Interview - Vincent Macq, Président de l'Union Professionnelle des Magistrats

Depuis trois ans, vous présidez l'Union Professionnelle de la Magistrature (UPM). Pourriez-vous nous préciser quelle est sa mission et qui elle représente ?

La conviction de l’UPM est que dans un Etat démocratique, une justice efficace et accessible à tous ne peut être rendue que par un Pouvoir judiciaire fort et indépendant. Nous sommes une association résolument pluraliste qui représente des magistrats francophones de tous rangs et de toutes fonctions.  Véritable force de proposition, l’UPM se bat depuis 20 ans pour affirmer et défendre l’indépendance de la Justice entendue comme une garantie essentielle pour le justiciable. Nos autres missions sont d’assurer la défense des intérêts des magistrats et des stagiaires judiciaires, au besoin par l’introduction de recours en Justice, et de nouer un dialogue avec la société civile afin de mieux faire connaître notre institution et ainsi tenter de combler le fossé qui nous sépare trop souvent des citoyens.

Vous ferez plus ample connaissance avec nous en visitant notre site : www.upm.be

Quelles sont, pour vous, les priorités qui doivent être celles du ministre de la justice ?

Le ministre de la Justice est le premier partenaire du Pouvoir judiciaire au sein du Pouvoir exécutif.  Il devrait être avant tout le garant de l’indépendance de la Justice.  De même, c’est également lui et son administration qui devraient nous fournir des conditions de travail qui nous permettent d’atteindre les objectifs que nous partageons avec lui : une Justice plus rapide, sans omettre l’indispensable sérénité, et plus efficace, sans omettre l’indispensable humanité.

Malheureusement, nous avons trop souvent été confrontés à des ministres de la Justice qui se sont érigés soit en contrôleur du Pouvoir judiciaire, au risque de bafouer la séparation des pouvoirs, soit en percepteur de deniers, au risque d’appauvrir une institution déjà à cours de moyens humains ou matériels.

Concrètement, nous attendons du ministre de la Justice qu’il restaure la confiance et le respect entre les Pouvoirs exécutif et judiciaire par la voie du dialogue et de la concertation. A ce titre, les discours parfois hâtifs voire démagogiques sur les dysfonctionnement réels ou prétendus de la Justice n’aident pas à la restauration de cette confiance, de même qu’ils créent dans l’esprit du citoyen l’image d’une justice qui serait essentiellement déficiente.

Nous attendons également qu’il nous dote enfin d’un outil informatique digne du 21ème siècle. Une Justice moderne est impensable sans le passage au dossier électronique en toutes matières et sans l’implémentation d’un système informatique performant et intégré, partagé par l’ensemble des acteurs de la chaine pénale ou de la chaine civile.

Enfin, nous attendons aussi qu’il mette à notre disposition des bâtiments fonctionnels qui répondent aux exigences élémentaires de sécurité, de salubrité et de bien-être au travail et qu’il respecte la loi en nommant les magistrats et le personnel judiciaire selon les cadres qui sont prescrits par le code judiciaire.

Vous avez pris connaissance de la note de politique générale du nouveau ministre de la Justice. En quelques mots, qu’en pensez-vous ?

On ne peut que se réjouir dans lire dans la note l’accent mis sur la nécessaire indépendance de la Justice et sur la concertation avec les acteurs judiciaires (magistrats, avocats…). Il faudra cependant passer de la parole aux actes mais nous serons au rendez-vous de cette concertation si nous y sommes conviés. Autre point positif, le principe du refinancement de la Justice est réaffirmé mais le montant annuel est désormais de 300 millions d’euros alors que l’accord de gouvernement annonçait un refinancement de plus de 500 millions. Qu’en restera-t-il finalement si l’on sait que ce montant sera destiné tant au fonctionnement de la Justice qu’à celui des prisons et de la sûreté de l’Etat, sans compter le financement des cultes... ?

Bref, des éléments potentiellement positifs mais aussi une inquiétude. La répartition des moyens entre entités judiciaires pourrait à l’avenir se faire en fonction des prestations de chacune de ces entités. Au plus vous « produirez », au mieux vous irez. S’il va sans dire que nous devons continuer à améliorer nos délais de traitement des dossiers, le seul critère de productivité ne peut être déterminant dans cette répartition des moyens. Les « produits » de la justice, ce sont des enquêtes, des jugements et des arrêts, de la conciliation, des règlements amiables en matière familiale et de la médiation en matière commerciale… Nous « produisons » des décisions dans des situations sensibles. Ces décisions ont toujours un impact humain important.  La qualité de la Justice ne se mesure donc pas au seul nombre de décisions rendues. Elle se mesure aussi à sa capacité à appréhender l’humain dans toute sa complexité et à appliquer la règle de droit avec la nuance et la sagesse que la situation requiert. Bref, le seul raisonnement « productiviste » ne passera pas.

Le ministre a déclaré vouloir revaloriser la profession des magistrats pour la rendre plus attrayante. Quelles sont les pistes à envisager ?

Les professions de la magistrature sont passionnantes, fondées notamment sur des valeurs d’indépendance, d’intégrité, de recherche de l’intérêt général. Il faut avant tout rappeler cela ! Malheureusement, les différentes réformes qui nous ont été imposées (réforme de nos pensions, réforme de la mobilité de la magistrature, réforme annoncée du statut des magistrats) ont créé de l’incertitude et constituent un frein pour certains candidats à ces carrières. Par ailleurs, les conditions de travail si souvent dénoncées ne rendent pas l’accès à la magistrature très attrayante. Enfin, il faut souligner que des magistrats de parquets doivent prester des services de nuit dont certains ne sont pas rémunérés, ce qui pose de sérieuses questions lorsque l’on parle de valoriser la fonction…

Je crois donc que la revalorisation de nos professions passe donc avant tout par une modernisation de nos outils et l’arrêt des réformes successives qui créent de l’instabilité mais aussi par la reconnaissance de prestations qui sont aujourd’hui bénévoles comme certaines gardes de nuit.

Quelles sont les plus grandes difficultés rencontrées par les magistrats en cette période de crise ?

En période de crise, la Justice doit plus que jamais jouer son rôle de régulateur. Elle ne peut se confiner, au risque de laisser la porte ouverte aux abus en tous genres. Durant la crise sanitaire, notre plus grande difficulté est de continuer à travailler sur de l’humain sans avoir l’indispensable contact avec le justiciable. Comment juger une personne sur dossier, sans avoir le ressenti que peut apporter l’échange verbal ou non verbal de l’audience ? A ce titre, les solutions d’urgence que sont la procédure écrite ou la vidéoconférence doivent rester au rayon des procédures d’exception.

En vous adressant aux 8.000 avocats francophones et germanophones, quel message voudriez-vous leur faire passer et quel message voudriez-vous également faire passer à leurs institutions (Ordres locaux et AVOCATS.BE) ?

La Justice n’est évidemment pas que l’affaire des juges et procureurs. Si leurs missions diffèrent, le barreau et la magistrature ont uni leurs forces depuis quelques années pour rappeler haut et fort la nécessité absolue d’une Justice forte, indépendante et accessible à tous.

Aux quatre coins du monde comme en Belgique, les discours démagogiques, extrêmes ou populistes ont le vent en poupe. Nous avons donc le devoir de rester unis pour faire face et rappeler à chaque instant nos hautes exigences en matière de Justice et de respect des droits fondamentaux. Nous sommes, ensemble, les sentinelles d’une très belle citadelle !

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