Vers une justice accessible à toutes et tous : réflexions sur l’accessibilité du Palais de justice de Bruxelles

Peut-on parler d’un véritable accès à la justice lorsque certains ne peuvent franchir la porte d’un tribunal ?

L’accessibilité des lieux de justice constitue une condition essentielle de l’État de droit. Le droit d’accès à la justice, garanti par les instruments internationaux et constitutionnels, ne saurait se limiter à un simple accès procédural ou juridique : il implique également la possibilité physique, concrète et digne de pénétrer dans les bâtiments judiciaires et d’y exercer ses droits.

À cet égard, le Palais de justice de Bruxelles incarne à la fois la grandeur symbolique du pouvoir judiciaire et les contradictions d’un patrimoine confronté aux exigences contemporaines d’inclusion. Monument classé, chef-d’œuvre d’architecture, il demeure paradoxalement difficile d’accès pour nombre de personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite.

Cette situation interroge directement la portée réelle du droit à une justice ouverte à toutes et à tous. Elle invite à réfléchir, au-delà des contraintes techniques et patrimoniales, à la responsabilité juridique et morale des pouvoirs publics face à l’exigence d’accessibilité universelle.

C’est à cette réflexion que le présent texte entend modestement contribuer.

  1. Une question d’accès, au sens plein du terme

Le droit d’accès à la justice est un droit fondamental. Il suppose non seulement un accès juridique – procédural, linguistique, ou financier – mais aussi physique.

Lorsqu’un justiciable, un avocat ou un magistrat rencontre des obstacles matériels pour entrer dans un tribunal, c’est l’effectivité même de l’État de droit qui se fragilise.

Le Palais de justice de Bruxelles illustre cette tension. Classé comme monument par l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 3 mai 2001, il appartient à l’État fédéral et est géré par la Régie des Bâtiments. Son statut patrimonial exceptionnel, bien que porteur d’une valeur historique indéniable, complexifie la mise en œuvre des exigences contemporaines d’accessibilité universelle.

En raison de sa configuration architecturale et de son statut de bâtiment classé, le bâtiment demeure encore aujourd’hui difficilement accessible aux personnes à mobilité réduite, aux personnes atteintes de déficiences sensorielles, intellectuelles ou psychologiques, ainsi qu’à celles souffrant de maladies chroniques ou de limitations temporaires.

Escaliers multiples sans alternative, ascenseurs en panne, signalétique illisible ou absente, et absence d’aménagements spécifiques : ces difficultés, pourtant bien connues et documentées, n’ont à ce jour pas abouti à des solutions durables et effectives. Elles maintiennent, de facto, une forme d’exclusion du service public de la justice.

  1. Un cadre juridique exigeant

Cette situation soulève des interrogations à la fois juridiques et institutionnelles, à la lumière des engagements internationaux et nationaux de la Belgique.

Au niveau international, la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), ratifiée par la Belgique en 2009, impose aux États de garantir l’accessibilité (article 9) et un accès effectif à la justice (article 13). La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (articles 21, 26 et 47), la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que la Stratégie européenne 2021–2030 pour les droits des personnes handicapées, rappellent également la nécessité d’une accessibilité réelle et non purement formelle.

En Belgique, la question est désormais élevée au rang constitutionnel. Depuis 2021, l’article 22ter de la Constitution garantit à chaque personne handicapée « le droit à une pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables ». Ce droit complète et renforce les principes d’égalité et de non-discrimination (articles 10 et 11) ainsi que celui de dignité humaine (l’article 23).

Les lois du 10 mai 2007 relative à la lutte contre les discriminations et du 13 mars 2009 sur l’accessibilité des bâtiments publics traduisent ces principes en obligations concrètes qui incombent aux pouvoirs publics.

Il en résulte que l’État ne saurait se prévaloir du caractère patrimonial d’un bâtiment pour s’exonérer de ses obligations en matière d’accessibilité, sauf à méconnaître la hiérarchie des normes et la portée directe des engagements internationaux et constitutionnels susvisés.

  1. Une réalité complexe, un impératif de coordination

Reconnaissons-le : le défi est réel, et il ne peut être ignoré. Le Palais de justice de Bruxelles est un bâtiment classé, occupé, et partagé entre différentes autorités.

Sans anticiper les solutions techniques – qui relèvent de la compétence des ingénieurs et architectes –, il nous paraît opportun d’ouvrir un espace de réflexion interdisciplinaire, réunissant magistrats, avocats, administrations, associations et experts du handicap. Cette réflexion pourrait notamment porter sur :

  • des mesures transitoires (rampes amovibles, signalétique adaptée, accompagnement humain spécifique) ;
  • une amélioration de l’accessibilité numérique et procédurale (visioconférences, guichets virtuels) ;
  • une concertation continue avec les personnes concernées, pour évaluer les besoins concrets et en assurer le suivi.
  1. Vers une justice exemplaire

Le présent texte n’est pas une critique, mais une invitation : celle à réfléchir, ensemble, aux moyens de rendre notre justice plus accessible, plus inclusive, plus fidèle aux principes que nous portons au quotidien.

La question de l’accessibilité ne concerne pas uniquement les personnes en situation de handicap : elle nous concerne directement, et l’image que nous voulons donner à notre institution. Un lieu de droit qui n’est pas accessible par tous ne cesse-t-il pas d’être un lieu de droit ?

Il n’est jamais trop tard pour corriger le cap. Le chantier de rénovation du Palais représente ainsi une formidable opportunité : celle de réconcilier patrimoine et inclusion, prestige et accessibilité.

En mobilisant les expertises juridiques, techniques, associatives et humaines, nous pouvons transformer ce symbole bruxellois en modèle de justice accessible, à la hauteur des engagements de notre État de droit.

C’est par une action conjointe des professions du droit, des autorités publiques et des justiciables que pourra s’incarner la promesse constitutionnelle accès universel aux droits – non pas en théorie, mais en réalité.

Vicky SHEIKH et Derya KIZIL
Pour la Commission Diversité et Inclusion.

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