisque sa paternité n’avait pas été établie dans le 1er Etat. Afin d’examiner la responsabilité du 2nd Etat dans l’atteinte à la vie privée du requérant, la Cour EDH apprécie si les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu. Dans un 1er temps, elle note un manque de diligence dans le cadre de la procédure d’adoption. La Cour EDH considère en effet que les autorités nationales auraient dû avoir connaissance de la procédure en reconnaissance de paternité pendante dans le 1er Etat, puisque les autorités de ce dernier leur avaient adressé une demande de coopération judiciaire. Dans un 2nd temps, elle constate que les autorités nationales n’ont pas pris en considération les circonstances particulières de l’espèce en rejetant la demande en annulation de l’adoption pour défaut de qualité pour agir. La Cour EDH constate que les autorités nationales n’ont pas correctement mis en balance les différents droits et intérêts des personnes concernées, c’est à dire ceux du requérant et de son fils. Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
REFUS DE PENSION COMPLEMENTAIRE AUX PERES – question préjudicielle - Espagne
Le refus systématique par l’administration d’octroyer une pension complémentaire aux pères constitue une discrimination fondée sur le sexe (14 septembre)
Arrêt TGSS (Refus de complément de maternité) aff, C- 113/22
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Tribunal Supremo (Espagne), la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu qu’une pratique administrative qui consiste à refuser systématiquement d’accorder un complément de pension à des pères et à ignorer les conséquences de l’arrêt du 12 décembre 2019 de la Cour de justice, qui considère que l’octroi aux seules mères de ladite pension est discriminatoire, est contraire au droit de l’Union. La Cour rappelle que les juridictions nationales doivent écarter les dispositions nationales discriminatoires, contraires au droit de l’Union, sans attendre que le pouvoir décisionnel n’en modifie l’état du droit. Elle constate que les hommes doivent réclamer leur pension par voie judiciaire, ceci les exposant à des délais plus longs et à des dépenses supplémentaires. Elle juge dès lors qu’une telle pratique est contraire à la directive 79/7/CEE sur l’égalité de traitement. Selon elle, le juge, qui ne peut se borner à reconnaitre à l’affilié masculin le droit au complément de pension avec un effet rétroactif, doit octroyer une réparation adéquate pour le préjudice subi du fait de cette discrimination. (AD)
R.G.P.D. – examen par l’autorité nationale de la concurrence – non violation - Allemagne
Une autorité nationale de concurrence (« ANC ») peut valablement examiner, dans le cadre de sa compétence en matière de pratiques anticoncurrentielles, la conformité d’un comportement au règlement (UE) 2016/679 (dit « RGPD »), dans les limites de l’appréciation de l’autorité de contrôle chargée de veiller au respect de ce règlement (4 juillet)
Arrêt Meta Platforms e.a. (Conditions générales d’utilisation d’un réseau social) (Grande chambre), aff. C-252/21
Saisie d’un renvoi préjudiciel par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne examine la question inédite de la possibilité pour une ANC de constater une violation du RGPD. Dans un 1er temps, la Cour considère qu’il peut effectivement s’avérer nécessaire pour une ANC d’examiner la conformité d’un comportement d’une entreprise au RGPD afin d’établir l’existence d’un abus de position dominante. Néanmoins, dans ce cas, son appréciation ne se substitue pas à celle de l’autorité de protection des données (« APD ») et elle doit se limiter à ce qui est nécessaire pour constater l’abus de position dominante. Tenue par le principe de coopération loyale, l’ANC doit vérifier si ledit comportement a déjà fait l’objet d’une décision de l’APD ou de la Cour, auquel cas elle ne peut s’en écarter. Dans un 2ème temps, la Cour apporte des précisions sur l’interprétation du RGPD quant à la justification éventuelle d’un traitement de données dites sensibles, et plus généralement sur la possibilité de justifier un traitement de données effectué sans le consentement de la personne concernée. Dans un 3ème temps, elle précise enfin que la position dominante du responsable de traitement ne s’oppose pas en tant que tel à ce qu’un utilisateur puisse valablement consentir au traitement de ses données, mais doit être prise en considération dans l’appréciation du caractère valable et libre du consentement.
R.G.P.D. – Droit à un recours juridictionnel – question préjudicielle - Belgique
La décision de l’autorité de contrôle, par laquelle celle-ci vérifie la légalité du traitement des données personnelles d’une personne, doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel (16 novembre)
Arrêt Ligue des droits humains (vérification du traitement des données par l’autorité de contrôle), aff. C-333/22
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour d’appel de Bruxelles (Belgique), la Cour de justice a déterminé la portée du recours juridictionnel à l’encontre de la décision d’une autorité de contrôle, par laquelle celle-ci exerce les droits d’une personne à l’égard du traitement de ses données personnelles. Dans un 1er temps, la Cour considère qu’il résulte de l’article 17 de la directive (UE) 2016/680 que la vérification par une autorité de contrôle de la légalité du traitement de ses données personnelles constitue une décision à caractère contraignant, qui doit pouvoir faire l’objet d’un recours afin de contester l’appréciation de cette autorité. A moins que des objectifs d’intérêt public s’y opposent, les Etats membres doivent par ailleurs prévoir que les informations contenues dans cette décision mettent effectivement la personne concernée en mesure de défendre ses droits et décider de saisir un juge. Dans un 2nd temps, la Cour juge que lorsque les informations contenues dans ladite décision sont limitées au strict minimum prévu par la directive, le juge saisi doit mettre en balance les objectifs d’intérêts publics soulevés et le respect des droits procéduraux de la personne concernée. A cet effet, les Etats membres doivent prévoir que ce juge puisse prendre connaissance des motifs et des éléments de preuve qui sous-tendent cette décision, ainsi que des conclusions que l’autorité de contrôle en a tirées.
R.G.P.D. – faute d’un sous-traitant – question préjudicielle - Lituanie
Une entité peut être considérée comme responsable de traitement et voir sa responsabilité engagée en cas de violation fautive du règlement (UE) 2016/679 (dit « RGPD ») commise par un sous-traitant (5 décembre)
Arrêt Nacionalinis visuomenės sveikatos centras (Grande chambre), aff. C-683/21
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Vilniaus apygardos administracinis teismas (Lituanie), la Cour de justice de l’Union européenne est invitée à se prononcer sur l’interprétation de la qualité de responsable de traitement dans le cadre du RGPD. En l’espèce, le Centre national de santé publique conteste une amende qu’il s’est vu infliger du fait de multiples violations du RGPD induites par la création, grâce à l’assistance d’une entreprise privée, d’une application mobile aux fins de suivi des données des personnes exposées au Covid-19. Dans un 1er temps, la Cour estime qu’au regard du RGPD, une entité qui a chargé une entreprise de développer une application informatique mobile, et qui a participé à la détermination des finalités et des moyens du traitement des données à caractère personnel réalisé au moyen de cette application, peut être considérée comme responsable de traitement. Dans un 2ème temps, elle ajoute que cette entité reste responsable du traitement même si elle n’y a pas procédé elle-même, ou qu’elle n’y a pas donné explicitement son accord, ou même si elle n’a pas acquis cette même application mobile. Dans un 3ème temps, la Cour juge que 2 entités peuvent être qualifiées de responsables conjoints du traitement même si elles ne se sont pas accordées sur cela ou sur les finalités et les moyens du traitement des données à caractère personnel en cause.
REGIME FISCAL D’EXONERATION – aide incompatible – violation – Belgique
Le régime fiscal d’exonération de certains bénéfices excédentaires d’entités belges intégrées à des groupes multinationaux de sociétés constitue un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur (20 septembre)
Arrêt Belgique c. Commission, aff. T-131/16 RENV
Statuant à nouveau sur le fond après renvoi de la Cour de justice de l’Union européenne, le Tribunal de l’Union est invité à réexaminer la légalité de la décision de la Commission européenne, par laquelle celle-ci a considéré que le régime fiscal belge qui exonère, par le biais de décisions fiscales anticipatives, certains bénéfices dits « excédentaires » des entités belges intégrées à des groupes multinationaux de sociétés lorsqu’elles centralisent des activités en Belgique, y créent des emplois ou y investissent, constituait un régime d’aide d’Etat illégal. Le Tribunal a confirmé la décision de la Commission dans son ensemble. Il relève que celle-ci a correctement conclu à l’existence d’un avantage en faveur de ces entreprises bénéficiaires, financé par des ressources d’Etat. Le Tribunal ajoute que ce régime était sélectif, en ce qu’il n’était pas ouvert à des sociétés qui avaient décidé de ne pas effectuer d’investissements en Belgique, de ne pas y centraliser d’activités et de ne pas y créer des emplois, ou faisant partie d’un groupe de petite taille, alors que ces mêmes entreprises se trouvent dans une situation qu’il juge factuellement et juridiquement comparable à celle des bénéficiaires de ce régime.
VIOLENCES DOMESTIQUES – absence d’enquête – violation - Moldavie
Dans 2 affaires dissemblables de droit de visite parental et de violences domestiques, la Cour EDH a constaté la violation du droit au respect de la vie privée et d’autres articles de la Convention (17 octobre)
Arrêts Luca c. République de Moldova, requête n°55351/17 et Bîzdîga c. République de Moldova, requête n°15646/18
La 1ère requérante reprochait aux autorités de ne pas l’avoir protégée contre des violences domestiques qu’elle aurait subies. Le 2ndrequérant contestait son droit de visite parental qu’il considérait comme particulièrement restrictif à son égard. Concernant la 1ère affaire, la Cour EDH constate que les autorités nationales, lors de leur refus de délivrer une ordonnance de protection, n’ont pas enquêté sur les violences domestiques subies par la requérante et n’ont pas procédé à une évaluation du risque encouru par cette dernière. Au regard de l’attitude discriminatoire des autorités, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 3 de la Convention. Concernant la 2nde affaire, elle constate que les juridictions nationales n’ont pas examiné la recevabilité des demandes du requérant sans motiver leur refus. Elle juge qu’elles ont dès lors privé le requérant du droit à se défendre et partant, violé l’article 6 §1 de la Convention. Dans les 2 affaires, elle rappelle que les processus décisionnels en droit de la famille doivent être équitables et respecter les intérêts des parties. Les juridictions nationales doivent notamment se livrer à un examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale tout en prenant en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qui n’est était pas le cas en en l’espèce. Dans les 2 cas, la Cour EDH conclut donc à la violation de l’article 8 de la Convention.