Bruxelles a pétillé pendant trois jours ! Et pas seulement à cause des bulles dans les breuvages absorbés, parfois à flots, par certains !
Jeudi matin, cela a débuté par le désormais traditionnel concours de plaidoiries surréalistes « ceci n’est pas une plaidoirie ». Des compétiteurs venus de trois continents se sont affrontés pour le seul plaisir de nous étonner. Ce fut toujours éloquent, souvent brillant. Le jury a eu quelque peine à départager les dix candidats et en définitive c’est Me Robin Tesseyre du barreau de Toulouse qui a reçu la palme. Le deuxième prix a été partagé ex aequo par des représentants des barreaux de Haut de Seine et de Versailles. Pas de Belge sur le podium ! Au pays du surréalisme, c’est vraiment surréaliste !
Le jeudi soir est consacré à l’accueil des représentants des délégations des barreaux belges et étrangers ainsi que des avocats du barreau de Bruxelles qui se dévouent ou se sont dévoués pour les institutions ordinales. Cette année-ci, le bâtonnier Michel Forges a eu l’excellente idée de recevoir ses invités dans le beau bâtiment dû à l’art de l’architecte Horta qui abrite le musée belge de la bande dessinée. Je retiens de cette soirée, la remarque d’une déléguée d’un barreau italien : « mais je ne savais pas que tous ces héros de bandes dessinées qui ont enchanté ma jeunesse étaient des créations d’auteurs belges ! ».
Le vendredi matin, place à du très sérieux et très consistant : le colloque de rentrée. Sous la co-présidence de Me Vinciane Gillet, membre du conseil de l’Ordre et du Professeur Gregory Lewkowicz, directeur du Centre d’études Perelman de l’ULB, le colloque 2020 avait pour thème un sujet au cœur de notre actualité : « Les droits fondamentaux dans la transition numérique et écologique ». Trois orateurs prestigieux ont développé des réflexions sur cette thématique avec trois éclairages différents. Le Professeur Sonia Ranchordas, Professeur à l’Université de Gröningen, a examiné les défis posés par les Smart Cities pour la protection des droits fondamentaux, Me Alain Bensoussan, avocat à la Cour d’appel de Paris, a captivé un auditoire attentif sur les défis de l’intelligence artificielle pour les droits fondamentaux et enfin Monsieur Frédéric Wickert, Président de A.I. Sense, a fait une intéressante communication sur le coût énergétique et environnemental de la révolution numérique. Un échange avec la salle et avec les partenaires internationaux de l’Incubateur européen du barreau de Bruxelles a clôturé cette partie académique de la rentrée.
Avant le moment de détente des discours de la rentrée, très attendus, un moment de recueillement. A l’occasion de chaque rentrée, le barreau de Bruxelles tient à rappeler les noms des membres du barreau qui ont perdus la vie du fait des deux guerres mondiales. Comme l’a rappelé le président Jérôme Henry, les morts continuent à vivre en nous aussi longtemps que leurs noms ne sont pas oubliés. Le soir, lors du dîner, le doyen des avocats d’Ecosse me disait que ce devoir de mémoire du barreau de Bruxelles était sans pareil dans son pays et dans beaucoup d’autres.
Pour écouter les discours de l’après-midi, la salle des audiences solennelles de la Cour d’appel était comble. Mais tout vient à point pour qui sait attendre : la séance commence par la remise des prix : prix d’éloquence, prix à des jeunes avocats méritants, etc., le rite est immuable. Immuable ? Pas ce vendredi 17 janvier 2020. Le barreau de Bruxelles accordait pour la première fois le titre de « Membre d’honneur du barreau de Bruxelles » à Me Firmin Yangambi, avocat au barreau de Kisangani, pour son action exemplaire en faveur d’un Etat de droit au Congo. Quel est son mérite ? Lisez ou relisez le bel éditorial du président d’AVOCATS.BE, Xavier Van Gils, dans la Tribune n° 164 du 20 décembre 2019.
Place enfin aux discours ! L’orateur élu pour cette rentrée 2020 n’est pas un inconnu au barreau de Bruxelles. Cavit Yurt fut un très actif commissaire de la Conférence du Jeune Barreau. C’est aussi un prestidigitateur talentueux. Rien à voir avec des petits tours de magie qu’on apprend à la va-vite ! Notre homme s’est formé et se forme toujours actuellement auprès des meilleurs maîtres dans le monde entier. J’ai gardé le souvenir d’un voyage du Jeune Barreau à Séville au cours duquel notre orateur époustoufla toute la cohorte de voyageurs par ses tours, avec un simple jeu de cartes ! Ce vendredi 17 janvier, Cavit Yurt n’avait pas devant lui une table de magicien, mais un pupitre d’orateur. De quoi va-t-il nous entretenir ? L’orateur entretient le mystère : il va recueillir au fond de la salle, des mains d’un huissier d’audience, un genre de bocal dans lequel un origami figure une grenouille morte. Puis, l’orateur nous récite les premiers vers d’un poème d’Apollinaire « Sous le pont Mirabeau » (coule la Seine/ et nos amours/Faut-il qu’il m’en souvienne/La joie venait toujours après la peine). L’orateur nous apprend que le cadavre de la grenouille a été repêché dans la Seine, sous le pont Mirabeau. Qui est l’auteur du forfait ? L’orateur nous le désigne assez rapidement : un professeur de littérature française. Quel est son crime : détourner la jeunesse d’aujourd’hui de l’amour de la poésie par un froid travail de dissection des poèmes. L’orateur nous dit toute sa passion de la poésie et le regret qu’il éprouve en constatant le désintérêt des jeunes à l’égard de la poésie, cet art de l’écriture « qui rend la vie supportable ». Son discours est un éloge de la poésie. Mais Cavit Yurt n’a pas tout-à-fait perdu son goût pour la magie, fût-il orateur de rentrée. Devant un public médusé, une grande flamme transforma la grenouille en plume, celle du poète !
La réplique du président Jérôme Henry fut une joyeuse alternance de piques et sourires à l’orateur. La synthèse du bâtonnier Michel Forges fut tour à tour drôle et sérieuse, tant le bâtonnier aime à surprendre son auditoire par une petite provocation avant de rappeler l’une ou l’autre vérité bienvenue. Je ne pourrais terminer cette évocation des trois discours sans mettre en avant une prouesse des trois orateurs du jour : tous trois ont délivré leur discours quasi sans se référer à leurs notes écrites. Du grand art !
Vint le soir, et son traditionnel banquet. Douze cents personnes servies de mets délicieux dans un ancien silo à grains le long du canal à Neder-over-Hembeek. Une prouesse pour le restaurateur ; de longs moments de conversations variées pour l’assistance ! Le bâtonnier de Paris échappa au traditionnel chahut en déclarant qu’il demandait l’asile en Belgique. Les feux de la soirée qui suivit se sont éteints parait-il vers six heures du matin. Pour ma part, à cette heure, j’étais déjà depuis belle lurette sous ma couette !
Le samedi matin, le bâtonnier Michel Forges a reçu un public choisi au grand temple de la Grande Loge régulière de Belgique, pour y écouter musique et chants extraits de chansonniers maçonniques anglais et français des XVIIème et XVIIIème siècles. Une belle découverte à tous points de vue. Pour ma part j’y ai noté ce bref extrait d’un rondeau de Jean-Christophe Naudot : « L’exacte probité produit l’égalité ».
Est-ce tout ? Nenni ! Le samedi soir, le président de la Conférence du Jeune Barreau recevait au vestiaire des avocats toutes les délégations des jeunes barreaux venues d’Europe, d’Afrique et du Canada. L’occasion de nouveaux discours pour se dire sur tous les modes que l’esprit peut inspirer qu’on a vécu la meilleure rentrée de tous les temps.
2020 fut effectivement un excellent cru !
Maurice Krings,
Dauphin du barreau de Bruxelles
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