Le Juge, l’Etat et le Climat…et l’Avocat ?

En Belgique, le 30 novembre 2023, la Cour d'appel francophone de Bruxelles a condamné l'État et les Régions (sauf la Wallonie) pour leur politique climatique insuffisante.

La demanderesse, l’asbl Klimaatzaak a été fondée en 2014 par des citoyens qui souhaitaient agir contre la politique climatique de la Belgique. 

Le 17 juin 2021, le tribunal de première instance avait jugé que les autorités ne s'étaient pas comportées de manière normale, prudente et diligente au sens de l'article 1382 de l'ancien Code civil, en n’ayant pas pris pas toutes les mesures nécessaires pour prévenir les conséquences du changement climatique. Ce faisant, elles ont, selon le tribunal, violé les droits fondamentaux, en particulier les articles 2 et 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.  

Les défendeurs avaient fait appel de cette décision, un appel incident ayant été introduit visant à obtenir la condamnation des défendeurs à réduire les émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES) de la Belgique d'au moins 48 % d'ici à 2025 et d'au moins 65 % d'ici à 2030. 

Selon la Cour, la question qui se pose n'est pas de savoir si la vie des demandeurs est en danger ou s'il existe un risque d'atteinte grave à leurs droits du fait du réchauffement climatique causé par la politique climatique belge. La question est de savoir s'il existe un danger réel et immédiat dû au réchauffement climatique qui oblige le gouvernement à agir pour prévenir le danger ou faire cesser une atteinte déjà enclenchée. La Cour estime qu'elle doit examiner si les défendeurs ont fait et continuent à faire leur part dans la lutte contre le réchauffement climatique pour empêcher le franchissement d'un seuil dangereux.  

Pour déterminer les obligations de la Belgique, même s'il ne s'agit pas d'obligations de résultat, le point de départ sera la réduction des émissions. La fixation d'un objectif insuffisant couplée à des résultats qui le sont également constituent, selon la Cour, une présomption suffisante que les autorités publiques n'ont pas pris les mesures appropriées pour prévenir le risque grave et imminent.  

Pour la période 2013-2020, une réduction de 30 % des émissions d'ici 2020 (par rapport à 1990) a été fixée comme minimum pour se conformer à l'article 2 de la CEDH. La Cour conclut que seule la Région wallonne a réussi à respecter cette obligation positive. Les autres défendeurs n'ont pas pris les mesures appropriées et raisonnables.  

En ce qui concerne la période 2021-2030, il y a moins de consensus sur les réductions nécessaires. La Cour conclut ici que l'objectif de -55% en 2030 devrait être atteint au minimum. Elle constate que l'État belge, la Région flamande et la Région de Bruxelles-Capitale restent en défaut de démontrer qu'ils auraient pris des mesures appropriées et raisonnables pour permettre à la Belgique de réaliser cette réduction et de mettre ainsi fin à la violation de l'article 2 de la CEDH. La Cour constate donc à nouveau que la violation de l'article 2 de la CEDH dans le chef de ces trois parties.  

L’appel est donc fondé, sauf en ce qui concerne la Région wallonne. Dans la mesure où l’appel incident vise à faire constater qu'il existe des indices sérieux et non équivoques que la politique climatique 2030 des défendeurs continue de violer l'article 2 de la CEDH, il n'est pas fondé.   

En ce qui concerne l'article 8 de la CEDH, le lien de causalité entre le réchauffement climatique et l'impact négatif sur la résidence des demandeurs est établi. " La seule circonstance que les pouvoirs publics semblent avoir enfin compris la nécessité d'agir ne peut suffire à exclure le lien causal précité. ". La Cour parvient aux mêmes conclusions sur le fond que pour l'article 2 de la CEDH.  

Rappelant enfin que la responsabilité extracontractuelle de l'Etat peut être engagée dans l'exercice de sa fonction exécutive, la Cour examine les prétendues fautes dénoncées par les demandeurs et constate que le comportement des trois défendeurs est fautif. En effet, leur contribution à la réduction des émissions GES était nettement insuffisante pour rencontrer les risques de réchauffement climatique. La Belgique n'ignorait pas depuis 2007 et au moins depuis 2009 que les émissions devaient être réduites d'au moins 25 % d'ici 2020.  

La Cour estime que l'on peut attendre d'un État normalement prudent et diligent qu'il se fixe dans un premier temps un objectif de réduction des émissions GES. Selon la Cour, non seulement la gouvernance climatique belge, mais aussi la mise en œuvre était défectueuse. Elle estime que la Région flamande, l'État belge et la Région de Bruxelles-Capitale ont violé les articles 1382 et 1383 de l'ancien code civil. En ce qui concerne la période 2021-2030, la Cour se limite à constater une faute dans la mesure où la révision à la hausse des ambitions climatiques est intervenue trop tardivement et les politiques effectivement mises en place ne sont manifestement pas susceptibles d’atteindre l’objectif de réduction des émissions d'au moins 55 % d'ici 2030.  

En conséquence, l’appel est fondé dans la mesure où il établit une faute des parties défenderesses dans le cadre de la politique climatique qu'elles ont mise en œuvre, sauf à l’égard la Région wallonne.  

En ce qui concerne le préjudice, les demandeurs invoquaient qu'il s'agissait non seulement du préjudice collectif d'atteinte à l'environnement, mais également de leurs personne et patrimoine. La Cour estime que les effets du réchauffement climatique, tels que les vagues de chaleur et la sécheresse, sont subis en tant que dommages individuels par chacune des parties.   

Selon la Cour, il existe un lien de causalité entre les erreurs qu'elle a constatées et les dommages subis par les demandeurs. En effet, sans les erreurs commises, l'anxiété aurait diminué, de même que le préjudice moral, le budget carbone restant n'aurait pas été affecté dans la même mesure, les intérêts de l’asbl Klimaatzaak auraient été sauvegardés et la Belgique serait en meilleure position pour lutter efficacement contre le risque d'un réchauffement climatique dangereux.  

Après avoir examiné la recevabilité d'une injonction visant à réparer l'atteinte illicite à des droits individuels et avoir évalué les mesures, la Cour se limite à une injonction ayant pour objectif de réduire les émissions GES.  

Il n'a pas été statué sur d'éventuelles astreintes, la Cour n'étant pas convaincue que l'effet utile de l'arrêt nécessite l'imposition immédiate d'une astreinte. La Cour ne se prononce pas sur ce point tant que les chiffres officiels des émissions de gaz à effet de serre pour la Belgique, la Région de Bruxelles-Capitale et la Région flamande ne sont pas connus.

En France, saisi de l’exécution de son jugement du 14 octobre 2021 par lequel il avait ordonné la compensation du dépassement du plafond des émissions de gaz à effet de serre fixé par premier budget carbone (2015-2018), le tribunal administratif de Paris considère que la réparation du préjudice écologique a été tardive mais est désormais complète.

Par un jugement du 14 octobre 2021, le tribunal a enjoint à l’État de prendre, au 31 décembre 2022, toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et à prévenir l’aggravation des dommages, à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone, soit 15 Mt CO2eq.

Saisi en tant que juge de l’exécution, il lui revenait, pour la première fois, de préciser les modalités de son office dans le cadre de la réparation d’un préjudice écologique.

Le tribunal a, dans son jugement n° 2321828/4-1 du 22 décembre 2023, rappelé qu’au regard de l’autorité de chose jugée s’attachant au jugement du 14 octobre 2021, qui n’avait pas été contesté par les parties et était, dès lors, devenu définitif, il ne lui appartenait ni de modifier le montant du préjudice restant à réparer de 15Mt CO2eq en prenant en compte des données inconnues à la date où il avait statué ni d’adopter une nouvelle méthode de comptabilisation des émissions de CO2 en prenant en compte la capacité des forêts, des prairies et des zones humides à stocker une partie de CO2.

Au terme de son analyse, le tribunal constate d’abord que l’État, conformément à l’injonction qui lui avait été faite, avait adopté ou mis en œuvre des mesures de nature à réparer le préjudice en cause.

Le tribunal a aussi estimé que si des circonstances extérieures, liées à l’épidémie de la Covid-19 ou la guerre en Ukraine, avaient également influé sur la baisse des émissions de CO2, il n’y avait pas lieu d’en neutraliser les effets, dès lors que cette réparation s’apprécie au regard des objectifs d’émissions fixés par le premier budget carbone, et qu’il ne revient pas au juge de l’exécution, dans le cadre de ce litige, de contrôler, de façon prospective, le respect de la trajectoire climatique de la France d’ici à 2030.

Pour autant, au regard des données disponibles pour les années 2021 et 2022, le tribunal a considéré que la réparation du préjudice écologique ne pouvait être regardée comme complète à la date du 31 décembre 2022, la part du préjudice restant à réparer s’établissant à 3 ou 5 Mt CO2eq, selon les hypothèses retenues.

Il n’a, toutefois, pas considéré qu’il y avait lieu de prononcer des mesures d’exécution supplémentaires dès lors que l’analyse des émissions de GES au premier trimestre 2023 par rapport à 2022 (- 4,2 %, soit 5 Mt CO2eq) avait déjà permis de réparer le préjudice restant à couvrir.

Les demandes d’exécution formées par les associations ont, en conséquence, été rejetées. Un appel a été interjeté à cet égard.

Que faut-il en retenir ?

Qu’en Belgique comme en France, en raison de politiques tardives, les juges « font la pluie et le beau temps » ?

L’avocat ne peut non plus rester inactif…suite au prochain numéro !

Pierre Henry, 
Administrateur en charge du développement durable

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