L’avocat est celui qui, bien souvent, intervient comme dernier rempart face au poids écrasant de l’Etat et à l’inhumanité de l’administration. Il est cette dernière bouée de sauvetage face à l’arbitraire. C’est aussi vrai en matière pénale qu’administrative ou civile.
L’avocat doit conserver cette capacité de se révolter lorsque les droits élémentaires des citoyens ne sont plus respectés. Il doit conserver cette capacité de s’indigner lorsque les droits fondamentaux sont bafoués.
Par sa mission de conseil, de défense et de représentation, il est porteur des valeurs qui tiennent du respect des droits et des dignités. Il est acteur de la démocratie.
La Cour européennes des droits de l’homme a rappelé à de très nombreuses reprises le rôle clé que joue l’avocat pour assurer la confiance du public dans l’action des tribunaux, dont la mission est fondamentale dans une démocratie et un État de droit.
L’institution qui représente les avocats doit également servir de gardien de cet Etat de droit. C’est ce qu’a voulu notre président en instituant un observatoire de l’Etat de droit. Elle doit également pouvoir s’indigner et se manifester lorsque cet Etat de droit est en péril, lorsque les droits fondamentaux ne sont plus respectés.
L’institution, c’est tant AVOCATS.BE que chacun des barreaux qui le composent. C’est ensemble qu’il faut travailler à cet objectif. L’intérêt n’est pas celui d’une institution, pas celui d’une profession, pas même celui de la seule justice mais bien celui de la démocratie.
Il est temps de rappeler la situation inadmissible dans laquelle se trouvent les candidats réfugiés en Belgique. Malgré les centaines de condamnations, l’Etat belge ne respecte pas ses obligations nationales et internationales. Un juge hollandais a même fait interdiction à l’Etat hollandais de renvoyer un candidat réfugié chinois sur le sol belge compte tenu du risque qu’il encourrait au vu de l’absence de respect des droits fondamentaux dans notre pays.
Lorsqu’un Etat ne respecte plus les décisions des juges internationaux et les décisions de ses propres juges, l’Etat de droit est en danger.
Il est temps de rappeler la situation inadmissible dans laquelle se trouvent de nombreuses personnes privées de liberté. Nos prisons sont trop souvent surchargées et délabrées. L’Etat a été condamné dans plusieurs procédures initiées par AVOCATS.BE et ce, notamment pour traitements inhumains et dégradants. La prison est à l'image de la société et, dans notre cas ce n'est pas reluisant.
Lorsqu’un Etat n’est pas capable d’organiser ses prisons de telle sorte qu’elles rencontrent les exigences minimales de dignité humaine, l’Etat de droit est en danger.
Il est tout aussi temps de rappeler la situation encore souvent plus désastreuse des annexes psychiatriques des prisons ou des établissements de défense sociale. Manque de personnel, manque d’encadrement médical, cadre carcéral pour des personnes qui auraient en réalité besoin de soins…, les établissements de défense sociale sont des prisons et non des lieux de soin.
Un Etat qui ne peut accueillir et soigner les plus faibles de ses membres est un Etat en danger.
Faire attendre cinq, voire dix ans, pour qu’un dossier soit traité par certaines juridictions, faute de moyens suffisants, faute de magistrats et de greffiers, est similaire à un déni de justice. Que la justice ait besoin de temps, tout le monde peut le comprendre. Que cette crise dans certaines juridictions subsiste depuis tant d’années révèle la haute estime de notre monde politique envers le troisième pouvoir de l’Etat.
Un Etat qui ne donne pas au pouvoir judiciaire les moyens d’exercer sa mission n’est plus un Etat de droit.
Multiplier les projets de loi en vue de développer la procédure d’ordre de paiement pour les petites infractions correctionnelles et donc procéder à l’inversion du contentieux en matière pénale est constitutif d’une négation du rôle du magistrat dans une société démocratique. Le recours de plus en plus systématique à des sanctions d’ordre financier élusives d’une justice pénale individualisée est contraire aux prescrits de l’article 48 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Multiplier les projets en vue de réduire le contentieux traité par les magistrats en étendant l’inversion du contentieux en matière civile à une série de dossiers opposant les sociétés aux consommateurs (B 2 C) est tout aussi révélateur d’une vision purement économique de la fonction juridictionnelle. Seul pourtant un juge pourra écouter et tenter de pacifier les relations entre les individus, premier rôle de la justice. Seul un juge pourra protéger les plus faibles.
Les exemples pourraient malheureusement être multipliés. Il appartient à nos barreaux et à l’Ordre communautaire de dénoncer ces situations mais aussi, parfois, d’agir plus fermement à l’égard du monde politique. AVOCATS.BE a intenté, avec succès, de nombreuses actions dans l’intérêt des justiciables. AVOCATS.BE a interpellé à de très nombreuses reprises le monde politique avec des résultats divers. AVOCATS.BE a rendu de nombreux avis sur les projets et propositions de loi en n’omettant jamais de rappeler les bases fondamentales de notre Etat de droit.
Mais c’est aussi à chacun d’entre nous d’être attentif à ces situations inadmissibles. C’est à chacun d’entre nous de les dénoncer et d’agir.
Plus que jamais, notre Etat de droit est en danger. Evidemment, si l’on compare à certaines dictatures, nous pouvons nous considérer heureux. Mais nous devons rester prudents. Une démocratie est fragile. Ne nous réveillons pas trop tard. Il est temps d’agir.
Et comme le rappelait Françoise Tulkens au terme du colloque fêtant les 20 ans d’AVOCATS.BE et de l’O.V.B. le 27 octobre 2021, « je pense à cette phrase de René Cassin : « Celui qui s’endort en démocratie risque de se réveiller en dictature » ».
Xavier Van Gils
Ancien président.
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