Rupture, non-dit et perte de confiance

Le Fil blanc : le Classique

Pour rappel, la version classique du Fil blanc aborde chaque mois (en principe une Tribune sur deux), par le biais d’un article qui se veut court et lisible, un thème spécifique relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent. 

Sa Spin-off examine chaque mois (l’autre Tribune sur deux) une branche spécifique du droit à la loupe, afin de déterminer où sa pratique pourrait donner lieu à un assujettissement et quels y seraient les indices d’un éventuel blanchiment. 


Rupture, non-dit et perte de confiance

L’article 4.87 du Code de déontologie l’indique de manière limpide : l’avocat dont le bâtonnier transmet la déclaration de soupçons à la Cellule de Traitement des Informations Financières (la CTIF) doit mettre fin à son intervention. A cet effet, le bâtonnier informe l’avocat en question de sa décision de transmettre la déclaration, parce qu’il aura pu constater que le dossier en question est bien assujetti à la loi, que les conditions de l’exception à l’obligation de procéder à une déclaration n’étaient pas remplies ou que, si elles l’étaient, les exceptions prévues à l’exception ne s’appliquaient pas. Voir à ce sujet : L'exception à l'exception, quèsaco ? 

Cette obligation de mettre un terme à la relation avec le client concerné doit se combiner avec l’article 55 § 1er de la Loi anti-blanchiment, lequel interdit à l’avocat, à son personnel et à son bâtonnier, notamment, de révéler à qui que ce soit qu’une déclaration de soupçons a été transmise à la CTIF. L’avocat devra dès lors rompre la relation avec son client de manière neutre, de sorte que celui-ci ne puisse connaître les véritables motifs de cette rupture. L’avocat est ainsi contraint, par la loi, de retenir une information, ce qui constitue une atteinte particulièrement déplaisante, mais légale, à la transparence qui régit les rapports d’un avocat avec son client.

En rompant cette relation, l’avocat s’assure de ne pas (ou dans le pire des cas, de ne plus) participer à une opération de blanchiment. On rappellera à cet égard que procéder à une déclaration de soupçons n’exonère nullement l’avocat de sa responsabilité, le cas échéant pénale. On rappellera également que la déclaration de soupçons doit se faire de bonne foi. Voir à ce sujet : Déclaration de soupçons et immunité : condition et effets 

L’on peut raisonnablement penser que retenir une information d’une telle importance est en outre, en tout état de cause, de nature à rompre la nécessaire confiance entre le client et son conseil, quand bien même le client n’en aura pas conscience.

Qu’en est-il toutefois des conséquences de la déclaration de soupçons qui n’aurait pas passé le filtre du bâtonnier ? Deux cas de figure peuvent alors se présenter : soit l’exception à l’obligation de déclarer trouve à s’appliquer, soit le dossier ne tombait pas dans le champ d’application de la loi. 

Dans le premier cas, il est envisageable que l’avocat poursuive sa mission qui, par hypothèse, consiste à évaluer la situation juridique du client ou à le défendre ou le représenter dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une procédure, que les informations et renseignements faisant l’objet de la dénonciation soient reçus ou obtenus avant, pendant ou après cette procédure (art. 53 de la Loi anti-blanchiment).

Dans le second cas, la circonstance que le dossier n’est pas assujetti à la loi n’amenuisent en rien les soupçons ayant donné lieu à la saisine du bâtonnier. L’avocat pourra-t-il alors raisonnablement poursuivre sa mission alors qu’il soupçonne son client ? La relation de confiance n’est-elle pas là aussi mise en péril ? Il est impossible de répondre à ces questions sans nuance. Il n’en reste pas moins que l’avocat qui déciderait de poursuivre sa mission malgré ses soupçons devra être particulièrement prudent. Il ne peut que lui être conseillé de consigner par écrit et d’intégrer à son dossier les éléments qui l’ont amené à estimer que la relation pouvait se poursuivre. Il aura également tout intérêt à ne pas divulguer la dénonciation qu’il a faite à son bâtonnier, même si l’article 55 §1er de la loi ne trouve pas à s’appliquer. Enfin, il prendra bien garde à ne pas engager sa responsabilité pénale.

Précision importante en guise de conclusion : l’Orde van Vlaamse Balies a tranché cette question à l’article 70 §4 de son Codex. En cas de transmission d’une déclaration de soupçons à la CTIF par son bâtonnier, l’avocat « stopt onmiddellijk zijn tussenkomst zonder mededeling van die reden, tenzij hij toelating heeft van de stafhouder om verder op te treden ». L’avocat concerné doit donc demander l’autorisation de son bâtonnier pour pouvoir poursuivre sa mission en cas de déclaration de soupçon transmise par le bâtonnier à la CTIF. Si cette disposition du Codex de l’OVB n’a pas d’équivalent dans le Code de déontologie de l’OBFG, elle n’en reflète pas moins un évident souci de prudence dont les avocats confrontés à une telle situation peuvent certainement s’inspirer utilement. 

La Commission anti-blanchiment

 


Vous pouvez toujours adresser vos questions à blanchiment@avocats.be. Nous ferons le maximum pour y apporter une réponse claire dans les meilleurs délais.
Rappelons que tous les documents proposés par la Commission anti-blanchiment pour vous faciliter la lutte anti-blanchiment se trouvent sur l’extranet d’AVOCATS.BE

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