Retrouvez ci-dessous une interview de Marc Nève par Laurent Kennes au sujet du nouveau du conseil national de surveillance pénitentiaire et du droit de la plainte. N'hésitez pas à réagir !
Me Nève, vous avez récemment été nommé président du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire (CCSP). Pourriez-vous préciser le rôle de cette institution et des Commissions de Surveillance (CdS), ainsi que du statut de leurs membres ?
Voilà comment je crois pouvoir résumer la situation :
La Loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus institue le Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire (CCSP) en tant qu’organe indépendant et impartial de contrôle et d’avis veillant à garantir les droits et la dignité humaine des personnes détenues. Il bénéficie à ce titre d’une dotation annuelle de la Chambre des représentants.
Le Conseil Central a pour mission d’exercer un contrôle indépendant sur les prisons, sur le traitement réservé aux détenus et sur le respect des règles les concernant. Il a aussi pour tâche de soumettre à la Chambre, au ministre de la Justice et au ministre qui a les soins des santé pénitentiaires dans ses attributions, soit d’office, soit à la demande de ceux-ci, des avis sur l’administration des établissements pénitentiaires et sur l’exécution des peines et mesures privatives de liberté. D’autre part il appartient au Conseil de créer des Commissions de surveillance (CdS) auprès de chacun des trente-six établissements pénitentiaires du pays et d’en assurer l’appui, la coordination et le contrôle de fonctionnement. Enfin, il doit aussi rédiger, pour la Chambre et les ministres précités, un rapport annuel.
Ces nouveaux organes de surveillance, remplaçant ceux qui existaient précédemment et qui relevaient de l’autorité du ministre de la Justice, ont pris fonction en 2019 : le 24 avril pour le Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire et le 1er septembre pour les Commissions de Surveillance.
Le Conseil Central est composé de douze membres effectifs et d’autant de membres successeurs. Après une audition par la commission de la Justice, ils ont été nommés par la Chambre au printemps 2019, à une majorité des deux tiers. Quatre d’entre eux sont nommés à temps plein et forment le Bureau. Et c’est aussi la Chambre qui a nommé parmi eux le président et la vice-présidente. La composition du Conseil et du Bureau respecte la parité linguistique. Les membres effectifs exercent un mandat de cinq ans, renouvelable deux fois.
Quant aux différentes Commissions de Surveillance, elles sont constituées de bénévoles, d’horizons professionnels divers et variés, nommés par le Conseil Central. Leur mission consiste dans les tâches suivantes : visites à la prison (au moins une fois par semaine) ; consultation de documents et registres ; entretiens avec des personnes détenues, le personnel pénitentiaire, la direction de la prison, ainsi qu’avec toute personne susceptible de fournir des informations en lien avec le fonctionnement de la prison et le traitement réservé aux personnes détenues ; médiation entre les personnes détenues et la direction de la prison si nécessaire afin de trouver une solution à un problème donné ; participation à une réunion mensuelle de la Commission ; rédaction de rapports de visite et d’un rapport annuel ; rédaction d’avis et de propositions adressés au Conseil Central en vue d’améliorer le traitement des personnes détenues ; et enfin, à partir du 1er octobre 2020, traitement des plaintes des personnes détenues à l’encontre des décisions de la direction d’établissement.
Le Conseil central a récemment procédé à la réorganisation des commissions de surveillance. Avez-vous rencontré des difficultés pour pourvoir à leur composition ?
Les appels publiés en vue de recruter des bénévoles ont eu pas mal de succès. En effet, nous avons enregistré plus près de mille cent candidatures pour quelques centaines de places à pourvoir. Cela étant, s’il est vrai qu’il y eut par exemple de très nombreuses candidatures pour les prisons bruxelloises, pour quelques autres, situées loin de grands centres urbains, nous n’avons pas toujours eu assez de candidats.
En octobre 2020, il sera, en principe, mis en place un système de commissions des plaintes. Pourriez-vous nous indiquer quel sera leur statut et leur rôle ?
C’est le vaste chantier auquel nous nous sommes attelés à présent, soit la mise en place du droit de plainte prévu par la Loi de principes. Crée en 2005 il verra donc enfin le jour au 1er octobre prochain ! Chaque Commission de surveillance va devoir constituer parmi ses membres une Commission des plaintes de trois membres, présidée par une personne titulaire d’un master en droit.
De quelles plaintes ces commissions auront à connaître ? Les détenus et avocats pourront-ils introduire un recours contre toute mesure disciplinaire ?
Un détenu peut se plaindre auprès de la Commission des plaintes de toute décision prise à son égard par le directeur ou au nom de celui-ci. De plus, l'omission ou le refus de prise de décision dans un délai légal ou, à défaut, dans un délai raisonnable, sont assimilés à une décision susceptible d’être soumise à la Commission des plaintes.
Le contentieux des recours contre les décisions disciplinaires alimentera vraisemblablement de façon importante le contentieux soumis à la Commission des plaintes. Et les avocats ont bien entendu un rôle essentiel à jouer.
Pourront-ils aussi le faire contre d’autres types de mesures, telle qu’une mesure d’ordre ?
La Commission pourra être saisie de toute décision prise par le directeur à l’égard d’un détenu, ce qui implique bien entendu les mesures d’ordre. Sans doute y aura-t-il des cas où la Commission devra se déclarer incompétente, par exemple un recours relatif à la vétusté de l’installation ou l’exiguïté d’une cellule, situations qui, comme telles ne découlent pas directement de la décision d’un directeur. Les Commissions auront à apprécier cela en toute indépendance comme toute juridiction. Du reste, comme l’a précisé la Cour constitutionnelle dans un arrêt qui remonte à novembre 2018[1] ces nouvelles instances sont autant d’« organes pénitentiaires appropriés dotés d’une fonction juridictionnelle ».
Que peut décider la commission des plaintes ?
Si la plainte est déclarée fondée, la Commission annule la décision et peut soit charger le directeur de prendre, dans un délai qu'elle détermine, une nouvelle décision tenant compte de sa décision, soit déterminer que sa décision se substitue à la décision annulée, soit se limiter à une annulation complète ou partielle de la décision. Le directeur doit supprimer les effets de la décision annulée ou mettre cette dernière en conformité avec sa décision. C’est assez dire que le pouvoir de la Commission est important. D’autant plus que sa décision est exécutoire sans préjudice de la possibilité de recours.
Pour être complet, précisions que les parties qui ont été déboutées peuvent interjeter appel de la décision de la Commission des plaintes auprès de la Commission d'appel.
Il y aura donc une instance d’appel ; comment sera-elle composée ?
Le Conseil Central va constituer parmi ses membres une commission d'appel francophone et une commission d'appel néerlandophone, comprenant chacune trois membres. Chaque Commission d'appel est présidée par un magistrat du siège.
Une procédure spécifique décrivant les délais et modalités de de recours existe-t-elle déjà ?
Le détail de la procédure est encours de rédaction. Le moment venu, cette procédure, une fois mise au point en concertation aussi avec l’administration pénitentiaire, sera bien entendu publiée au Moniteur. Quant aux délais à respecter, la loi de principes les a déjà déterminés et c’est en fonction de ces délais très stricts que nous travaillons sur le fil conducteur à mettre en place au moyen des textes en préparation.
N’est-il pas particulier de mettre en place des commissions avant de décrire la procédure qui permettra de les saisir ?
En réalité, cela va se faire de concert. Et ce que nous nous chargeons de mettre en musique, ce sont les choix faits par le législateur et qui ont été en quelque sorte avalisés par la Cour constitutionnelle par l’arrêt auquel j’ai fait référence. Pour mémoire, la Cour avait été saisie d’un recours en annulation faisant valoir, en substance, l’absence d’impartialité des nouvelles instances (Commissions des plaintes et Commissions d’appel) dès lors que certains membres aient pu, au vu des autres compétences dévolues au Conseil central de surveillance pénitentiaire et aux Commissions de surveillance, rencontrer le détenu, la détenue ou la direction de la prison partie à l’affaire portée devant elles. Et la Cour constitutionnelle, au terme d’une analyse de l’ensemble des dispositions nouvelles, a rejeté ce recours.
L’existence de ces nouvelles procédures inquiète-t-elle le monde pénitentiaire ?
D’une part, tout le monde est bien conscient qu’il est essentiel que le droit de plainte, introduit voici plus de quinze ans déjà, doit enfin voir le jour. En outre, par différents arrêts récents la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé cette nécessité de disposer, au sens de l’article 13 de la Convention, d’un recours effectif. Cela étant dit, je ne vous surprendrai pas en vous indiquant qu’en effet, l’avènement du droit de plainte, suscite une certaine nervosité du côté de nombreux directeurs de prison. Mais n’est-ce pas le propre de tout changement ou de toute innovation de susciter certaines méfiances ? Rappelons-nous l’assistance de l’avocat dès la première audition. Qui aujourd’hui remet en cause cette avancée inaugurée elle aussi grâce à la jurisprudence de la Cour européenne ? Or, comment ne pas se rappeler aussi la méfiance voire l’hostilité face à cette nouveauté pourtant essentielle.
Pensez-vous qu’elles seront de nature à modifier les comportements en prison ?
Bien entendu ! Le respect des droits fondamentaux est primordial. En outre, il est tout aussi essentiel que ces innovations contribuent à s’interroger sur l’emprisonnement et sur notre politique en la matière.
Que pourriez-vous conseiller aux avocats sensibilisés par la situation carcérale mais qui, par manque de temps, n’ont le plus souvent pas l’occasion d’assister leurs clients pour des audiences disciplinaires ?
Le contentieux pénitentiaire est un contentieux essentiel en ce sens qu’il touche au noyau dur du droit pénal, la privation de liberté et toutes ses dérives. Trop peu d’avocats s’y investissent. Et je me permets là aussi de faire un parallèle vis-à-vis de la procédure pénale. Quel avocat pénaliste n’a-t-il pas réalisé à quel point l’assistance lors d’une audition pouvait en certains cas être déterminante pour la suite de la procédure ? Et du reste, pour poursuivre en ce sens, il ressort des premiers contacts pris avec les Barreaux en vue de prévoir l’assistance des avocats dans le cadre du droit de plainte de s’inspirer du système des « permanences Salduz ».
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[1] C.C., 8 novembre 2018, n°150/2018.
Marc Nève,
Avocat au barreau de Liège
Laurent Kennes,
Avocat au barreau de Bruxelles