Il y a un an, deux nouvelles lois entraient en vigueur pour mieux protéger les lanceurs d’alerte dans les entreprises privées et le secteur public fédéral. Elles transposaient une directive européenne et complétaient une législation qui existait déjà dans le secteur public, notamment au niveau fédéral. Au-delà de la protection, une des avancées réside dans le fait que les lanceurs d’alerte peuvent désormais aussi bénéficier de différents types de soutien d’une institution indépendante. C’est l'Institut fédéral des droits humains (IFDH), créé par le Parlement fédéral en 2019, qui est chargé de cette mission. Pour mettre en œuvre ces mesures de soutien, l’IFDH s’appuie notamment sur des experts et il appelle les avocats et cabinets qui souhaitent s’investir dans la défense des lanceurs d’alerte à se manifester.
Edward Snowden, Chelsea Manning et Antoine Deltour figurent parmi les lanceurs d’alerte les plus célèbres pour avoir révélé publiquement des violations, abus ou comportements condamnables d’organisations pour lesquelles ils travaillaient. En Belgique aussi, certains abus n’auraient jamais pu être révélés sans un lanceur d’alerte. Dans la plupart des cas, la démarche n'est pas médiatisée et reste inconnue du grand public, mais elle est tout aussi importante pour la société et l’intérêt général. Certaines organisations accueillent le signalement d’un lanceur d’alerte comme une occasion de promouvoir ou réhabiliter leur intégrité. Malheureusement, pour d’autres organisations, un signalement (que les faits soient devenus ou non publics) n’est pas toujours accueilli de manière aussi favorable. Les conséquences pour certains lanceurs d’alerte peuvent alors être considérables. Dans le passé, la crainte de représailles les dissuadait souvent de signaler des abus ou fraudes dont ils pouvaient avoir connaissance.
Directive européenne
C’est pourquoi l’Union européenne a décidé, en 2019, de renforcer la protection des lanceurs d’alerte au sein des Etats membres. La directive européenne (Directive UE 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union) a depuis été transposée en droit belge par deux lois, une pour le secteur privé (Loi du 28 novembre 2022 sur la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l'Union ou au droit national constatées au sein d'une entité juridique du secteur privé) et une pour le secteur public fédéral (Loi du 8 décembre 2022 relative aux canaux de signalement et à la protection des auteurs de signalement d'atteintes à l'intégrité dans les organismes du secteur public fédéral et au sein de la police intégrée). Les deux lois sont entrées en vigueur l’année dernière.
Les lois prévoient différents types d’abus ou de fraude que les lanceurs d’alerte peuvent signaler. Pour le secteur privé, les signalements doivent concerner une violation de la législation dans un des 14 domaines prévus par la loi : marchés publics, santé publique, sécurité des transports, protection de l’environnement... Pour le secteur public, le signalement ne doit pas porter sur un domaine spécifique, mais peut viser toute atteinte à l’intégrité, un concept défini de manière large et qui englobe toute menace à l’intérêt général (violation de la loi, danger pour la vie ou la santé, manquement grave aux obligations professionnelles).
Des règles et mécanismes spécifiques sont fixés, notamment des canaux de signalement internes, pour les entreprises privées comptant plus de 50 travailleurs et pour les organismes publics fédéraux. Il est aussi possible pour le lanceur d’alerte d’effectuer un signalement auprès d’un organisme externe indépendant. Le Médiateur fédéral est le coordinateur des signalements du secteur privé et le canal externe pour le traitement des signalements du secteur public, sauf pour la police et les services de renseignement et de sécurité pour lesquels il s’agit respectivement du Comité P et du Comité R. Ces canaux de signalements sont chargés de mener des enquêtes sur les faits signalés par le lanceur d’alerte. Dans certains cas plus exceptionnels, le lanceur d’alerte peut effecteur une divulgation publique.
Protection maximale
L’objectif des mesures de protection est d’offrir aux lanceurs d’alerte qui signalent des abus ou de la fraude dans le cadre professionnel une protection maximale contre les représailles. Le Médiateur fédéral, le Comité P et le Comité R assurent la protection extrajudiciaire des lanceurs d’alerte contre les représailles, telles qu’un licenciement, une évaluation défavorable ou un refus de promotion. Cette protection consiste notamment en une demande écrite adressée à l’employeur qui devra prouver que la mesure défavorable n'est pas liée au signalement. Il existe un renversement de la charge de preuve : les démarches mentionnées sont a priori considérées comme des représailles. Il incombera à l’employeur de prouver le contraire. Il est également possible pour le lanceur d’alerte de saisir la justice. Les travailleurs ne sont pas les seuls concernés. Les anciens membres du personnel, stagiaires, indépendants, actionnaires, fournisseurs ou encore sous-traitants peuvent également bénéficier de ces dispositions.
Information et soutien
L’Institut fédéral des droits humains (IFDH), institution indépendante créée par le Parlement fédéral en 2019 pour protéger et promouvoir les droits fondamentaux en Belgique, est chargé d’informer les lanceurs d’alerte et toute personne qui souhaite des informations sur le sujet. Il fournit également des mesures de soutien aux lanceurs d’alerte qui en ont besoin. Le soutien peut s’effectuer de différentes manières : un soutien psychologique, une assistance juridique, une aide financière dans le cadre des procédures judiciaires, un accompagnement de carrière, un soutien social, un appui technique en matière de protection des données ou une formation aux médias pour les lanceurs d’alerte qui souhaitent s'adresser à la presse.
Stress et pressions
Signaler un abus ou une fraude au travail est une démarche importante pour la société et l’intérêt général car les abus peuvent alors être évités à l’avenir. Mais l’impact pour les lanceurs d’alerte est parfois lourd, tant sur leurs relations au travail que dans leur vie privée. Les lanceurs d’alerte se posent des questions, se sentent souvent seuls et ils peuvent être confrontés à un grand stress. Ils signalent des faits car ceux-ci vont à l'encontre de leur intégrité et de leurs propres valeurs. Ils souhaitent souvent, avant tout, que leur organisation fonctionne correctement et ils n’ont pas forcément envie d’être déplacés ou de devoir démissionner. Ils sont aussi souvent inquiets des conséquences sur les relations avec leurs collègues et peuvent parfois subir des pressions. Pour certains lanceurs d’alerte, cette situation constitue un vrai traumatisme. L’IFDH, avec l’aide de psychologues, peut alors apporter le soutien psychologique nécessaire aux lanceurs d'alerte qui en éprouvent le besoin.
Une culture favorable aux lanceurs d’alerte
La protection des lanceurs d’alerte contre les représailles, les différentes possibilités de canaux de signalement, mais aussi les mesures de soutien dont peuvent bénéficier les lanceurs d’alerte participent à créer une culture favorable à la détection des abus et fraudes au sein des entreprises et des organismes publics fédéraux où l’intégrité doit constituer une valeur essentielle.
Afin de sensibiliser davantage les lanceurs d’alerte à leurs droits, l’IFDH lancera cette année une campagne d'information.
Un rapport bisannuel
L’Institut fédéral des droits humains a également pour mission de rédiger un rapport d’évaluation indépendant bisannuel relatif à la protection des auteurs de signalement en Belgique. Le premier rapport est attendu en 2025, il sera adressé au gouvernement fédéral et aux Chambres fédérales.
Appel aux avocats
L’Institut fédéral des droits humains recherche des avocats ou cabinets d’avocats prêts à fournir une assistance juridique à des lanceurs d’alerte qui ont signalé des cas d’abus ou de fraude au travail, et qui font l’objet de représailles ou qui sont eux-mêmes poursuivis pour des faits liés à leur signalement. Vous souhaitez vous investir en tant qu’avocat dans la défense des lanceurs d’alerte ? Consultez l’appel de l’Institut fédéral des droits humains ou consultez le site www.institutfederaldroitshumains.be/fr.
Martien Schotsmans
Directrice de l’Institut fédéral des droits humains
Crédit photo : (c) J. Van Droogenbroek