Russie, embargos et blanchiment

Le Fil blanc : le Classique

Pour rappel, la version classique du Fil blanc aborde chaque mois (en principe une Tribune sur deux), par le biais d’un article qui se veut court et lisible, un thème spécifique relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent. 

Sa Spin-off examine chaque mois (l’autre Tribune sur deux) une branche spécifique du droit à la loupe, afin de déterminer où sa pratique pourrait donner lieu à un assujettissement et quels y seraient les indices d’un éventuel blanchiment. 

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Russie, embargos et blanchiment

Une fois n’est pas coutume, le Fil blanc de cette quinzaine répond à une question intéressante posée par un barreau à la Commission anti-blanchiment d’AVOCATS.BE : celle de savoir si la Loi BC/FT1 s’applique aux dossiers dans lesquels l’avocat a pour mission d’introduire, auprès des services de la Trésorerie du SPF Finances, une demande de dérogation afin d’obtenir le déblocage d’avoirs faisant l’objet d’une mesure de gel en vertu du régime de sanctions à l’encontre de la Russie mis en œuvre par l’Union européenne.

Une obligation qui n’est pas limitée aux institutions

Saisissons cette occasion pour rappeler que l’avocat est lui aussi tenu de respecter les mesures d’embargos telles que définies à l’article 4, 6° de la Loi BC/FT, quand bien même le dossier concerné ne l’assujettirait pas à celle-ci. Si l’avocat est assujetti, la Loi BC/FT impose en outre, en son article 8, § 1er, 3°, qu’il définisse et mette en application des politiques, des procédures et des mesures de contrôle interne efficaces afin de se conformer aux dispositions contraignantes relatives aux embargos financiers. 

Pour vérifier si le client, son mandataire et son bénéficiaire effectif font l’objet d’une telle mesure, l’avocat peut consulter la liste consolidée du SPF Finances. Dans l’affirmative, il appliquera, le cas échéant, les dispositions contraignantes en question (gel des avoirs éventuellement détenus) et communiquera au service Trésorerie du SPF Finances les informations relatives à l’exécution de ces dispositions, sans passer par le Bâtonnier.

Un règlement sujet à critique mais à garder à l’esprit

Rappelons également l’existence du Règlement européen 2022/19042, qui interdit de fournir des « conseils juridiques » au gouvernement russe ou à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie. Quelques exceptions sont prévues, notamment concernant les services nécessaires à des fins humanitaire. Ce règlement fait l’objet d’une requête en annulation, introduite notamment par d’AVOCATS.BE, devant le Tribunal de l’Union européenne. Il faut néanmoins le garder à l’esprit tant que ce recours est pendant.

Toujours du point du vue du client

Pour répondre -enfin- à la question posée, rappelons que les avocats sont assujettis à la Loi BC/FT, en vertu de son article 5, §1er, 28° :

  • a) lorsqu'ils assistent leur client dans la préparation ou la réalisation d'opérations concernant :
    • i) l'achat ou la vente de biens immeubles ou d'entreprises commerciales ;
    • ii) la gestion de fonds, de titres ou d'autres actifs appartenant au client ;
    • iii) l'ouverture ou la gestion de comptes bancaires ou de portefeuilles ;
    • iv) l'organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés ;
    • v) la constitution, la gestion ou la direction de sociétés, de fiducies ou de trusts, de sociétés, de fondations ou de structures similaires ;
  • b) ou lorsqu'ils agissent au nom de leur client et pour le compte de celui-ci dans toute opération financière ou immobilière.

L’intervention de l’avocat se limite ici à demander à la Trésorerie de constater que le blocage des avoirs n’a pas lieu d’être. Ce faisant, l’avocat assiste-t-il son client dans la préparation ou la réalisation d’une opération ? Peut-on même parler d’opération si, une fois les avoirs débloqués, le client doit encore donner instruction à la personne ayant exécuté la mesure de gel (souvent une institution financière ou une clearing house) de transférer les fonds ?

La loi anti-blanchiment s’applique dès qu’il est question d’une opération patrimoniale dans le chef du client. C’est bien du point de vue du client qu’il faut se placer pour apprécier s’il est question d’une opération patrimoniale, davantage que sur la nature de l’intervention de l’avocat. Dès que l’intervention de l’avocat s’inscrit dans le cadre de la gestion des avoirs de son client, au sens de l’article 5, §1er, 28, a) de la loi (ce qu’est assurément la libération de fonds dudit client qui sont bloqués à la suite d’une mesure de gel), elle entre le champ d’application de la loi. L’avocat est, dans le cas évoqué, bel et bien soumis à la loi préventive, et il est ainsi notamment tenu de s’acquitter des customer due diligence

En revanche, si une déclaration de soupçons était envisagée dans ce cadre, elle devrait tomber sous l’exception de l’article 53 de la loi, dans la mesure où les informations transmises par le client l’auraient été sous le sceau du secret, spécialement en vue de l’évaluation de la situation juridique du client. Attention toutefois de bien vérifier que l’article 53 in fine (exception à l’exception) ne trouve pas à s’appliquer.

La Commission anti-blanchiment d’AVOCATS.BE

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1 Loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation d’espèces.

2 Règlement (UE) 2022/1904 du Conseil du 6 octobre 2022 modifiant le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine.

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Vous pouvez toujours adresser vos questions à blanchiment@avocats.be. Nous ferons le maximum pour y apporter une réponse claire dans les meilleurs délais.
Rappelons que tous les documents proposés par la Commission anti-blanchiment pour vous faciliter la lutte anti-blanchiment se trouvent sur l’extranet d’AVOCATS.BE

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