En ma qualité de membre de la commission pénale d'AVOCATS.BE et compte-tenu de ma pratique d'avocate en droit pénitentiaire, j'ai été invitée à participer, le 2 février 2023, à une réunion au Parlement européen qui avait notamment pour objet l'amélioration des conditions matérielles de détention dans les différents établissements pénitentiaires européens.
Pour nourrir les discussions, plusieurs personnes avaient été conviées : la collaboratrice de Madame Saskia BRICMONT (eurodéputée), Madame Anne JONLET (responsable du bureau européen de liaison au sein d'AVOCATS.BE), Madame Hélène BIAIS (directrice des affaires publiques à la Délégation des Barreaux de France (DBF)) et Monsieur Hugues de SUREMAIN (coordinateur juridique chez European Prison Litigation Network (EPLN)).
J'étais très enthousiaste à l'idée de participer à ces discussions, heureuse que l'on s'intéresse et que l'on consacre du temps aux conditions matérielles de détention.
La réunion du 2 février 2023 se voulait plus spécifiquement être un moment de réflexion sur la recommandation adoptée le 8 décembre 2022 par la Commission européenne et relative aux droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies faisant l’objet d’une détention provisoire ainsi qu'aux conditions matérielles de détention, les suites à y réserver et, plus généralement, les actions qui pourraient perpétuer cet élan en faveur des personnes qui sont souvent les oubliées de la société.
Cette recommandation est le fruit de l'interpellation de la Commission européenne par le Conseil «Justice et affaires intérieures» en octobre 2021 suite à la constatation que les conditions matérielles de détention étaient très différentes d'un Etat membre à l'autre, ce qui a une incidence sur la confiance mutuelle et la coopération judiciaire en matière pénale.
Comme toutes les recommandations, elle n'a pas force de loi et n'est donc pas légalement contraignantes pour les États membres (article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Elle constitue en quelque sorte une ligne de conduite générale suggérée que les Etats membres sont invités à suivre, avec toutefois un certain contrôle de la Commission quant aux suites qui y seront réservées.
En effet, en l'espèce, à dater de l'adoption de cette recommandation, soit à dater du 8 décembre 2022, chaque Etat membre dispose d'un délai de 18 mois pour informer la Commission de son suivi. La Commission disposera ensuite d'une période de 6 mois supplémentaires pour suivre et évaluer les mesures prises par les Etats membres et présenter un rapport au Parlement européen et au Conseil.
Pour en revenir à la réunion susvisée, il est ressorti des discussions que la rédaction de cette recommandation constituait finalement un lot de consolation un peu décevant. Recommandation qui est passée totalement inaperçue en cette fin d'année civile, ne disposant d'aucune visibilité.
Concrètement, les constats suivants ont notamment pu être tirés à propos de cette recommandation :
- Ses objectifs sont louables mais peu réalistes voire utopistes ;
Il en va ainsi, par exemple, des objectifs suivants :- Définir des orientations à l’intention des États membres pour qu’ils prennent des mesures efficaces, appropriées et proportionnées visant à garantir que les personnes privées de liberté soient traitées avec dignité, que leurs droits fondamentaux soient respectés et qu’elles ne soient privées de liberté qu’en dernier ressort ;
- Consolider les normes établies dans le cadre des stratégies existantes à l’échelon national, à l’échelon de l’Union et à l’échelon international en ce qui concerne les droits des personnes privées de liberté à l’issue de procédures pénales ;
- Elargir à l'échelon national les orientations définies dans la présente recommandation afin d’assurer un niveau de protection plus élevé.
- Définir des orientations à l’intention des États membres pour qu’ils prennent des mesures efficaces, appropriées et proportionnées visant à garantir que les personnes privées de liberté soient traitées avec dignité, que leurs droits fondamentaux soient respectés et qu’elles ne soient privées de liberté qu’en dernier ressort ;
- Les principes généraux qu'elle contient sont nobles mais ne tiennent pas compte du manque de moyens criant ;
Avec les moyens actuels dont nous disposons, comment imaginer que :- La détention provisoire ne soit envisagée qu'en dernier ressort après avoir privilégié l'ensemble des mesures alternatives à la détention ;
- Les détenus soient traités avec respect et dignité ;
- Un réel travail de prévention soit réalisé pour parer à la récidive ;
- Des actions satisfaisantes visant à la réinsertion sociale soient menées ?
- La détention provisoire ne soit envisagée qu'en dernier ressort après avoir privilégié l'ensemble des mesures alternatives à la détention ;
- Cette recommandation trace des lignes de conduite générale sans tenir nullement compte de la multiplicité des profils des personnes incarcérées (personnes de race différente, de sexe différent, d'âge différent, de culture différente, etc.). ;
- La législation belge semble déjà rencontrer les normes minimales relatives aux droits procéduraux et aux conditions matérielles de détention visées dans la recommandation, même si elles ne sont pas toujours respectées en pratique.
Globalement, force est donc de constater que cette recommandation ne contient finalement pas grand- chose de neuf et ne semble pas être de nature à révolutionner les conditions matérielles actuelles, à moins qu'il faille en réalité considérer que la Belgique est LE précurseur ?
En effet, les initiatives d'amélioration sont déjà nombreuses dans notre pays, comme en atteste l'instauration récente du droit de plainte en octobre 2020, entraînant la création de Commissions.
Si, sur le plan humain, la réunion a été très intéressante, malheureusement, sur le plan intellectuel, elle s'est révélée moins concluante dans la mesure où il est clairement apparu qu'à l'approche des élections européennes qui auront lieu en juin 2024, l'amélioration des conditions de détention n'est clairement pas une priorité pour les eurodéputés qui craignent manifestement de perdre certaines voix.
J'ai envie de terminer mon propos en vous partageant la crainte qui est la mienne que cette recommandation marque le point final des discussions portant sur les conditions de détention.
Je vous propose de nous donner rendez-vous en décembre 2024 pour examiner la manière dont les Etats membres ont investi cette recommandation.
Justine Wayntraub,
Avocate au Barreau du Brabant wallon