Présidente : Me Sylvia BAAJRAMI
Intervenants :
- Olivia VENET, avocate spécialiste en droit pénal et droits de l’homme
- Muriel DETHIER, psychologue, expert auprès des tribunaux
- Agathe WILLAUME, juriste, politologue, créatrice de la clinique du lien
Rapporteur : Me Bernard PARMENTIER
Synthèse des débats
L’idée était d’appréhender la violence, notamment psychologique, et ses conséquences sur la coparentalité et les droits d’hébergement, de même que la sécurité et le focus nécessaire sur l’intérêt de l’enfant, placé au centre du débat.
Cette idée a été pleinement rencontrée, grâce à la qualité des intervenants, et à l’intérêt des participants, nombreux, et repartis satisfaits. Cela augure de l’importance croissante accordée à ce sujet sensible, et démontre à quel point la pluridisciplinarité est indispensable pour affronter les problèmes humains auxquels sont confrontés les avocats familialistes, et l’importance de leur intervention constructive.
Notre consoeur Olivia Venet a exposé avec brio, avec sa casquette de pénaliste, les textes majeurs, des jurisprudences significatives, expliquant pourquoi on part des violences faites aux femmes (cf convention d’Istanbul), ce qui n’est en rien discriminant car ce sont les rapports de force historiquement inégaux, à l’origine d’un problème de société global qui ont permis, et permettent encore dans certaine culture ces violences faites aux femmes.
Elle souligne la nécessité d’évoluer vers une globalisation de la situation, concluant qu’il est difficile de répondre à cette problématique sur le plan pénal, où prévaut la présomption d’innocence.
Muriel Dethier s’est focalisée sur l’hébergement, qui peut être contesté ou inexistant (lors d’une rupture de contact), dans un contexte de violence, d’inquiétudes, réelles ou pas, et sur les difficultés des solutions, dont l’expertise, signalant au passage l’énorme différence entre les espaces-rencontre (ER), certains peu compétents, plus bisounours, plus coercitifs, ne pratiquant pas, ou peu, ou mal, la médiatisation de la rencontre, se bornant à une sorte de garderie, d’autres encore n’étant même pas agréés, quoique désignés, alors que d’autres font un travail de qualité, voire d’excellence (cf la clinique du lien au SMAJ à Marche).
Elle montre l’énorme complexité de la question, la vigilance indispensable, et observe au passage que de plus en plus d’avocats travaillent dans l’intérêt de l’enfant, ce qui est un facteur essentiel pour la construction d’une solution, soulignant que si ce n’est pas le cas c’est désastreux. Comme les autres elle rappelle l’absolue nécessité de sortir des dogmes prégnants
Pour Agathe Willaume, explorer les rouages complexes des violences intra-familiales, découvrir comment identifier et contrer la violence, en mettant l'accent sur ses aspects psychologiques souvent sous-estimés, plonger dans les défis de la coparentalité, du droit d'hébergement et de la sécurité pour construire des environnements familiaux sains et sécurisés sont nécessaires pour créer un changement positif dans les familles.
Et cela implique des changements de paradigme.
Travailler la désistance (pour aider les victimes), le lien (à ne pas assimiler au contact), , nommer les violence, déceler les stratégies de l’auteur, questionner le dogme du droit aux relations familiales (c’est un droit de l’enfant, pas du parent) savoir qu’entre 74 et 79 % des situations confiées à l’ER évoluent dans un cadre de violence (les « hauts conflit » occupant le reste), réaliser que ce qui fait vraiment sens, c’est le caractère inégal de la relation : il n’y a pas de coresponsabilité, éviter à tout prix la banalisation de la violence, distinguer entre conflit et violence, déceler la hiérarchie rigide, dictatoriale, le contrôle coercitif, éviter les simplifications, avoir une approche sensible au trauma, voilà quelques principes qui guident le travail de la Clinique du Lien, ER spécialisé en violences intrafamiliales au sein du SMAJ, service d’aide aux justiciables à Marche, sachant du reste qu’un décret cadre a modifié l’appellation ER : Service d’aide au lien…
Enseignements pratiques
Cet atelier particulièrement intéressant, avec trois interventions complémentaires se complétant parfaitement bien, sortant des clichés, bousculant des idées reçues, des concepts galvaudés comme le SAP (sydrome d’aliénation parentale, que l’on pourrait déclassifier en sydrome d’appropriation parentale) qui, selon les intervenants, est en soi une violence quand il est invoqué par un parent violent, coercitif, face aux inquiétudes de l’autre parent.
Partir de la violence faite aux femmes est en lien direct avec la violence faite aux enfants, et il est admis qu’il s’agit d’une maltraitance directe. Et réaliser le nombre de formes que la violence peut avoir est essentiel pour pouvoir la déceler. Il y a des enfants à protéger, c’est une question systémique, et la rupture de contact peut être une solution nonobstant le dogme selon lequel il est impératif de maintenir des contacts à tout prix.
Il importe de souligner l’importance du rôle de l’avocat dans la recherche de solutions, dans l’attention à l’intérêt de l’enfant, non d’un intérêt généralisé, mais de celui de cet enfant-là, est bienvenu, l’avocat disposant d’huile avec la charge de la mettre dans les rouages et non sur le feu.
De démontrer également à quel point la pluridisciplinarité est une richesse indispensable à laquelle nous devons nous ouvrir.
Annexe : références très utiles, dont entre autres,
- la CIDE (convention internationale des droits l’enfant) de novembre 1989,
- la Convention d’Istanbul en 2011, entrée en vigueur le 1er août 2014,
- la résolution du parlement européen le 6 octobre 2021 : La conséquence des violences conjugales et des droits de garde sur les femmes et les enfants. ⚠️ appel à prendre en compte la violence conjugale dans attribution de l’hébergement secondaire et à ne pas utiliser le SAP dans les décisions des Juges aux affaires familiales
- Directive (UE) 2024/1385 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
- Rapport de la Rapporteuse spéciale « Garde des enfants, violence contre les femmes et violence contre les enfants, Rapport sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences », Reem Alsalem, du 13 avril 2023, Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies.
- Loi française no 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales : suspension de plein droit de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pendant procédure pénale + retrait de l’autorité parentale quand il y a condamnation pour violences intrafamiliales. C’est la 1ère disposition permettant de décloisonner et de confier cela au juge pénal pour permettre un traitement systémique
- Lois belges des 15 mai 2012 et 13 juillet 2023 (loi dite féminicide)
Jurisprudence
- Arrêt du 9 juin 2009 de la CEDH - OPUZ c. Turquie
Art 2, 3 et 14, arrêt de fond, qui parle pour la 1ère fois d’un système discriminant - Arrêt du 2 mars 2017 de la CEDH - TALPIS c. Italie
- Climat d’impunité entraîné par les autorités qui avaient sous-estimé les violences
- Arrêt du 10 novembre 2022 de la CEDH - M. ET AUTRES c. Italie Art 8 • Obligations positives • Enfants contraints, pendant trois ans, aux rencontres avec leur père violent dans un environnement non protecteur et suspension de l’autorité parentale de la mère considérée alors hostile aux enfants• Pas d’évaluation du risque et de mise en balance des intérêts en présence • Intérêt supérieur des enfants méconnu • Pratique très répandue des tribunaux de qualifier de parents « non coopératifs » les femmes qui s’opposent aux rencontres de leurs enfants avec leur ex-conjoint invoquant des faits de violence domestique
- Quant à l’utilisation du concept de contrôle coercitif par des Cours d’Appel, les premiers arrêts en France et en Belgique à contextualiser les infractions pénales en utilisant le concept de contrôle coercitif :
- CA Poitiers de Joly-Coz 31/01/24
- Concept de contrôle coercitif et valeur de la parole de l’enfant : CA de Mons du 27/03/24