Arrêts de la Cour constitutionnelle du 11 janvier 2024 : une victoire pour notre secret professionnel !

Chères Consœurs,
Chers Confrères,

La défense du secret professionnel de l’avocat est une mission essentielle – et hélas plus actuelle que jamais - de l’O.B.F.G. Les projets de loi se succèdent qui, d’une manière ou d’une autre, y portent atteinte et les responsables politiques éprouvent des difficultés manifestes à pleinement intégrer toutes les conséquences de ce principe cardinal d’un état de droit, dans les textes de loi qu’ils préparent. Des exemples récents l’ont rappelé notamment en matière de lancement d’alerte, de lutte contre le blanchiment ou de protection du consommateur. 

Dans ce contexte, il est particulièrement heureux que, la semaine dernière, la Cour constitutionnelle ait rendu 4 arrêts qui, à la suite de recours en annulation émanant entre autres de l’O.B.F.G., censurent des lois, décrets et ordonnance au motif qu’ils portent clairement atteinte au secret professionnel de l’avocat.   

Ces 4 décisions interviennent dans le vaste cadre des divers recours introduits à l’encontre des textes législatifs qui ont transposé en droit belge les directives européennes en matière de lutte contre le blanchiment d’abord, la directive concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontaliers (dénommée directive DAC 6) ensuite.

Aussi techniques qu’ils soient, les textes de ces directives – et s’agissant des actions qui ont conduit aux décisions de la Cour Constitutionnelle de la semaine dernière – le texte de la directive DAC 6 posent d’évidentes questions de principe. 

La directive DAC 6 introduit une obligation de déclaration à l’administration fiscale des dispositifs transfrontaliers fiscaux à caractère potentiellement agressif. Elle s’inscrit dans un mouvement global de développement d’outils juridiques à disposition des États afin de faciliter la coopération en matière fiscale, la transparence et la lutte contre l’érosion des bases imposables. À cette fin, elle astreint les acteurs participant à la conception, la commercialisation, l’organisation ou la gestion de la mise en œuvre d’une opération transfrontalière qui pourrait s’avérer potentiellement agressive sur le plan fiscal, à déclarer cette opération aux autorités fiscales nationales et, qui plus est, à fournir à l’administration un rapport périodique fournissant une mise à jour contenant les nouvelles informations devant faire l’objet d’une déclaration. 

Ce qui fait l’originalité – mais aussi, pour l’avocat, le danger - de cette directive, est que l’obligation de déclaration à l’administration fiscale qu’elle instaure repose en premier lieu sur les intermédiaires (c’est-à-dire les personnes qui participent à l’élaboration ou à la mise en œuvre de ces dispositifs). Ce n’est que lorsque l’intermédiaire peut invoquer le secret professionnel ou qu’il n’y a pas d’intermédiaire, que l’obligation de déclaration existe dans le chef du contribuable. En outre, même lorsque l’avocat peut invoquer le secret professionnel dans ce contexte, il est, selon les textes législatifs critiqués, soumis à certaines obligations puisque dans un tel cas, il doit informer les autres intermédiaires, par écrit et de façon motivée, qu’il ne peut pas satisfaire à son obligation de déclaration à propos d’une opération donnée. 

Les textes transposant cette directive DAC 6 aux niveaux fédéral, régionaux et communautaires ont donc fait l’objet de recours de la part notamment de l’O.B.F.G. Les arrêts de la Cour constitutionnelle rendus en juillet 2023 (à propos du recours concernant le décret flamand) et la semaine dernière (pour les recours frappant les autres textes législatifs) rappellent l’importance du secret professionnel dans des termes dénués de toute ambiguïté. 

La Cour y souligne que « le secret professionnel de l’avocat est une composante essentielle du droit au respect de la vie privée et du droit à un procès équitable. Le simple fait d’avoir recouru à un avocat est soumis au secret professionnel. Il en va de même en ce qui concerne l’identité des clients d’un avocat. ». Elle se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle « la protection spécifique que l’article 7 de la Charte et l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH accordent au secret professionnel des avocats, qui se traduit avant tout par des obligations à leur charge, se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables. Cette mission fondamentale comporte, d’une part, l’exigence, dont l’importance est reconnue dans tous les États membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin et, d’autre part, celle, corrélative, de loyauté de l’avocat envers son client. »

Or lorsque l’avocat est, en raison du secret professionnel, dispensé de l’obligation de déclarer une opération à l’administration fiscale, la directive DAC 6 et les textes qui la transposent lui imposent néanmoins de notifier sans retard aux autres intermédiaires qui ne sont pas ses clients les obligations de déclaration qui leur incombent en vertu de la directive. Cette notification de l’avocat implique nécessairement que les autres intermédiaires qui la reçoivent, acquièrent connaissance de l’identité de l’avocat qui leur écrit, du fait qu’il est consulté à propos d’une opération donnée et de son appréciation selon laquelle cette opération devrait faire l’objet d’une déclaration à l’administration fiscale.

Sur la base de ce constat, la Cour constitutionnelle aboutit à la conclusion que cette levée du secret professionnel est contraire au droit au respect de la vie privée et au droit à un procès équitable. Elle annule en conséquence les dispositions législatives incriminées.

Elle sanctionne de la même manière l’obligation pour les avocats d’adresser à l’administration fiscale des rapports périodiques mettant à jour leur déclaration initiale.

Si la matière concernée par ces textes législatifs – les opérations transfrontalières à caractère fiscal potentiellement agressif - est spécifique et éminemment technique, les questions qu’ils posent touchent à des principes de base de l’état de droit et de notre profession. Il est heureux que la Cour constitutionnelle rappelle avec vigueur ces principes et en souligne l’importance majeure. Pour sa part, l’O.B.F.G. continuera plus que jamais à veiller à leur respect, à en exposer toutes les implications et à intervenir lorsqu’il y est porté atteinte.

Vos bien dévoués, 

Pierre Sculier,
Président

Marc Fyon,
Administrateur

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Pierre
Sculier
Président

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Vous trouverez sur le site internet de la Délégation des Barreaux de France les résumés en français des principaux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui concernent la profession d’avocat.

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