Comment lever les obstacles à la sortie anticipée de prison ? - Table ronde organisée par le ministre de la Justice

En tant que membre de la commission pénale d'AVOCATS.BE et compte-tenu de ma pratique d'avocate en droit pénitentiaire, j'ai eu le plaisir de participer à une table ronde organisée le 18 novembre 2022 par le ministre de la Justice et son administration. La question de départ sur laquelle les débats ont eu lieu est la suivante : "Comment lever les obstacles à la sortie anticipée de prison ?".

Je ne vous cache pas que j'étais très enthousiaste à l'idée de participer à ces discussions, heureuse que l'on s'intéresse et que l'on consacre du temps à l'avenir des personnes incarcérées qui sont souvent les oubliées, les invisibles, les marginalisées de la société.

L'objectif affiché était de mettre sur la table des propositions concrètes visant à faciliter l'octroi de modalités d'exécution de la peine privative de liberté.

Pour nourrir les discussions, dix personnes avaient été conviées : pour chaque groupe linguistique, un membre du service psychosocial (S.P.S.) et de la direction gestion de la détention (D.G.D.), un avocat, un directeur de prison, un magistrat du parquet et un magistrat du siège étaient présents.

Deux modératrices, Mesdames Olivia NEDERLANDT et Kristel BEYENS, professeures à  l'USL-B et à la VUB structuraient les débats.

La table ronde a débuté par un petit mot d'accueil du Ministre. 

Ensuite, Madame Kristel BEYENS nous a présenté les données chiffrées des libérations entre 2016 et 2021 et les grands constats tirés des recherches scientifiques à ce propos.

Les constats sont sans appel : 

  • De plus en plus de détenus sont libérés à fond de peine ;
  • Les mesures de libération conditionnelle sont octroyées plus tardivement et, majoritairement, après que la moitié de la peine au moins ait été subie ;
  • Les procédures actuelles ne favorisent pas l'octroi rapide des modalités d'exécution

Alors qu'il a été démontré que les détenus qui bénéficient d'une libération encadrée sont ceux qui connaissent un taux de récidive bien moindre, ces résultats ne manquent évidemment pas d'interpeller.

Fort de ces constats, une discussion s'est organisée autour des différentes pistes de solution que Madame Olivia NEDERLANDT a présentées à l'assemblée sur base des résultats de ses travaux scientifiques.

En résumé ces pistes d'améliorations sont les suivantes : 

  • Favoriser un octroi automatique des modalités d'exécution de la peine ;
  • Limiter la surveillance électronique et la détention limitée aux cas dans lesquels cela est absolument nécessaire ;
  • Réviser la durée du délai d'épreuve de la libération conditionnelle en ce qu'il semble constituer un frein pour certains détenus du fait de sa longueur.

Evidemment – ce serait trop facile –, nous n'étions pas tous du même avis autour de la table. Certains percevaient la proposition d'un octroi automatique des modalités d'exécution de la peine comme la chronique d'une noyade annoncée, là où je voyais les détenus au milieu de la piscine avec des bouées, des brassards, encouragés par le professeur de natation et avec un maître-nageur prêt à intervenir en cas de difficultés. 

Si chacun est bien évidemment influencé par ses expériences personnelles, je dois bien vous avouer qu'alors que je venais à cette table ronde dans l'espoir d'une évolution législative et d'une amélioration significative de la pratique, ces divergences d'opinions ont été une réelle douche froide.

Que nos politiques se montrent ouverts à la discussion autour de pistes de solution, c'est un premier pas mais qu'ils acceptent d'entendre réellement quels sont les obstacles à la sortie anticipée de prison et qu'ils cherchent  à les endiguer concrètement relève, malheureusement, du mirage.

Je songe notamment aux obstacles suivants :

  • Les conditions de détention des détenus dues à la fois à la surpopulation carcérale mais également à un manque d'effectifs à tout niveau (personnel pénitentiaire, services d'aide aux détenus, membres du service psychosocial, …) ;
  • La longueur, la lenteur et l'incertitude du processus pour obtenir une sortie anticipée qui génère chez les détenus beaucoup d'incertitudes et de souffrances et qui provoque chez eux résignation ou abandon ; 
  • L'actuel débat sécuritaire qui reste une des causes du principe de précaution appliqué par nos tribunaux ;
  • L'état d'engorgement des services psychosociaux qui ne peuvent faire autrement que de débuter les investigations trop tard ;
  • Les exigences démesurées de chacun des intervenants, à tous les stades du processus : mise en place d'un suivi psychologique intramuros sur une période significative (alors que les services d'aide aux détenus sont bien peu nombreux pour faire face à la demande), remise d'un avis psychiatrique, actualisation infinie des enquêtes sociales et des rapports du S.P.S., etc. ; 

Si la société craint la récidive, le système actuel tend à l'augmenter de manière significative, et ce alors même qu'il est une certitude que les échecs de libération conditionnelle sont sans commune mesure avec les réussites de cette mesure.

Selon moi, l'automaticité de l'octroi des mesures d'exécution de la peine est une piste à exploiter sérieusement : cela permettrait un désengorgement des prisons, un meilleur encadrement des personnes libérées, une plus grande offre d'aide aux détenus et une diminution de la récidive.

Nos politiques oseront-elles toutefois emboîter le pas ?
L'après-midi du 18 novembre fut très riche et intéressante. Toutefois, pour les détenus, qu'en ressortira-t-il concrètement ?

Justine Wayntraub,
Avocate au Barreau du Brabant wallon
Membre de la commission pénale d'AVOCATS.BE

Photo de Caroline Martins

A propos de l'auteur

Justine
Wayntraub
Avocate au Barreau du Brabant wallon

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