Le Fil blanc : le Classique
Le Fil blanc aborde chaque mois, par le biais d’un article qui se veut court et lisible, un thème spécifique relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent.
Les honoraires et le blanchiment : prudence et bon sens
Rappelons quelques principes.
La loi préventive contient la disposition qui prohibe le paiement d’un bien ou d’un service en espèces pour plus de 3.000 € ; ce plafond est à comprendre par dossier, et non par prestation. Il s’agit d’une des seules dispositions de la loi anti-blanchiment du 18 septembre 2017, en ses articles 66 et 67, qui est sanctionnée pénalement (l’autre étant relative à l’obstruction au contrôle des autorités qui en ont la charge, à savoir les bâtonniers, autant se le rappeler)1.
Mais il faut quitter le domaine de l’anti-blanchiment pour apercevoir le problème principal : recevoir en paiement de ses honoraires ce qui est manifestement le profit directement tiré d’une infraction pénale est susceptible d’être qualifié de blanchiment, au sens de l’infraction pénale. Blanchir, en droit pénal belge, c’est faire quelque chose (l’un des actes énumérés aux 2°, 3° et 4° de l’alinaé 1er de l’article 505 du Code pénal, dont la simple détention en connaissance de cause) avec ce que l’on sait, ou devrait savoir, être le profit tiré de n’importe quelle infraction pénale. L’avocat ne bénéficie d’aucune immunité pénale sur ce point2.
La primauté du droit de la défense doit bien entendu conduire à une appréciation raisonnable des situations : ce n’est pas parce que tel secteur économique est connu pour connaître des fraudes (horeca, bâtiment, nettoyage, par exemple, mais quel secteur n’en connaît pas ?) que les avocats ne peuvent plus percevoir sans danger des honoraires ; en revanche, obtenir des honoraires élevés directement issus d’une escroquerie internationale, par virement d’une société offshore, voire recevoir des billets encore enliassés provenant d’un récent braquage d’un transport de fonds ou de la caisse d’un grand magasin, promet des réveils difficiles… De façon moins évidente, soyons particulièrement attentifs à des situations qui pourraient conduire l’avocat à devoir se justifier, comme des honoraires qui seraient payés par une société en difficulté pour la défense des intérêts d’un de ses dirigeants.
Autrement dit : modération, prudence, respect des limites relatives aux espèces, vigilance par rapport aux tiers payeurs, utilisation réglementaire des comptes de qualité et transfert des honoraires sur les comptes adéquats, autant de pratiques raisonnables et conformes aux usages qui mettront les avocats à l’abri de suspicions particulièrement désagréables.
André Risopoulos
Avocat au Barreau de Bruxelles
Membre de la Commission anti-blanchiment d’AVOCATS.BE
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1 Ce qui n’induit pas que les sanctions administratives de la loi AML soient douces !
2 Cass. 18 janvier 2005 (P04.1225.N) : « Attendu qu’un avocat ne jouit pas de l’immunité pénale pour les infractions prévues à l’article 505 du Code pénal ; que le fait qu’un avocat peut être condamné du chef d’une des infractions prévues à cet article lorsqu’il a perçu des fonds pour la défense d’un prévenu qui sont des avantages patrimoniaux provenant d’une infraction, ne constitue pas une violation des droits de la défense, du droit à un procès équitable ou de la présomption d’innocence de ce prévenu ;
Que, dans cette mesure, le moyen manque en droit. »