Le coup de Jarnac

En cette semaine de Pâques, retrouvez dans cette rubrique l’expression, l’injure, le mot et la curiosité grâce auxquels vous pourrez tenter de paraître intelligent et cultivé en société !

L’expression : Un coup de Jarnac

L’on a parfois l’impression que certaines législations ou décisions gouvernementales constituent de la part de leurs auteurs de véritables coups de Jarnac. Dumas se posait déjà la question : « D'ailleurs, qui sait si tout cela n'est pas un coup de Jarnac politique »1.
Tout le monde le sait, le coup de Jarnac est le coup en traître. Mais est-ce vraiment le cas ? Et qui était ce bon Jarnac ?

La locution a pour origine un duel qui s’est déroulé le 10 juillet 1547, sur l’esplanade du château de Saint-Germain-en-Laye, devant le roi Henri II et sa cour. 

Les deux protagonistes sont Guy Chabot de Saint-Gelais, baron de Jarnac, à droite, et François de Vivonne, seigneur de La Châtaigneraie, à gauche. La cause du duel est complexe et l’on retiendra bien entendu un déshonneur familial suite à une raillerie mesquine. A l’époque, Henri II était Dauphin, et le roi François Ier refusa le duel estimant qu’il s’agissait de “querelles de femmes jalouses”. A l’avènement de Henri II, Chabot réitéra sa demande qui fut acceptée. Il est vrai que Jarnac est accusé d’être l’auteur d’un écrit qui a attiré l’attention sur les relations adultères d’Henri avec Diane de Poitiers…

Les duels à l’époque étaient des « jugements de Dieu ». Assez logiquement, Dieu était censé donner la victoire à celui qui était dans son bon droit. Mais, en 1385, le perdant d’un duel se trouvait ensuite innocenté, mettant à mal le principe du jugement de Dieu, et l’on ne parla plus ensuite que de « duels judiciaires », comme en l’espèce, encore appelés « ordalies ». 

Le duel judiciaire entre nos deux seigneurs se tint selon des règles précises. Les combattants en armure usèrent notamment d’une épée à deux mains.  Après la proclamation du héraut : « De par le Roi, laissez aller les vaillants combattants et, sous peine de la vie qu'il soit fait aucun signe de la main, du pied, de l’œil, de la voix ou en toussant, ni autre faveur de l'un et de l'autre », le duel commença. La partie s’annonçait mal pour le pauvre Jarnac... son adversaire était connu pour sa grande maîtrise des armes et était de plus, le favori du roi. Néanmoins, Jarnac usa d’une technique apprise par un spadassin italien : il coupa le jarret de son adversaire, cette partie du corps n’étant pas protégée par l’armure. La Châtaigneraie, épargné Jarnac mais dépité et humilié, arracha ses pansements, se vidant alors de son sang, et mourut le lendemain, tant de sa blessure que de la douleur d’avoir été vaincu en présence du roi. 

Le roi d’ailleurs fut bien peiné de la mort de son favori et interdit à l’avenir les duels publics. Le duel de Jarnac est donc le dernier exemple de duel judiciaire autorisé par la magistrature.

L’expression en elle-même fut d’abord synonyme d’habileté. En effet, ce n’était pas un coup de traître que cette botte, comme on l’a cru à tort et tant répété depuis : en plusieurs rencontres, elle avait été employée et ne pouvait donc pas même être considérée comme une botte bien secrète. On se souvient d’ailleurs très bien que dans le duel entre De Genlis et Des Bordes, qui se déroula aussi à Saint-Germain, Des Bordes eut un jarret coupé, dont il demeura estropié et boiteux. Dans une autre rencontre près de Rome, au Monte-Rotondo, un capitaine italien assénait à M. de Rouillon, gentilhomme gascon, un grand coup d’estramaçon sur le jarret, qui le fit tomber sans qu’il pût se relever. 

Mais à partir du dictionnaire de Trévoux (1771, publié par les Jésuites, alors que Jarnac était protestant), l’expression prit un sens péjoratif qu’on lui trouve encore aujourd’hui. Larousse et aussi Littré néanmoins rétablirent l’acception d’origine : « (...) Ce coup fut trouvé très habile et fournit une expression proverbiale, qui a pris un sens odieux ; mais c’est un tort de l’usage, car le coup de Jarnac n’eut rien que de loyal, et le duel se passa dans toutes les règles de l’honneur. A la suite de cela, un jarnac s’est dit aussi pour un poignard ». L’expression étant attestée à partir de 1803, peu après la publication du dictionnaire, c’est principalement le sens de traîtrise qui sera généralement retenu.

(Je rassure nos amis socialistes français, aucun rapprochement à faire entre cette locution et le village de naissance de François Mitterrand.

L’insulte : Gringuenaude

Pâques étant passé, les lapins ont laissé derrière eux de jolis petits œufs tout bruns. La transition est rapidement faite avec une gringuenaude, qui n’est autre qu’une petite crotte. On utilisait ce mot sale pour désigner les petits morceaux d’excrément qui restaient accrochés aux fesses d’une personne très sale. L’on parle dans un français plus châtié de petite ordure qui s’attache donc aux émonctoires…

Le mot est repris par Rabelais comme une « crotte qui reste au fondement »2.

Il serait apparu dès 1478-80 par le patronyme Gringuenault, nom burlesque basé sur une équivoque scabreuse dans L’Enqueste de Coquillard3. On retiendra en revanche difficilement l’hypothèse d’une dérivation à partir de gringue au sens de « morceau de pain, croûton », suffixé par analogie avec baguenaude, chiquenaude, étant donné l’attestation tardive de gringue (XXe siècle). Je reviendrai d’ailleurs peut-être sur l’expression « faire du gringue » plus tard.

Extraits choisis :

« Elle avait surtout assez de sa casquette, ce caloquet, sur lequel les fleurs chipées chez Titreville faisaient un effet de gringuenaudes pendues comme des sonnettes au derrière d'un pauvre homme »4.

Et aussi, cette fois, parlant de l’écrivain précité : « Ah ! que celui-là [Zola] représente bien cette relavure de l'espèce humaine, cette gringuenaude des siècles qui se nomme le Bourgeois contemporain »5

Ne me remerciez pas.

Le mot : Mofette, n.f. Chim.anc.

Tout gaz non respirable. (Mofette atmosphérique : l’azote ; mofette inflammable : hydrogène carburé ou grisou). 

Aussi en géologie, une émanation de gaz carbonique d’origine volcanique. 

Mais surtout en zoologie, un synonyme de moufette, ce mammifère connu pour l’odeur fétide qu’il exhale

La curiosité : La famille « Confisquer et Fisc »

Payer des impôts n’est pas une activité récente ; puisque le nom latin fiscus, qui signifiait à l’origine « panier à argent », prit à date ancienne le sens de « fisc, cassette impériale ». Fiscus passa en français, où il est attesté en 1278 avec la forme fisque. Ensuite, il devint fisc, mais ne changeait rien, il fallait payer. Et le même nom fiscus donna, déjà en latin, le verbe confiscare, littéralement « faire entrer dans le trésor impérial ». Le français l’emprunta en 1331, et confisquer fit son entrée dans notre langue.

Jean-Joris Schmidt,
Administrateur

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1 Alexandre Dumas, Le comte de Monte-Cristo, 1861

2 Rabelais, Pantagruel, éd. V.L. Saunier, champ IX bis, ligne 458

3 Coquillard, L’Enqueste, éd M.J.Freeman, 879

4 Zola, Assommoir, 1877, p.726

5 BLOY, Lieux communs,1902, p. 215

A propos de l'auteur

Jean-Joris
Schmidt
Ancien administrateur

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