Le Brexit n’en finit plus de mourir en soubresauts, un de ces derniers avatars étant l’ordonnance rendue par la cinquième chambre du Tribunal ce 7 décembre 2021 sous la référence T-424/211.
Les faits sont simples. La société de droit allemand DAIMLER AG souhaite soumettre à la censure du Tribunal une décision de l’Office de l’Union européenne pour la Propriété intellectuelle (EUIPO).
Les dates sont importantes pour la compréhension du litige, ainsi que de la décision du Tribunal.
La décision de l’EUIPO est rendue le 7 mai 2021 et le recours de DAIMLER est déposé au greffe du Tribunal le 12 juillet 2021. Dans sa requête introductive, DAIMLER est représentée par trois juristes exerçant au Royaume-Uni, le premier étant un Patent attorney litigator, les deux autres portant le titre de Barrister, leur ouvrant le droit à plaider devant les juridictions britanniques en application et sous les réserves prévues par le droit de cet État.
Le 19 juillet 2021, le Tribunal invite la requérante à régulariser sa requête qui n’est pas introduite par des avocats ayant le droit de plaider devant les juridictions internes des États membres et ce, en application de l’article 51.4 du Règlement de procédure du Tribunal. Le 31 août 2021, les requérants produisent un certificat du Conseil général du barreau d’Angleterre et du Pays de Galles au sujet des deux Barristers.
L’article 19, alinéa 4 du Statut de la Cour de justice réserve aux avocats habilités à exercer devant les juridictions des États membres de l’UE ou de l’EEE l’assistance et la représentation devant la Cour de justice, comme le rappelle le Tribunal dans son ordonnance du 7 décembre 2021.
La question se pose donc de savoir si, au moment de l’introduction de la requête, la requérante dans cette affaire était bien représentée par un avocat ayant le droit d’assister et de représenter ses clients devant les juridictions internes des États membres et ce, bien entendu, à l’aune des différentes phases de l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.
L’Accord de retrait du Royaume-Uni est publié au Journal officiel le 31 janvier 20202 et fixe, en son article 126, une période de transition allant jusqu’au 31 décembre 2020 inclus et au-delà de laquelle la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sera effective, sans préjudice des exceptions visées dans le texte même de l’accord ou dans d’autres textes.
En matière de représentation en justice devant la Cour, l’article 91 de l’Accord de retrait prévoit ce type d’exceptions, mais les limite aux procédures déjà en cours3, aux procédures engagées contre le Royaume-Uni dans le cadre limité de l’accord de retrait, ou contre des actes de l’Union adoptés avant la fin de la période de transition4.
En quelques paragraphes, dans une ordonnance rendue en application de la procédure accélérée5, le Tribunal rejette le recours comme étant manifestement irrecevable, la requérante n’étant pas représentée par un avocat habilité à représenter ses clients devant les juridictions d’un État membre de l’UE ou de l’EEE. Le Tribunal confirme en cela sa jurisprudence habituelle6.
Cette solution est bien entendu doublement à approuver, même si l’on en est encore à se demander comment une erreur de cette ampleur a pu être commise par des professionnels du droit.
Elle l'est d'abord en vertu de l'application des accords de sortie du Royaume-Uni et en lien avec l’ambition politique affichée par les leaders britanniques, notamment celle de la Première ministre Theresa MAY dans son discours du 11 juillet 2016, le jour de sa succession au Premier ministre CAMERON7.
Elle l’est aussi au regard de la jurisprudence habituelle de la Cour de justice sur la nécessaire représentation des parties par des avocats.
On a parfois tendance à l’oublier mais la notion d’avocat, au sens du Statut de la Cour de justice, relève d’une notion autonome du droit de l’Union, au contraire du critère selon lequel, comme dans l’ordonnance annotée, le représentant des parties est autorisé à les assister et à les représenter en justice, qui relève du droit interne8.
En d’autres termes, le représentant d’une des parties peut disposer du droit de les représenter dans les procédures juridiques nationales, mais pas devant la justice européenne, comme l’a rappelé la Cour de justice dans un arrêt très récent sur la nécessaire indépendance de l’avocat, qui n’est pas toujours garantie dans le droit interne9.
Ces deux critères, celui de la qualité d’avocat indépendant des parties et celui de disposer du droit de représenter des parties devant les juridictions d’un État membre de l’Union ou de l’EEE, s’ils s’apprécient, pour le premier, en tant que notion autonome du droit de l’Union et, pour le second, au regard du droit interne, demeurent des garanties de l’efficacité et de la qualité de l’administration de la justice européenne.
Par Xavier Koener,
Avocat à la Cour (Barreau de Luxembourg)
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1 T.U.E., 7 décembre 2021, Daimler AG c. EUIPO, Aff. T-424/21, non publié
2 Accord du 24 janvier 2020 sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, JO L n°29, 31 janvier 2020, p. 7
3 Art. 91.1 de l’Accord de retrait
4 Art. 91.2. de l’Accord de retrait
5 Art. 126 du Règlement de procédure du Tribunal
6 C.JF.U.E., 11 mai 2017, Neonart svetlobni in reklamni napisi Krevh/EUIPO, Aff. C 22/17 P, EU:C:2017:369, points 6 et 7, et C.J.U.E., 12 juin 2019, Saga Furs/EUIPO, Aff. C 805/18 P, EU:C:2019:488, points 5 et 6
7 Et le désormais célèbre « Brexit means Brexit »
8 C.J.U.E., 4 février, 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, AFF. JointesC 515/17 P et C 561/17 P, EU:C:2020:73, point 56
9 C.J.U.E., 22 mars 2022, EJ e.a. c. EUIPO, Aff. C-529/18 P et 531/18 P, ECLI:EU:C:2022:218, point 65 et la jurisprudence citée, not. C.J.U.E., 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a., Aff. C 550/07 P, EU:C:2010:512, point 42