L’armistice se lève à l’Est, par Jean-Marc Rigaux, Murmure des Soirs, 2018, 178 p., 16€.
« Croyez-moi, monsieur le président, pour être un bon juge, il faut servir la loi, l’ordre en place et l’exigence des armes. C’est d’ailleurs ce que j’ai toujours fait. Simplement, aujourd’hui, je ne peux plus. Je ne dispose plus de cette énergie et de cette inertie combinées. Pardonnez-moi ».
1919. Kassa la Hongroise est devenue Kosice la Slovaque, dans le fracas de l’effondrement de l’empire austro-hongrois. Le magistrat hongrois ne servira pas l’ordre tchécoslovaque nouveau. Par désenchantement plus que par conviction ? Ces hommes à qui l’on enlevait leur nationalité y perdaient-ils aussi une partie de leur âme ?
Une histoire parmi onze autres.
Onze histoires d’il y a cent ans, au moment où la grande boucherie s’est arrêtée, juste avant qu’arrive la grippe espagnole qui tua (peut-être, car comment faire réellement le décompte ?) plus encore que les hommes eux-mêmes.
Avec son troisième recueil de nouvelles, Jean-Marc Rigaux atteint une belle maturité.
Entre le dernier mort de la guerre, dont le décès est antidaté pour en amoindrir la cruauté, et ce vieux militaire allemand qui, tout juste veuf, vient mourir, le jour où l’homme débarque sur la lune, dans un accident de car à Dinant, là où en 2016 il s’était illustré en, peut-être, détruisant la maison de mes ancêtres, il y a donc onze destins, onze histoires qui se conjuguent pour nous faire toucher l’horreur de la guerre, c’est-à-dire la nôtre.
C’est donc une histoire pointilliste, contée avec une grande délicatesse. Une série de destins qui ne se croisent pas. Des hommes et des femmes qui vivent et qui meurent, qui meurent surtout, çà et là, parce que leurs vies ne comptent pas. Ils ne sont que des pions, sur un gigantesque échiquier.
C’était le temps où la mort d’un régiment, voire d’un bataillon, comptait pour peu. Cela a-t-il changé aujourd’hui ? Il est vrai que, dans nos pays, la mort est devenue une injustice. Entendons-nous, je veux dire la mort des nôtres …
Il y a, parmi ces personnages, un avocat, Maître Émile Durnal. Il avait vingt ans en 1914. Le hasard l’a fait échapper au sac de sa ville. Il est devenu spécialiste de la réparation des dommages de guerre. Il doit aujourd’hui plaider pour la famille de Rudy Himmer, un industriel d’origine allemande qui avait fait la richesse de la ville de Dinant, qui a tenté de s’interposer, qui l’a payé de sa vie.
Venger la mort avec des mots.
« En assassinant Rudy Himmer, c’est nous qui avons été anéantis.
Aucune réparation ne sera suffisante.
Les Allemands voulaient son sang.
Nous voulons maintenant leur argent ».
Tourne la roue …
Patrick Henry, ancien Président.