Les perspectives du pacte vert – À quelles (r-)évolutions s’attendre ? les premières salves de ‘simplification’ sous la forme des propositions « Omnibus » de la Commission européenne

Depuis l’annonce de sa candidature pour un nouveau mandat à la présidence de la Commission européenne en juillet 2024, Mme Ursula von der Leyen a insisté sur la nécessité de poursuivre l’œuvre entamée dans le cadre du Pacte Vert de la précédente Commission, tout en simplifiant la charge administrative imposée par le cadre juridique européen au nom d’une croisade pour l’amélioration de la compétitivité de l’économie européenne. Les premiers signes de cette volonté de « simplification » se sont traduits notamment par le report de mise en œuvre du Règlement (UE) 2023/1115 du 31 Mai 2023 sur la déforestation – par le Règlement (UE) 2024/3234 du Parlement et du Conseil du 19 décembre 2024 modifiant le règlement (UE) 2023/1115 en ce qui concerne les dispositions relatives à la date d’application[1].

Le 26 février 2025, dans cette croisade (qui a depuis lors pris la forme ‘stratégique’ d’une « Boussole de compétitivité »[2]), la Commission européenne a tiré de nouvelles salves sous la forme de propositions dites « Omnibus Packages », ainsi qu’un « appel à contribution » - elles ont porté sur quatre dispositifs particuliers du cadre juridique actuel de l’Union européenne : deux directives dites « CSRD et CSDDD », le règlement taxonomie[3], le mécanisme de contrôle carbone aux frontières de l’Union[4] et plusieurs instruments normatifs régulant les capacités d’investissement européen[5]. Et ce n’est pas fini, puisque la Commission annonce d’autres « efforts de simplification » dans les prochains mois.

Ces initiatives dites de « simplification » soulèvent beaucoup de questions et d’aucuns y décèlent d’ailleurs une tentative de « dérégulation significative ».

L’ambition de ces quelques lignes est de rendre compte des principaux changements et tendances envisagés dans ces premières propositions « Omnibus », en partant des textes de la Commission européenne, et de les replacer dans le déroulé des procédures législatives de l’Union européenne, pour que le lecteur puisse se faire sa propre idée quant à la portée réelle des récentes initiatives législatives de la Commission européenne[6].

1. Contenu des propositions « Omnibus » de la Commission européenne du 26 février 2025

Le 26 février dernier, la Commission européenne a présenté ses deux premiers « Omnibus Packages », ainsi qu’un « appel à contribution » sur une proposition de règlement délégué de la Commission. Nous nous concentrerons dans les développements qui suivent sur le premier « Omnibus Package » et « l’appel à contribution » qui rassemblent en fait quatre propositions de modification des textes portant sur les exigences de durabilité imposées aux acteurs économiques actifs sur le territoire de l’Union européenne :

  • Une proposition de directive modifiant quatre directives, dont la « Directive CSRD »[7] et la « Directive CSDDD »[8];
  • Une proposition de directive « stop the clock » modifiant la Directive CSRD sur l’application de certaines mesures de reporting et la Directive CSDDD sur sa date de mise en œuvre et de transposition ;
  • Une proposition de Règlement modifiant le Règlement (UE) 2023/956 concernant la simplification et le renforcement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières[9]; et
  • Un projet de règlement délégué de la Commission européenne modifiant les règlements délégués de la Commission européenne (EU) 2021/2178 et (EU) 2021/2139 et (UE) 2023/2486[10].

Le second « Omnibus Package » porte sur l’aménagement des programmes de soutien à l’investissement dans le budget européen afin de rendre cet investissement plus efficace et de recentrer certains de ces outils sur un nouvel effort d’amélioration de la compétitivité de l’économie européenne. Nous ne nous y attarderons pas dans le cadre de cette contribution, mais notons toutefois que, pour la Commission, ces initiatives visent à « libérer des possibilités d’investissements » via ses programmes d’investissement InvestEU, EFSI, et des instruments financiers hérités du passé[11].

Le simple énoncé de toutes ces propositions présentées le 26 février 2025 par la Commission européenne rend compte à lui seul de l’importance de ces premières initiatives de « simplification », menées dans les 100 premiers jours de la prise de fonction des nouveaux membres de la Commission. Dans les documents de ces différentes propositions, la Commission affirme d’ailleurs que les efforts de simplification proposés conduiraient à un gain annuel de plus de 6 milliards d’euros pour l’économie européenne, ce qui constitue sans doute une illustration en soi de l’importance de la démarche aux yeux mêmes de son auteur[12].

En premier lieu, comme indiqué ci-avant, il ressort assez clairement de l’énumération des mesures proposées que la Commission européenne cible en réalité quatre dispositifs particuliers : (i) les obligations d’informations sur la durabilité imposées à certaines entreprises actives sur le territoire de l’UE (Directive CSRD), (ii) le devoir de vigilance exigé de certaines entreprises actives sur le territoire de l’UE (Directive CSDDD), (iii) le dispositif de classification des activités économiques sur la base de leur durabilité intrinsèque (la taxonomie) et (iv) le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE permettant d’organiser une concurrence aussi loyale que possible entre les opérateurs quelle que soit l’origine des matières premières utilisées pour la réalisation de leurs activités économiques.

En deuxième lieu, force est de constater que la Commission s’attend à ce que le parcours législatif de certaines mesures ayant trait aux directives CSRD et CSDDD prenne un certain temps, de sorte qu’elle a présenté les modifications envisagées dans deux propositions distinctes permettant d’organiser la discussion entre les co-législateurs en deux temps – l’objectif est clairement de permettre l’adoption plus rapide de la proposition « stop the clock », nous y reviendrons ci- après.

En troisième lieu, l’impact des textes ainsi soumis à la révision des organes législatifs de l’Union est potentiellement considérable et en tout état de cause significatif. Parcourons chacun de ces textes pour tenter d’en saisir la portée sur le fond.

La proposition de directive modifiant quatre directives dont la Directive CSRD et la Directive CSDDD 

La Commission propose aux co-législateurs européens de modifier quatre directives qui portent sur les exigences de publication en matière de durabilité et de devoir de vigilance. Elle vise en particulier les Directives CSRD et CSDD, les deux autres directives que la Commission propose également de modifier comportant des terminologies comptables techniques impactées par les Directives CSRD et CSDD.

Présentées dans le cadre du Pacte Vert européen de la précédente Commission comme l’illustration de sa volonté de mettre l’économie européenne en capacité d’opérer efficacement sa transition vers un fonctionnement plus durable que nous imposent le changement climatique et les sérieuses atteintes à la biodiversité, les Directives CSRD et CSDDD se trouveraient significativement impactées dans leur portée par les propositions de « simplification » de la nouvelle Commission von der Leyen.

En effet, comme la Commission le précise elle-même dans l’exposé des motifs de cette première proposition[13], cette dernière aurait pour effet d’exclure du champ d’application de la Directive CSRD plus de 80 % des entreprises sur lesquelles pèsent aujourd’hui des obligations de publication d’informations en matière de durabilité. Cette « simplification » consisterait donc à exclure du champ d’application actuel de la Directive CSRD la quasi-totalité des entreprises concernées. Seules les entreprises comptant plus de 1000 employés et plus de 450 millions d’euros de chiffres d’affaires continueraient à y être soumises, le périmètre de la Directive CSRD s’alignant de la sorte sur celui de la Directive CSDDD.

Parmi quelques autres changements techniques (concernant le type d’assurance requise), la Commission propose de réduire l’obligation d’information relative aux activités de l’entreprise pouvant être considérées comme durables au sens du Règlement « taxonomie », elle indique également qu’il ne faut pas développer de standards d’information spécifiques à certains secteurs, de façon à ne pas distinguer les éléments et indicateurs à suivre pour les entreprises qui seront visées par la nouvelle version de la Directive CSRD.

Dans sa proposition, la Commission envisage aussi de redéfinir significativement le contenu du devoir de vigilance organisé par la Directive CSDDD[14]. En effet, la Commission propose de limiter l’obligation de contrôler sa chaîne de valeur aux partenaires directs des entreprises qui y seront soumises, de retirer l’obligation de mettre fin à la relation commerciale comme sanction de dernier ressort, d’étendre les intervalles auxquelles les entreprises seront tenues d’évaluer le caractère adéquat et l’effectivité des mesures de vigilance, d’interdire aux États membres d’adopter des régiments plus stricts (ou plus exigeants) et de supprimer le régime harmonisé de responsabilité extra-contractuelle organisé par la Directive CSDDD.

Force est donc de constater que les changements proposés par la Commission sont significatifs et touchent au dispositif même des Directives CSRD et CSDDD : leur champ d’application (très significativement revu pour la Directive CSRD) et les obligations qu’elles comportent en l’état. Le lecteur se fera son opinion, mais il semble difficile de ne pas considérer cette proposition de premier « Omnibus Package » comme une opération de dérégulation pure et simple.

La proposition de directive « stop the clock » modifiant la Directive CSRD sur l’application de certaines mesures de publication et la Directive CSDDD sur sa date de mise en œuvre et de transposition 

Dans cette deuxième proposition, la Commission explique vouloir éviter que les entreprises actuellement concernées par la mise en œuvre des Directives CSRD et CSDDD (pour les années comptables 2025 et 2026 – qui sont qualifiées de « 2e et 3e vagues ») ne supportent des frais inutiles et évitables, dès lors que sa proposition de modification des quatre directives dont les Directives CSRD et CSDDD serait entérinée par les co-législateurs.

Elle propose donc de reporter l’entrée en vigueur de certaines dispositions de la Directive CSRD (qui est déjà entrée en vigueur le 5 janvier 2023) pour une période supplémentaire de deux ans pour les entreprises visées par la 2e et la 3e vagues de mise en œuvre, le temps pour les co-législateurs de s’entendre ou pas sur sa proposition. Dans le premier cas, les modifications apportées à la Directive CSRD excluront de son champ d’application les entreprises des 2e et 3e vagues, dans le second cas, les dispositions actuelles de la Directive CSRD entreront en vigueur pour les années comptables 2027 et 2028 pour les entreprises des 2e et 3e vagues.

S’agissant de la Directive CSDDD, elle doit être transposée en droit interne par les États membres pour le 26 juillet 2026 et la mise en œuvre des obligations qu’elle créée pour les entreprises devait débuter, pour un premier groupe d’entreprises, en juillet 2027. La Commission propose de reporter le délai de transposition d’un an (le faisant passer au 26 juillet 2027) et la mise en œuvre pour les entreprises d’un même délai supplémentaire d’un an, de sorte que le premier groupe d’entreprises ne soit concerné qu’à partir de juillet 2028.

La proposition de règlement modifiant le Règlement (UE) 2023/956 concernant la simplification et le renforcement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) 

Parallèlement aux deux premières propositions succinctement décrites ci-dessus, la Commission européenne envisage également de revoir et simplifier le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).

La Commission propose ici d’exonérer les petits importateurs, principalement les PME et les particuliers, des obligations découlant du MACF. Cette exonération passera par l'introduction d'un nouveau seuil annuel cumulé de 50 tonnes par importateur, ce qui supprimera les obligations découlant du MACF pour environ 90 % des importateurs - tout en continuant de couvrir plus de 99 % des émissions relevant du champ d'application du mécanisme, selon les déclarations publiques de la Commission. Cette dernière envisage aussi d’assouplir le calendrier relatif aux obligations d’information et à l’achat de certificats carbone prévues par le Règlement MACF.

A nouveau, par son initiative, la Commission réduisant significativement le champ d’application d’une norme pré-existante, il semblera tout aussi difficile de ne pas considérer cette proposition comme une opération de dérégulation pure et simple.

Le projet de règlement délégué modifiant les Règlements délégués 2021/2178 et (EU) 2021/2139 et (UE) 2023/2486 

Le projet d’acte délégué de la Commission vise des mises en œuvre techniques du Règlement Taxonomie[15]. Après deux années de mise en œuvre de cette réglementation par une première série d’entreprises non-financières, et une année par les entreprises financières qui y sont soumises, la Commission considère qu’il faut significativement revoir les critères d’examen techniques retenus pour apprécier la compatibilité des activités des entreprises qui peuvent prétendre à un certain caractère de durabilité au sens de cette réglementation. Elle se fonde sur les retours des entreprises (financières et non-financières) qui demandent une « simplification » et une « amélioration des exigences de reporting »[16]. La Commission propose dès lors d’insérer un seuil de matérialité minimum des activités des entreprises non financières entrant en ligne de compte pour l’application de la réglementation taxonomie (10 %) ; d’exclure du champ d’application du reporting pour les entreprises financières toutes les activités avec des entreprises qui ne tomberaient plus dans le champ d’application de la Directive CSRD revue à la suite de la proposition dévoilée ce 26 février par la Commission ; ou encore de revoir et simplifier très significativement les modèles de reporting à compléter par les entreprises pour l’application de la réglementation taxonomie (la Commission parle d’une réduction de deux tiers des données requises pour compléter les modèles de reporting).

Cette proposition fait l’objet d’un « appel à contribution » que nous détaillerons ci-après. Formellement, elle ne relève pas de ce que la Commission appelle ses « Omnibus Packages ».

2. Procédures en cours pour la discussion de ces deux « Omnibus Packages»

Modification d’une directive ou d’un règlement du Parlement européen et du Conseil

La procédure législative requise pour l’adoption d’une directive ou d’un règlement débute avec la proposition de la Commission européenne et requiert l’intervention du Parlement européen et du Conseil, qui doivent ensuite s’entendre sur le texte final. La Commission est chargée de faciliter cette discussion entre les deux co-législateurs dans le cadre de ce que l’on appelle le « trilogue ».

Chaque co-législateur organise le travail interne à son institution, dans le cadre de comités et commissions. L’absence de consensus ou de majorité suffisamment large au sein de l’un des co-législateurs peut rendre l’exercice particulièrement long, voire empêcher sa conclusion.

Certaines propositions présentées par la Commission peuvent en outre bénéficier d’un traitement accéléré.

Enfin, tout au long de cette procédure, la Commission garde le droit de retirer sa proposition, si elle estime que les aménagements envisagés par l’un ou l’autre des co-législateurs s’éloignent trop de son projet initial.

Ces particularités des procédures internes et la nature des différentes propositions présentées par la Commission dans le cadre de ces premiers « Omnibus packages » expliquent que la Commission a distingué les « simplifications » selon qu’elles visent le fond des dispositions à modifier ou les délais de mise en œuvre des instruments du cadre juridique existant visés par ces initiatives.

En l’occurrence, en présentant une proposition de directive « stop the clock » portant sur les seules questions de délais et de mise en œuvre des Directives CSRD et CSDDD, la Commission propose de prolonger le cadre temporel de mise en œuvre et de transposition sur la base du périmètre qu’elle propose de retenir in fine sur le fond pour les entreprises soumises à ces obligations d’information et de vigilance sur la durabilité de leurs activités. Tout ceci afin de permettre aux co-législateurs de s’entendre pour déterminer le périmètre en question. Ce qui pousse même la Commission à préciser que « the Commission invites co-legislators to reach rapid agreement on that postponement, in particular to provide necessary legal clarity for undertakings in the second wave that are currently required to report for the first time in 2026 for financial year 2025 »[17].

Pour particulière qu’elle soit, cette démarche paraît légitime et justifiée de son point de vue. Toutefois, ladite démarche créée en l’état une certaine confusion juridique, primo parce qu’elle présuppose que l’intervention des co-législateurs ira nécessairement dans le sens de ses propositions ; secundo, parce qu’en l’occurrence des dispositions des Directives CSRD et CSDDD ont d’ores et déjà été transposées dans le droit interne de certains États membres[18] et ; tertio, parce que la Commission est elle-même à l’origine du souci de calendrier qu’elle cherche à gérer par sa proposition « stop the clock » . C’est en effet la nouvelle Commission von der Leyen qui choisit de revenir sur le cadre juridique récemment consacré par les co-législateurs sur la base de propositions de la première Commission von der Leyen et entré depuis lors en vigueur sur le territoire de l’Union Européenne.

C’est donc un exercice risqué (l’approche proposée doit être validée par les deux co-législateurs) et potentiellement très perturbant pour le cadre juridique appliqué aux entreprises actives dans l’Union européenne.

Modification d’un acte délégué de la Commission européenne

La procédure applicable à la modification d’un acte délégué est distincte et plus simple dans sa mise en œuvre que celle décrite ci-avant pour la modification de normes adoptées conjointement par le Parlement européen et le Conseil.

En effet, la Commission va inviter le public à commenter (rapidement) sa proposition – quatre semaines qui viennent à échéance le 26 mars 2025, va prendre connaissance des commentaires qui seront formulés par des experts sur des plateformes dédiées et présentera sa proposition à un groupe d’experts des États membres et à une délégation du Parlement européen qui pourront lui faire des commentaires (au cours de ce qui est qualifié de « période d’examen » ou « scrutiny period »).

Les changements envisagés s’alignant en grande partie avec les modifications proposées pour les Directives CSRD et CSDDD, la Commission n’envisage a priori leur mise en œuvre que dans l’hypothèse d’une approbation de ces dernières par les co-législateurs.

3. État des forces en présence et perspectives d’adoption des textes

La procédure qui vient de débuter avec le dépôt des propositions aux greffes du Parlement européen et du Conseil risque de ne pas être une promenade de santé. En effet, si les indications filtrant dans la presse concernant la possible position du Conseil devrait rassurer les auteurs des propositions du côté de la Commission (on s’attend à un alignement assez complet du Conseil sur les propositions), les débats et premières prises de position au Parlement européen traduisent de profondes divergences parmi les élus européens[19], ainsi d’ailleurs que parmi d’autres intervenants du monde économique et social[20]. Il est particulièrement difficile de prédire l’issue du processus en cours, tant les positions sont tranchées et les arcanes de la procédures sont complexes.

Sur le fond, les textes proposés par la Commission pourraient donc connaître des variations non négligeables en fin de parcours législatif, puisqu’ils feront d’abord l’objet d’une prise de position (et de votes) au sein de chaque co-législateur, avant que ces positions respectives ne soient discutées et négociées pour aboutir à un texte final qui serait approuvé par les deux institutions.

S’agissant de la proposition de directive « stop the clock », il n’est pas exclu qu’elle fasse aussi les frais de ces intenses discussions[21]. D’autant qu’en l’état, le cadre en place est connu des entreprises depuis plusieurs mois et que nombre d’entre elles se sont intensément préparées aux changements que les Directives CSRD et CSDDD et la Réglementation Taxonomie ont impliqués.

En l’espèce, les principales critiques émises à l’encontre des initiatives de « simplification » sont de deux ordres[22] :

  • D’une part, il s’agit d’une remise en cause du cadre juridique existant dans une temporalité incertaine qui n’est donc pas de nature à nourrir la confiance des acteurs économiques, l’incertitude juridique n’étant généralement pas considérée comme un facteur favorable au bon fonctionnement de l’économie, en particulier pour les secteurs comme l’industrie qui a besoin de stabilité à long terme pour structurer ses investissements significatifs (exigés en l’occurrence par la volonté de ré-industrialiser l’économie européenne); et
  • D’autre part, cette volte-face en pleine mise en œuvre de ces dispositions de droit européen risque in fine d’engendrer une augmentation des coûts pour certaines entreprises moyennes – qui seraient formellement exclues de l’application immédiate des Directives CSRD et CSDDD, mais qui devront tôt ou tard répondre à une multitude de demandes de reporting hétérogènes de leurs clients ou partenaires financiers qui restent soumis à ces obligations et pour lesquels ces entreprises moyennes sont d’importants partenaires commerciaux.

Il peut sembler regrettable que la Commission engage un mouvement de « simplification » de cette ampleur alors que, par les initiatives de construction d’une transparence sur la durabilité essentielle à la transition de l’économie européenne (et par effet ricochet plus largement d’autres grands ensembles économiques dans le monde), l’Union était parvenue à mettre en place un dispositif harmonisé de premier plan dans le monde et à procurer de la sorte un avantage compétitif à ses acteurs économiques. En effet, rares sont les commentateurs avertis qui considèrent que la modification du climat en cours et les atteintes à la biodiversité ne vont pas conduire à des aménagements significatifs de nos systèmes de production, de distribution, de commercialisation et de consommation sur le territoire de l’Union et au-delà.

Certes, il ne saurait être considéré qu’un dispositif normatif ne puisse être aménagé pour répondre à des soucis pratiques d’opérabilité. En revanche, il semble utile de rappeler que la qualification est une étape essentielle et primordiale dans la démarche du juriste. Partant, il est peut-être maladroit de présenter un exercice de dérégulation significative sous la forme d’un « effort de simplification », car cela crée une confusion qui n'est pas propice à l’efficacité de l’action normative, sur le fond mais aussi en termes de calendrier. Ce qui n’est pas clair met du temps à être clarifié avant de pouvoir être effectivement débattu et modifié à bon escient. En l’espèce, ce que la Commission a présenté comme un exercice de simplification semble bien s’apparenter à une remise en cause du cadre juridique quelques mois à peine après son adoption et plus grave encore, après le début de sa mise en œuvre effective.

Marc Pittie, Tangui Vandenput & Eugénie Stinglhamber– Avocats, Law4Nature

[1] JOUE L 23.12.2024, pp.1-3.

[2] Voir la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions « Une boussole de compétitivité pour l’Union européenne », 29 janvier 2025, COM (COM) 30 final.

[3] Pour une vue d’ensemble de ces initiatives, voir le site de la Commission européenne : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_25_614

[4] Proposal for a REGULATION OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL amending Regulation (EU) 2023/956 as regards simplifying and strengthening the carbon border adjustment mechanism

[5] Proposal for a REGULATION OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL amending Regulations (EU) 2015/1017, (EU) 2021/523, (EU) 2021/695 and (EU)2021/1153 as regards increasing the efficiency of the EU guarantee under Regulation (EU) 2021/523 and simplifying reporting requirements

[6] Pour une étude plus approfondie, nous vous recommandons de parcourir les textes pertinents (voir lien ci-avant sous note 4) et de consulter les nombreux sites qui suivent quotidiennement les discussions en cours – à cet égard, les analyses et commentaires du Professeur Andreas Rasche de l’Université de Copenhague sont particulièrement précieux – voir http://www.arasche.com

[7] Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) n°537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, JOUE, 16 décembre 2022, L 322/15 – ci-après « Directive CSRD ».

[8] Directive (UE) 2024/1760 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 et le règlement (UE) 2023/2859, JOUE, 5 juillet 2024, L – ci-après « Directive CSDDD ».

[9] Proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council amending Regulation (EU) 2023/956 as regards simplifying and strengthening the carbon border adjustment mechanism, COM(2025) 87 final, 26.2.2025.

[10] Pour les règlements délégués visés par la proposition de nouveau règlement délégué, voir (1) le Règlement délégué (UE) 2021/2178 de la Commission du 6 juillet 2021 complétant le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil par des précisions concernant le contenu et la présentation des informations que doivent publier les entreprises soumises à l’article 19 bis ou à l’article 29 bis de la directive 2013/34/UE sur leurs activités économiques durables sur le plan environnemental, ainsi que la méthode à suivre pour se conformer à cette obligation d’information, JOUE, 10 décembre 2021, L 443 ; (2) le Règlement délégué (UE) 2021/2139 de la Commission du 4 juin 2021 complétant le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil par les critères d’examen technique permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci et si cette activité économique ne cause de préjudice important à aucun des autres objectifs environnementaux, JOUE, 9 décembre 2021, L 442 ; et (3) le Règlement délégué (UE) 2023/2486 de la Commission du 27 juin 2023 complétant le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil par les critères d’examen technique permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l’utilisation durable et à la protection des ressources aquatiques et marines, à la transition vers une économie circulaire, à la prévention et à la réduction de la pollution, ou à la protection et à la restauration de la biodiversité et des écosystèmes, et si cette activité économique ne cause de préjudice important à aucun des autres objectifs environnementaux, et modifiant le règlement délégué (UE) 2021/2178 de la Commission en ce qui concerne les informations à publier spécifiquement pour ces activités économiques, JOUE, 21 novembre 2023, L.

[11] Voir le communiqué de presse de la Commission du 26 février 2025 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_25_614 .

[12] Nous laisserons à d’autres le soin d’apprécier la validité de cette valorisation.

[13] Page 4 de sa Proposition.

[14] Les pages 17 à 20 de l’exposé des motifs de sa Proposition sont particulièrement éclairantes.

[15] Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088, JOUE, 22 juin 2020, L 198/13.

[16] Étrange démarche tout de même dans la mesure où le seul avis des sujets de droit soumis à un cadre contraignant est de nature à emporter une initiative d’allégement de cette ampleur, alors que ces mêmes sujets de droit ne disposent pas du droit de vote aux élections, pour ne pas parler de la prise en compte de l’avis des autres parties intervenantes dans le processus démocratique d’élaboration normatif …

[17] Page 6 de l’exposé des motifs de sa proposition de directive modifiant quatre directives dont la Directive CSRD et la Directive CSDDD et page 5 de sa proposition de directive « stop the clock ».

[18] Notons à cet égard qu’en droit belge, la Directive CSRD a déjà été transposée par la loi du 2 décembre 2024 - https://etaamb.openjustice.be/fr/loi-du-02-decembre-2024_n2024011683

[19] Les principaux partis représentés au sein de l’hémicycle européen ont annoncé des positions qui ne facilitent pas la formation d’une majorité dite « non-extrémiste » au soutien des propositions de la Commission – voir positions des partis S&D, Renew et Green notamment : https://www.politico.eu/article/europes-divided-parliament-could-nuke-von-der-leyens-plan-to-slash-red-tape/

[20] Il semble utile de relever à cette occasion la prise de position du Conseil National des Barreaux français publiée ici : https://www.cnb.avocat.fr/fr/actualites/le-cnb-prend-position-sur-le-paquet-de-simplification-omnibus-presente-par-la-commission-europeenne

[21] Même si, à ce stade, l’alignement du Conseil sur les propositions de la Commission pousse ce dernier à réclamer l’adoption de ces textes dans l’urgence et en tout état de cause avant la fin de l’année 2025, et avant l’été pour ce qui est de la directive « stop the clock » - voir les conclusions du Conseil du 20 mars 2025 : https://www.consilium.europa.eu/media/viyhc2m4/20250320-european-council-conclusions-en.pdf

[22] Indépendamment du retard pris sur les exigences d’alignement aux modifications du climat et de la biodiversité clairement et objectivement établis.

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