La Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège organise traditionnellement sa séance de rentrée solennelle le troisième vendredi de novembre.
En raison d’un genre de virus dont la presse se fait parfois l’écho depuis quelques mois, cette séance avait été reportée sine die en novembre 2020, dans l’attente de jours meilleurs.
De jours meilleurs, il n’est encore question et l’équipe du Jeune Barreau principautaire a dès lors décidé d’organiser sa séance solennelle durant des jours juste « moins pires ». On n’a, après tout, que le bonheur qu’on se donne.
Comme Maître Thomas Bocquet, l’Orateur du jour, ne jouait pas de guitare dans une église, il a pu prononcer son discours sans être interrompu par la maréchaussée et devant un parterre d’une cinquantaine de convives triés sur le volet et, bien évidemment, masqués et distants. On a connu des ambiances plus chaleureuses pour pareille prestation.
Un discours ne s’improvise pas et, généralement, son thème est connu, de l’orateur à tout le moins, des mois voire des années avant d’être écrit et qui plus est prononcé. Maître Thomas Bocquet peut dès lors être qualifié de visionnaire, lui qui nous a entretenu du « prix d’une vie » à une époque où cette question est au centre de bien des débats.
« Tout s'achète. L'amour, l'art, la planète Terre, vous, moi. Surtout moi. L'homme est un produit comme les autres, avec une date limite de vente. » C’est par ces mots empruntés à Octave Parango, le héros du film 99 francs tiré du roman éponyme de Frédéric Beigbeder que Maître Bocquet a entamé son discours.
L’homme est un produit comme les autres. Ses organes ont un prix, sa santé a un prix, sa maladie et les soins qu’elle nécessite ont également un prix. Sa vie et la manière dont il la mène ont un prix lequel n’est cependant pas déterminé par l’homme lui-même, mais par des paramètres dont il n’a pas la maitrise.
Une petite heure durant, Maître Thomas Bocquet a magistralement mis en lumière les contradictions qui sont celles d’une société qui aimerait sortir la vie du marché tout en lui donnant une valeur dans bien des circonstances, la plupart du temps dramatiques. Une valeur qui diffère, selon que vous serez puissants ou misérables, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, européens, américains, asiatiques ou africains.
Convoquant quelques penseurs, au rang desquels ne figurait pas Philippe Risoli dont l’expertise en matière de juste prix était pourtant évidente, Maître Bocquet a clos son discours par un vibrant appel à un prix équivalent pour chaque vie, de Bombay à New-York, de Lesbos à … Liège, évidemment.
En réplique à ce discours engagé, Monsieur le Bâtonnier Bernard Ceulemans a déplacé le débat du prix d’une vie à la valeur de la solidarité. S’appuyant sur la gestion de la crise sanitaire par nos gouvernants, Monsieur le Bâtonnier a démontré que la réponse apportée par l’Etat à la pandémie permet de voir l’apparition de la conscience sociale d’une solidarité institutionnalisée qui a fait le choix humaniste de placer la vie au-dessus de toutes considérations.
La séance solennelle s’est poursuivie par la remise de deux prix distincts. Le prix Julia Grandry récompense une avocate de moins de 10 années de barreau qui valorise la réputation de la profession, notamment grâce à son investissement au sein du barreau et auprès des plus démunis. Il a été attribué, non sans émotion, à Maître Laure Papart. Le prix de l’innovation a quant à lui été décerné au cabinet de … l’orateur du jour, Maître Thomas Bocquet.
Arrivait déjà le terme de cet après-midi de rentrée solennelle bien sage. L’équipe de la revue s’était fendue d’une petite vidéo dont la bienveillance ne manquait pas de surprendre et qui n’a pas égayé les foules avant qu’elles ne se dirigent vers la sortie où les attendaient des petites bouteilles d’eau de Spa bouchonnées pour éviter toute contamination. O tempora, O mores !
Quelques coups de coude et autres checks plus tard, tout le monde reprenait la route de sa bulle en se disant que si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie…
Philippe Culot,
Avocat au barreau de Liège-Huy