"La leçon n’en sera que plus efficace. Tous ces réformateurs, avec leurs théories sur l’humanisation des peines, l’amendement des condamnés, ruineront la prison et – je n’hésite pas à le dire – corrompront l’Angleterre. Ce qu’il faut aux condamnés, c’est un travail harassant, un lit de planches et une maigre pitance. Ajoutez le silence et la discipline et vous avez une chance de les décourager de recommencer. Je dis bien une chance, parce que quand je vois tous ces vieux chevaux de retour, je pense que nous sommes encore trop bons avec eux."
Et on dit que seules les mouches sont assez bêtes pour tenter mille fois de sortir de la pièce dont elles veulent s’évader en se frappant sur la même fenêtre, alors qu’il leur suffirait de se retourner pour filer par la porte ouverte qui se trouve derrière elles…
Ce discours sur la prison, ici mis dans la bouche de major Isaacson, directeur de la prison de Reading, nous l’avons entendu mille fois. Il a beau être complètement faux, il est politiquement correct. Il flatte l’opinion. Il est de bon ton. Pourtant nous savons qu’il est complètement contreproductif. La prison ne reclasse pas. La prison ne rééduque pas. La prison ne sauve pas. La prison avilit. La prison asservit. La prison transforme les hommes en bêtes sauvages. La prison nie la dignité humaine. La prison exclut. La prison nourrit la criminalité. Et plus le régime carcéral est strict, plus il en est ainsi.
Cet ouvrage, dénommé Théâtre I (est-ce donc la promesse d’un deuxième tome ? L’auteur est prudent sur ce point), comprend trois pièces dont deux sont inédites. La troisième, dont sont extraites ces lignes, dénommée « C.3.3. » du numéro de matricule d’Oscar Wilde à la prison de Reading, est la seule à avoir été déjà jouée et publiée (1995, Actes Sud). Elle est précédée d’une introduction historique, « Oscar Wilde ou l’injustice », dans laquelle Robert Badinter décrit le contexte d’un procès hors normes, qui vit l’Angleterre condamner et entrainer la déchéance d’un des plus grands écrivains qu’elle ait connus. C’est qu’il n’était pas noble et qu’il était homosexuel. Récit d’une mise à mort annoncée par le système judiciaire que nous citons pourtant régulièrement en exemple. Il est vrai qu’à la même époque, en France, on jugeait un petit capitaine juif…
« Chacun de nos procès est le procès d’une vie entière, de même que toutes les sentences sont des sentences de mort », a écrit Oscar Wilde dans son De profundis.
"Cette nuit, la mort sera là, dans chaque cellule, accroupie dans l’ombre. Les uns veilleront, certains prieront, quelques-uns dormiront. Mais leur sommeil sera si lourd qu’ils auront l’impression de tomber toujours plus loin dans un puits noir. Et quand vient le moment ultime, même si nous glissons dans les couloirs comme des spectres, nous savons que, derrière chaque porte, il y a un visage tendu qui guette, l’œil collé au judas. Et puis, quand l’homme tombe dans la trappe, et qu’il danse dans l’air ou il n’y a plus d’appui, alors…"
Deux autres pièces, inédites donc, composent ce (premier ?) volume. La première, « Cellule 107 », évoque aussi la prison. Elle nous conte la dernière nuit de Pierre Laval, exécuté en octobre 1945 à la prison de Fresnes. Laval fut vice-président du conseil des ministres sous le régime de Vichy. Il aurait passé cette nuit en compagnie de Robert Bousquet, ancien préfet et secrétaire général de la police de Vichy, qui réussira, lui, à se faire absoudre en 1949 par la Haute cour de justice, en faisant valoir des services qu’il aurait rendu à la résistance…
La rencontre serait établie. Le dialogue est imaginaire.
« Les briques rouges de Varsovie » se déroule en mai 1943 dans une des dernières maisons du ghetto en flammes. Quatre personnages se sont réfugiés dans une petite pièce à l’étage. Il y a un rabbin qui attend sereinement la mort, un policier juif, trafiquant sur les bords, qui espère toujours s’en tirer, un bundiste qui veut se sacrifier en tuant un maximum de boches et une jeune idéaliste sioniste qui croit toujours pouvoir rejoindre Israël.
Deux huis-clos, où les hommes sont face à eux-mêmes, face à leur vie, face à leur mort. Avec toujours une part d’humanité[1], si ténue soit-elle, et une autre, faite de petites ou grosses turpitudes, de lâchetés, de trahisons, de gestes ordinaires et de regrets. Des vies d’hommes qui ont connu l’un des pires carnages que notre espèce ait produits. Des hommes qui ont été persécutés ou qui ont persécuté. Des hommes quand même.
Ecoutons, Schmiele, le bundiste, juste avant la fin.
"Je n’ai pas été un Juste sur cette terre, j’ai été un homme ordinaire avec une vie ordinaire. Je n’ai pas respecté tous les commandements, loin s’en faut. Je n’ai pas toujours été un bon fils, ni un bon mari, peut-être même pas un bon père. Mais dans la balance de la Justice, que représentent ces péchés-là au regard des souffrances atroces que nous avons connues ? Je ne parle pas de la misère, de la faim, ni du froid, de la maladie, des humiliations, ni de la peur, tous les jours, tout le temps. Ça encore, je peux l’admettre, même si c’est cher payé pour de pauvres péchés d’homme. Mais les rafles, les coups, l’Umschalgplatz, les vieillards jetés dans les wagons, et surtout la mort des enfants à Treblinka, dans les chambres à gaz, ça, je ne peux pas le comprendre, ni le pardonner, même à Dieu, s’il existe."
Difficile, en effet.
Patrick Henry,
Ancien Président
[1] Je prends bien sûr ce mot dans son sens noble car qui contestera que les turpitudes, les lâchetés, les trahisons… soient aussi proprement humaines ?