Atelier : Aliments entre époux/ex-époux

Co-présidentes :

  • Françoise BASTIN, avocate au barreau de Charleroi et membre de la commission « famille » d’AVOCATS.BE
  • Pauline MONFORTI, avocate au barreau de Charleroi

Intervenants :

  • Alain-Charles Van Gysel, professeur à l’ULB et avocat au barreau de Bruxelles
  • François Adriaensen, Conseiller à la Cour d’appel de Mons, juge d’appel de la famille

L’atelier relatif aux aliments entre époux et ex-époux qui nous a été présenté en cette cinquième édition des Etats généraux du droit de la famille a permis de souligner l’importance fondamentale, en cette matière, des éléments de preuve que les parties se doivent d’apporter aux débats, et qui permettent de mettre en lumière les circonstances factuelles propres à chaque dossier, lesquelles auront une incidence non négligeable tant sur l’octroi des aliments au profit de l’époux qui s’avère en être prima facie le créancier que sur leurs montants.

I. L’appréciation de la notion de « faute » dans le cadre de l’octroi du secours alimentaire et la pension après divorce

L’exposé de Me VAN GYSEL s’est subdivisé en quatre parties formulées sous la forme des questions suivantes :

A. La faute constitue-t-elle un obstacle à la pension basée sur le devoir de secours entre époux (art. 213 de l’ancien C. civ.) ?

Faut-il prendre en considération la notion de faute dans le devoir de secours, alors que les instances en divorce sont de plus en plus courtes suite à la suppression du débat sur la faute en tant que moteur du divorce lui-même ?

La loi du 30 juillet 2013, laquelle a modifié l’article 221 de l’ancien C. civ. indique clairement que l’on peut obtenir un devoir de secours sans devoir apporter la preuve d’une faute qui aurait été commise, ce qui constitue un renversement des règles relatives à la charge de la preuve en cette matière telles qu’elles existaient avant la réforme du divorce instaurée par la loi du 27 avril 2007.

Cela signifie-t-il toutefois que la notion de faute ne puisse plus être mobilisée comme une exception à une pension basée sur le devoir de secours ?

La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 juin 2014, a répondu par la négative en confirmant que nonobstant les modifications apportées à l’article 221 de l’ancien C.civ., la faute peut toujours être prise en compte, exceptionnellement, afin de contester l’octroi d’une pension au créancier d’aliments.

B. La faute ainsi mobilisée à titre d’exception à l’octroi du devoir de secours correspond-elle à la notion de faute au sens de l’article 301de l’ancien C. civ., laquelle fait obstacle à l’octroi d’une pension alimentaire après divorce ?

Il y a une très forte divergence entre, d’une part, la Cour de cassation et, d’autre part, les juridictions de fond.

Dans le même arrêt du 5 juin 2014, la Cour de cassation reprend sa jurisprudence antérieure en ce qu’elle estime que la faute qui fait obstacle à l’octroi du devoir de secours doit être à l’origine de la séparation des parties, ou du maintien de cette séparation. Si la faute commise par le conjoint créancier du devoir de secours intervient ne serait-ce que partiellement dans la désunion irrémédiable ou son maintien, cela suffit à supprimer le devoir de secours.

La grande majorité des juridictions de fond en font une analyse très différente dès lors qu’elles assimilent cette notion de faute à celle visée à l’article 301 de l’ancien C. civ., à savoir la faute qui se situe dans une relation de causalité univoque avec la désunion irrémédiable du couple.

Cette divergence entre la jurisprudence de la Cour de cassation et celle des juridictions de fond s’explique par l’accélération de la procédure de divorce qui a pour conséquence que le débat sur le devoir de secours et celui sur la pension après divorce sont plaidés en même temps.

C. La causalité entre la faute et la désunion irrémédiable du couple

Toute le monde est d’accord : une faute est « grave » lorsqu’elle a entraîné la désunion irrémédiable du couple.

Là la jurisprudence s’avère éparse, c’est au stade de la démonstration de la séquence temporelle entre la faute et la séparation du couple.

En pratique, et pour reprendre le cas le plus fréquent, il s’agit de la séquence temporelle entre la mésentente du couple et l’adultère.

Il ressort de la jurisprudence de ces deux dernières années que dans certaines, l’adultère ne constituera pas une « faute grave », car bien que celui-ci se soit produit, la mésentente entre le couple était déjà présente ; d’autres cas d’espèce vont par contre justifier que malgré la mésentente du couple, qui était déjà présente au sein de la relation, a été aggravée par cet acte qui causera la séparation et la désunion irrémédiable des parties.

Il sera alors question d’apporter la preuve de cette causalité.

Par ailleurs, outre le fait de rapporter la preuve de la survenance de l’adultère à un moment précis de la relation, il faudra également apporter la preuve de ce que l’autre conjoint ait été au courant de celui-ci, à défaut de quoi cet événement ne pourrait être mis en relation causale avec la désunion irrémédiable.

Rappelons que l’usage actuel et répandu des réseaux sociaux permet de faciliter une telle démonstration.

Parmi les décisions de jurisprudence récemment publiées, relevons les deux exemples suivants :

  • L’alcoolisme :

Face à une situation d’alcoolisme, ce ne sera pas l’état d’alcoolisme en lui-même qui sera constitutif d’une faute (étant donné qu’il s’agit d’un état maladif), mais le fait de ne pas vouloir soigner son addiction ;

  • L’adultère intervenu après que le conjoint « fautif » ait été insulté de manière extrêmement injurieuse sur les réseaux sociaux :

Il a été estimé que le dénigrement était tel que la désunion du couple était consommée dès ce moment-là, et que l’adultère n’en a été que la conséquence, ce qui a exclu l’octroi d’une pension après divorce au conjoint « injurieux ».

D. L’effet de la faute dans le devoir de secours et la pension après divorce

Rappelons qu’en suite de violences conjugales, il n’y a l’octroi ni d’un devoir de secours, ni d’une pension après divorce au profit de l’auteur des faits.

Pour ce qui concerne par contre d’autres comportements constitutifs d’une faute, le législateur est demeuré muet pour ce qui concerne l’octroi du devoir de secours dès lors que l’article 221 de l’ancien C. civ. dispose qu’« à défaut par l'un des époux de satisfaire à cette obligation, l'autre époux peut, sans qu'il soit besoin de prouver une faute et sans préjudice des droits des tiers, se faire autoriser par le tribunal de la famille à percevoir à l'exclusion de son conjoint, dans les conditions et les limites que le jugement fixe, les revenus de celui-ci ou ceux des biens qu'il administre en vertu de leur régime matrimonial, ainsi que toutes autres sommes qui lui sont dues par des tiers. »

En matière de pension après divorce visée par l’article 301 de l’ancien C. civ., il est par contre stipulé qu’en présence d’une « faute grave », le juge peut priver le conjoint - économiquement créancier – de la pension après divorce.

La jurisprudence s’avère divisée quant à cette faculté, certaines juridictions considérant qu’à partir du moment où la relation causale entre la faute et la désunion irrémédiable est démontrée, le juge ne dispose d’aucune marge de manœuvre et doit dès lors priver cet époux créancier de la pension alimentaire.

D’autres décisions de fond considèrent par contre qu’au regard des travaux préparatoires, lesquels ont insisté sur le terme « peut », le juge dispose du pouvoir d’accorder, malgré la faute grave démontrée, une pension après divorce.

L’effet de cette faute grave sera alors traduit sur son montant, celui-ci étant réduit par rapport à celui qui aurait été accordé en l’absence d’une telle faute.

Certaines décisions vont même jusqu’à considérer que cette faute, aussi grave puisse-t-elle être, ne peut effacer toutes les années de dévotion à la vie familiale de sorte que la pension doit revêtir la forme d’une sorte de salaire différé…

 

II. Méthodes de calcul du secours alimentaire et de la pension après divorce

Il n’y a actuellement pas de méthode universelle permettant de déterminer le secours alimentaire et la pension après divorce, de sorte que la jurisprudence s’avère à cet égard particulièrement éparse.

Monsieur le conseiller Adriaensen nous a fait l’honneur de nous faire part de la méthode de calcul appliquée dans le ressort de la Cour d’appel de Mons.

A. Secours alimentaire (SA)

Le secours alimentaire doit permettre au conjoint créancier de bénéficier du même niveau de vie que celui auquel il aurait pu prétendre si les époux ne s’étaient pas séparés.

Afin d’en déterminer le montant, la première étape du raisonnement consiste à reconstituer le niveau de vie des parties si celles-ci ne s’étaient pas séparées.

Les revenus des parties étant susceptibles d’évoluer, il y a lieu de prendre en compte la période de débition du secours alimentaire, et non les revenus des parties durant la vie commune.

Niveau de vie auquel peut prétendre le créancier alimentaire :

Revenus Monsieur + Revenus Madame

– charge de logement commune (loyer ou emprunt hypothécaire)

– coût ordinaire net des enfants communs

– frais extraordinaires des enfants communs

= Sous-total

– 15 %, correspondant au surcoût lié à la séparation / 2 = niveau de vie à atteindre = secours alimentaire

Exemple :

1.250,00 € nets (Revenus Mme : enseignante à mi-temps).

5.000,00 € nets (Revenus Mr. : député wallon depuis les dernières élections).

- 800,00 € (Charge commune de logement : emprunt hypothécaire).

- 600,00 € (Coût net ordinaire de l’enfant commun (15 ans) : coût brut (PCA) – allocations familiales).

- 200,00 € (FE enfant commun)

Sous-total = 4.650,00 €.

- 697,50 € (Surcoût lié à la séparation des parties (4.650,00 € x 15 %)

= 1.976,25 € (Niveau de vie à atteindre : 4.650,00 € – 697,50 € = / 2).

La seconde étape du raisonnement vise à déterminer si le créancier alimentaire dispose de la capacité financière d’atteindre ce niveau de vie.

Dans l’exemple qui est étudié, Madame travaille à mi-temps, mais compte tenu de l’autonomie acquise par l’enfant commun âgé de 15 ans, celle-ci pourrait augmenter son temps de travail pour maximiser sa capacité financière : l’on va donc prendre en compte une capacité financière de 1.750,00 € et non de 1.250,00 €.

Il s’agira bien évidemment d’un examen au cas par cas, étant entendu qu’à ce stade il n’est pas exigé que le créancier d’aliments ait effectivement maximisé ses revenus, mais qu’il puisse démontrer qu’il a mis tout en œuvre pour les maximiser (ex. preuves de recherches d’emploi, exposé de la situation, etc.).

Niveau de vie à atteindre

– capacité financière créancier

– charge de logement créancier

– quote-part créancier dans coût net ordinaire enfants communs

– quote-part créancier dans FE enfants communs

= secours alimentaire. 

Exemple :

1.976,25 €

- 1.250,00 € (1.750,00 € (Capacité financière Mme) – 500,00 € (indemnité d’occupation))

Secours alimentaire = 726,25 €, arrondis à 725,00 €

Ou : occupation gratuite de la résidence conjugale (500,00 €) + SA de 225,00 €.

Il est toutefois important de noter qu’il existe des situations familiales dans lesquelles la totalité des revenus n’est pas toujours affectée au financement du niveau de vie (dépenses d’épargne et/ou d’investissement), de sorte que cette quote-part des revenus devrait être exclue du calcul pour déterminer le niveau de vie des parties. Il appartiendra toutefois aux parties de le préciser et de le démontrer, le magistrat étant tenu au principe dispositif.

Dans ce cas, il s’agira :

  • Soit de s’adapter au cas par cas, en chiffrant le niveau de vie sur base d’un budget à fournir par les parties,
  • Soit de procéder à un « lissage » des revenus à l’instar du lissage applicable dans la méthode PCA, en déduisant par exemple 20 % de ce qui excède 3.000,00 € (seule cette quotité étant alors réputée être affectée au financement du train de vie).

Troisième étape : une fois ce quantum fixé, qui équivaut au montant net à percevoir par le créancier d’aliments, il y a lieu de tenir compte de l’incidence fiscale et de fixer lemontant brut à payer par le débiteur, c’est-à-dire avant imposition, suivant la formule suivante – exemple : 

Si taux moyen d’imposition de Mme = 25 % (cf. AER) :

(725,00 € x 80,00 %) x 25 % = 145,00 € (IPP).

Secours alimentaire à verser par Mr. : 725,00 € + 145,00 € = 870,00 €.

B. Pension alimentaire après divorce (PAD)

a) Ouverture du droit à la pension après divorce (art. 301, § 2, al. 1er de l’ancien C. civ)

Le tribunal de la famille peut, dans le jugement prononçant le divorce ou lors d'une décision ultérieure, accorder, à la demande de l'époux dans le besoin, une pension alimentaire à charge de l'autre époux.

L’époux dans le besoin est celui dont la situation économique globale est inférieure à celle de son ex-conjoint (appréciation prima facie), en tenant compte tant de ses revenus que de ses facultés.

A cette étape du raisonnement, l’on prend en compte les revenus effectifs et non les revenus virtuels, ces derniers étant pris en compte au stade de la détermination du quantum de la pension après divorce.

Dans l’exemple ci-avant, l’on prendra donc en compte les 1.250,00 € perçus par Madame.

b) Quantum de la pension après divorce (art. 301, §3 de l’ancien C. civ.)

Le tribunal fixe le montant de la pension alimentaire qui doit couvrir au moins l'état de besoin du bénéficiaire.

Afin de fixer le montant de la pension après divorce, le raisonnement suivant peut être proposé :

Premièrement : examiner s’il y a eu dégradation significative de la situation économique du créancier :

  • soit en raison du mariage (choix opérés durant la vie commune ayant entraîné une perte totale ou partielle de salaire et/ou de droits à la pension),
  • soit en raison du divorce (ce second cas demande la démonstration de circonstances particulières liées notamment à la durée du mariage, à l’âge du créancier, à son état de santé ou à la charge d’éducation des enfants communs).

Si l’on parvient à la conclusion qu’il n’y a pas de dégradation significative de la situation économique du créancier, le quantum de la pension après divorce doit permettre au créancier de couvrir ses besoins relatifs (et non ses besoins au sens strict) au regard de sa situation sociale, de son niveau d’éducation, de son âge et de son état de santé[1]. Le budget sera à produire par le créancier.

Si l’on arrive à la conclusion qu’il y a une dégradation significative de la situation économique du créancier, le quantum doit permettre au créancier de se rapprocher du niveau de vie dont il bénéficiait durant vie commune.

Deuxièmement : fixer le quantum de la pension après divorce.

A ce stade, on prend en compte les revenus virtuels du créancier.

La doctrine et la jurisprudence majoritaires considèrent qu’on ne peut, au stade de la pension après divorce, octroyer l’occupation gratuite de la résidence conjugale.

Une fois le quantum net fixé, il y a encore lieu de tenir compte de l’incidence fiscale et de fixer le montant brut à payer par le débiteur, c’est-à-dire avant imposition.

Application :

Dans l’exemple, Madame ayant réduit son temps de travail à un mi-temps pour s’occuper de l’enfant commun (choix opéré par les époux durant la vie commune), celle-ci a droit à une pension après divorce couvrant davantage que son état de besoin et lui permettant de se rapprocher du niveau de vie dont elle bénéficiait durant la vie commune (pension après divorce compensatoire de la dégradation significative de la situation économique de Madame en raison du mariage).

  • Niveau de vie durant la vie commune :

1.250,00 € (Rev. Mme) + 4.000,00 € (Rev. Mr. (bourgmestre)

– 800,00 € (Emprunt hypothécaire) – 600,00 € (coût net enfant commun) – 200,00 € (FE enfant commun)

= 3.650,00 € / 2 = 1.825,00 € par époux.

  • Détermination de la capacité financière du créancier d’aliments :

Capacité financière de Mme :

1.750,00 € – 500,00 € (indemnité d’occupation) = 1.250,00 €.

  • Détermination du montant net de la pension après divorce :

PAD nette : 1.825,00 € – 1.250,00 € = 575,00 €.

Incidence fiscale : (575,00 € x 80,00 %) x 25 % (taux moyen d’imposition Mme) = 115,00 € (IPP)

PAD brute à verser : 575,00 € + 115,00 € = 690,00 €.

Vérification : ce montant n’excède pas le tiers des revenus du débiteur d’aliments. 

Notons, pour ce qui concerne la détermination du quantum de la pension après divorce, que la méthode de calcul diffère devant les juridictions bruxelloises, lesquelles estiment que la pension après divorce doit être calculée sur la base de l’état de besoin relatif (communiqué par le créancier d’aliments) et non sur la base du niveau de vie à atteindre.

 

III. L’IDENTIFICATION ET LA DETERMINATION DES REVENUS OCCULTES

A. Principes généraux

Il s’agit de revenus/ressources qui existent, mais qui sont dissimulés par l’un des époux dans le cadre de la procédure alimentaire (fixation du secours alimentaire, du montant de la pension après divorce, ainsi que du montant de la contribution alimentaire).

Principe : « Le juge n’est pas tenu d’accorder foi aux données ressortant des déclarations fiscales s’il ressort des éléments de la cause que ces données ne reflètent pas la réalité ».

La première chose à garder à l’esprit est l’application des règles sur le droit de la preuve.

Au conjoint qui allègue l’existence de revenus occultes, il lui incombe de démontrer la réalité de ces revenus (art. 8.4, al. 1er C. civ. ; art. 870 C. jud.).

Bien que ce principe soit tempéré par l’article 8.4 C. civ. relatif à la collaboration loyale à la charge de la preuve, le conjoint qui dissimule des revenus occultes n’y collaborera pas.

Il est dès lors important de garder à l’esprit la souplesse que permet l’article 8.6 C. civ. qui dispose, en son second alinéa, que celui qui supporte la charge de la preuve d’un fait positif « dont, par la nature même du fait à prouver, il n'est pas possible ou pas raisonnable d'exiger une preuve certaine » « peut se contenter d'établir la vraisemblance de ce fait ».

Ainsi, la nature-même de l’existence des revenus occultes qu’il faut démontrer permet de déroger au principe de l’administration de la preuve par un degré raisonnable de certitude et de lui substituer une preuve par vraisemblance.

Mais comment va-t-on prouver l’existence de ces revenus ?

En l’espèce, dès lors qu’il ne s’agit pas de démontrer l’existence d’un acte juridique mais d’un fait, celui-ci pourra être démontré par toute voie de droit, et notamment par témoignages et présomptions.

a) Témoignages

Définition : « Déclaration faite par un tiers dans les conditions des articles 915 et suivants et 961/1 et suivants du Code judiciaire » (art. 8.1., 8° C.C.).

Cela vise notamment les enquêtes ainsi que les attestations écrites, étant entendu que les premières ne sont, en l’espèce, que très peu appliquées vu le caractère lourd de cette procédure et le caractère subsidiaire des mesures d’instruction. Les attestations écrites, quant à elles, sont largement utilisées en pratique.

Rappelons que les témoignages n’ont pas de force probante, mais une valeur probante qui est laissée à l’appréciation du juge (art. 8.28, al. 2 C. civ.).

Concrètement, il y aura lieu d’avoir égard aux critères suivants :

  • La valeur probante des déclarations de témoins reçues sous serment par le juge (915 et s. C. jud.) auront une valeur probante supérieure à celle des attestations écrites. Si le juge a toutefois un doute sur le contenu de cette attestation, il peut décider d’entendre sous serment le rédacteur de l’attestation (art. 961/3 C. jud.) ;
  • Vérification du respect des formalités prévues à l’art. 961/2 C. jud. ;
  • Prise en compte compte de la nature des liens (familiaux, affectifs, amicaux, de subordination, de voisinage, etc.) avec le témoin ;
  • Il faut aussi qu’il s’agisse d’un témoignage direct (renvoi à 961/2 C. jud.).

A défaut du respect de ces conditions, l’appréciation de la valeur probante de cette attestation par le magistrat sera fortement réduite.

Notons que les témoignages ne suffiront pas en soi à prouver les revenus occultes, de sorte qu’il y aura lieu de faire appel à des présomptions de fait.

b) Présomptions de fait

 Définition : « Mode de preuve par lequel le juge déduit l'existence d'un ou plusieurs faits inconnus à partir d'un ou plusieurs faits connus » (art. 8.1., 9° C.C.).

A nouveau, ces présomptions n’ont aucune force probante mais uniquement une valeur probante, de sorte que celle-ci est laissée à l’appréciation du magistrat à la lumière de l’art. 8.29, al. 2 C. civ., lequel dispose que le juge « (…) ne doit les retenir que si elles reposent sur un ou plusieurs indices sérieux et précis. Lorsque la présomption s'appuie sur plusieurs indices, ceux-ci doivent être concordants ».

Ces règles étant rappelées et appliquées à la démonstration de l’existence de revenus occultes, la Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 9 novembre 2007, que le juge ne peut se contenter d’allégations non établies de l’une des parties.

Il en va de même pour les allégations fondées uniquement sur « l’usage » qui existerait dans certaines professions de ne pas déclarer l’intégralité des revenus perçus.

Indices retenus pour établir et chiffrer les revenus occultes :

  • Lors que les charges vantées et/ou que le train de vie (signes extérieurs de richesse) sont incompatibles avec les revenus déclarés ;
  • « L’absence de toute comptabilité officielle, la tenue par contre d’un agenda des ventes qui témoigne d’une comptabilité parallèle, l’incompatibilité entre d’une part les revenus déclarés et les sommes qu’il offre de payer pour sa fille et la pension du cheval de celle-ci, ainsi enfin que les acquisitions coûteuses faites par cet époux »;
  • Présence de l’époux au siège de l’entreprise, huit heures par jours, plusieurs jours d’affilé, constaté par un détective privé;
  • La hauteur des montants proposés dans le cadre des négociations d’un divorce par consentement : « Des négociations préalables à un divorce par consentement mutuel qui échouent n'engagent pas les parties. La teneur de ces négociations constitue néanmoins un élément que le juge peut retenir, à titre indicatif, pour apprécier la capacité financière d'un époux. Le montant de pension alimentaire offert par l'un des époux à l'autre permet ainsi de corroborer les affirmations selon lesquelles le débiteur d'aliments bénéficierait d'importants revenus non déclarés »;
  • Les transferts réguliers de fonds vers l’étranger ;
  • La remise durant la vie commune par un époux chauffagiste de 500,00 € par mois en liquide à son épouse pour le nettoyage de son atelier, fait qui n’avait pas été contesté;
  • La remise durant la vie commune de fonds par un époux lors de ses longs voyages à l’étranger alors qu’il se prétendait sans le sous;
  • La contribution spontanée d’un mari aux charges du ménage durant la
    vie commune incompatible avec ses revenus déclarés ;
  • Des publications Facebook dans lesquelles le débiteur exprime son intention d’acheter un immeuble en République dominicaine.

B. Les revenus du conjoint exerçant son activité en société

Un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 7 septembre 2015 résume le principe applicable en présence d’un conjoint exerçant son activité en société :

« Dans l'analyse de la capacité contributive des parents, il convient de prendre en considération leurs revenus réels globaux, c'est-à-dire non seulement les revenus qu'ils perçoivent en tant que personnes physiques, mais également ceux perçus par leur société ainsi que les avantages en nature qu'elle peut leur procurer ».

 

A) Revenus effectifs 

Les revenus effectifs du conjoint qui exerce en société sont les suivants :

  • La rémunération de dirigeant d’entreprise (laquelle est souvent réduite pour des raisons fiscales) ;
  • Les tantièmes (e. l’attribution au gérant ou à l’administrateur d’une partie des bénéfices de la société) ;
  • Les dividendes distribués (si dirigeant aussi actionnaire) (mais controverse sur la qualification de revenus, cf. infra) ;
  • Les intérêts du compte courant débiteur de la société à l’égard du dirigeant d’entreprise ;

L’on vise la situation dans laquelle le dirigeant d’entreprise prête de l’argent à la société, cette dernière ayant un compte courant débiteur à son égard : les intérêts de ce compte courant débiteurs correspondront - dans la plupart des cas - à la différence entre le compte courant de l’exercice concerné et celui de l’exercice précédent. Ces intérêts constituent des revenus mobiliers dont il y a lieu de déduire un précompte mobilier de 30 %.

Ces revenus peuvent être établis sur la base des documents suivants :

  • L’avertissement-extrait de rôle ;
  • La fiche 281.10
  • Les fiches de salaire du dirigeant ;
  • Toute la composante de la comptabilité, à savoir le bilan, les comptes de résultat et les comptes d’affectation ;
  • L’avertissement-extrait de rôle de la société durant la période litigieuse ;

A défaut de communication des pièces, l’on pourra éventuellement avoir recours aux articles 871 et 877 C. jud.

B) Revenus indirects

a) Avantages en nature (ATN)

Le principe directeur en la matière est clairement exposé par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 mai 2019 applicable aux contributions alimentaires, mais transposable à la détermination du secours alimentaire et la pension après divorce :

« Dans sa décision sur la contribution alimentaire pour les enfants, le juge tient compte, pour la détermination des moyens de chacun des parents, non seulement des avantages de revenus supplémentaires, mais aussi des avantages en nature qui réduisent leurs charges. Le juge est tenu d’indiquer dans sa décision la nature et le montant des avantages en nature qu’il prend en compte et qui réduisent les charges des parents ».

Enumération non exhaustive de ces avantages :

  • La mise à disposition par la société :
    • D’un véhicule (si dirigeant peut l’utiliser à des fins privées) et de ces accessoires (carburant, parking, amendes de stationnement, assurances, taxes, entretiens, réparations, abonnement coyote, etc.) ;
    • D’un GSM + accessoires (abonnement p. ex.) ;
    • D’un ordinateur portable + accessoires (abonnement internet p. ex.) ;
    • D’un logement.

Face à de tels avantages, le créancier en aliments évaluera l’avantage concerné en le comparant à un avantage de même nature.

Toutefois, le débirentier argumentera de ce qu’en l’absence de cette mise à disposition, il n’aurait sans doute pas fait choix d’un bien du même standing.

  • La prise en charge par la société :
    • Des frais de logement du dirigeant (loyer ou emprunt hypothécaire, eau, gaz, électricité, assurance habitation, précompte immobilier, etc.), étant entendu qu’il y aura lieu de réduire l’avantage si une partie de l’immeuble est utilisée par la société à concurrence du pourcentage d’usage professionnel ;
    • De son GSM (+ abonnement) ;
    • De son ordinateur (+ abonnement internet) ;
    • De ses frais de voyage privés (avion, hôtels, location d’une voiture) ou semi-privés ;
    • De ses frais de restaurant ou de nourriture (frais de représentation) ;
    • Des primes d’une assurance hospitalisation ou maladie complémentaire ;
    • Des primes d’une pension complémentaire (primes d’assurance-groupe et/ou d’engagement individuel de pension) (controversé : certains n’en tiennent pas compte car revenus différés).
  • Un prêt sans intérêts (ou avec un intérêt réduit) consenti par la société à son dirigeant à des fins privées (compte courant débiteur).

Ces revenus vont être établis sur la base des documents suivants :

  • Dans les comptes de résultat de la société
  • Dans les fiches de salaire du dirigeant.

A défaut de communication des pièces, l’on pourra éventuellement avoir recours aux articles 871 et 877 C. jud.

b) Bénéfices non distribués

Le principe a été édicté par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 juin 1980 : « Dans la détermination des revenus qu'un époux doit utiliser conformément aux art. 213 et 217 C. civ. pour remplir son obligation de contribution, le juge peut prendre en compte les bénéfices réservés d'une S.P.R.L. si l'époux en est le gérant et possède une majorité des parts ».

La Cour de cassation précisera sa jurisprudence dans un arrêt du 30 septembre 2011, en énonçant les conditions suivantes :

  • Il faut qu’il y ait des bénéfices (à vérifier dans les comptes d’affectation de la société) ;
  • Il faut que ces bénéfices n’aient pas été distribués ;
  • L’époux dirigeant est (i) actionnaire (ii) majoritaire, à savoir qu’il a un pouvoir décisionnel sur l’affectation de ces bénéfices (ce qui est le cas dans les sociétés unipersonnelles)

L’on prendra ainsi en compte les bénéfices nets (après impôt des sociétés de 25 %) non distribués et mis en réserve dans la société (revenus virtuels), SAUF si cette mise en réserve a été effectuée pour constituer la réserve légale ou statutaire (car obligatoire), ou si la mise en réserve volontaire est justifiée économiquement (exemples : société qui devrait, compte tenu de son endettement, conserver ou accroître ses fonds propres, soit pour garantir le bon remboursement de crédits, soit pour en obtenir auprès de prêteurs, soit encore pour envisager dans le futur la réalisation d’investissements ou le développement de nouvelles activités ; remplacement de machines en raison de leur obsolescence, préavis à payer, investissements nécessaires à continuité de la société ; etc.).

Il s’agira d’une appréciation au cas par cas : examen détaillé de la situation interne de la société, le cas échéant en sollicitant soit des explications comptables et financières de la part du débiteur, soit éventuellement par l’intermédiaire d’une mesure d’expertise comptable.

Relevons qu’il sera plus difficile de justifier une mise en réserve des bénéfices dans des sociétés de services (ex. sociétés d’avocats, de médecins, etc.).

Ces revenus vont être établis sur la base des documents suivants :

  • Comptes d’affectation
  • L’avertissement-extrait de rôle de la société

A défaut de communication des pièces, l’on pourra éventuellement avoir recours aux articles 871 et 877 C. jud.

Comment ces bénéfices sont-ils évalués par la jurisprudence ?

Alors que la prudence imposerait de prendre en considération uniquement une partie des bénéfices, en trouvant un compromis entre une saine gestion (mise en réserve partielle) et une distribution, la jurisprudence s’avère radicale.

Il ressort en effet des décisions publiées que les juridictions prennent souvent la totalité de ces bénéfices en compte, dont on déduit ensuite 30%, pour ensuite les mensualiser (ex. 100.000€ mis en réserve, moins 30%, 70.000 €) à mensualiser à 5.830 €/mois), ce qui emporte des conséquences malheureuses car l’on arrive à une capacité financière disproportionnée par rapport à la réalité dès lors qu’il s’agit d’une ressource non régulière et non garantie (dépend notamment des résultats de la société, de sorte qu’il faudrait plutôt les considérer comme capital produisant des revenus mobiliers (intérêts)).

En toute hypothèse, il ne faut pas oublier de porter en déduction des dividendes le précompte mobilier. 

Une autre solution pourrait consister à examiner les trois dernières années pour avoir une idée du niveau de vie, mais celle-ci ne s’avérera pas satisfaisante si époux n’a jamais procédé à des distributions depuis la constitution de sa société.

c) Compte courant débiteur à charge du dirigeant :

L’époux dispose là non plus d’intérêts, mais d’un capital produisant des revenus mobiliers (intérêts) et non revenus.

Ces revenus vont être établis sur la base des documents suivants :

  • Bilan de la société.

A défaut de communication des pièces, l’on pourra éventuellement avoir recours aux articles 871 et 877 C. jud.

[1] Cass. (1ère ch.), 05 septembre 2019, R.W., 2019-2020, p. 1374 ; Cass. (1ère ch.), 17 septembre 2015, R.T.D.F., 2017, p. 274 ; Cass. (1ère ch.), 08 juin 2012, R.T.D.F., 2012, p. 979 ; Cass. (3ème ch.), 12 octobre 2009, Act. dr. fam. 2009, p. 199

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