Dans la version dont j’ai pu prendre connaissance, le chapitre « Justice » de l’accord ARIZONA compte précisément 15 pages (sur 205).
Le préambule est assurément engageant puisqu’en sous-titre les partis de la majorité ont écrit : « Rétablir la confiance envers le système judiciaire implique que les autorités publiques respectent l’État de droit. »
AVOCATS.BE sera particulièrement attentif à ce qu’il en aille ainsi !
Vous vous souviendrez peut-être que, dans mon « mot du président » du 7 novembre 2024, je soulignais que si la note préparatoire alors en ma possession contenait certains éléments positifs, elle comportait aussi divers éléments critiquables, « et même quelques horreurs », à propos desquelles nous n’avions pas manqué d’attirer l’attention des négociateurs.
A présent que nous y sommes enfin, je dois souligner que plusieurs des points problématiques soulevés alors – mais pas tous évidemment – ne figurent pas dans l’accord de coalition. Faut-il y voir une relation de cause à effet ? Je n’irais pas jusque-là mais le fait est qu’il n’est plus prévu de scinder le tribunal de Bruxelles et que, si la procédure en appel pourrait devenir en principe écrite, des débats auraient cependant lieu si une seule partie le demande … et que l’idée saugrenue de « bateaux-prisons » a disparu.
Par ailleurs, plusieurs mesures positives figurent (toujours) dans le document.
Parmi celles-ci, il faut souligner, la liste n’étant pas exhaustive :
- Une attention particulière portée à la victime et notamment la possibilité de bénéficier de l’assistance d'un avocat 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour les victimes de violences graves portant atteinte à l’intégrité physique ou sexuelle. Je comprends cela comme une sorte de permanence Salduz pour victime que les Ordres seront amenés à mettre en place. Nous participerons volontiers pourvu que le financement suive !
- La mise à disposition du public des algorithmes permettant d’utiliser la base de données des décisions de l’ordre judiciaire. Nous formulons cette demande de longue date.
- L’encouragement à la médiation et aux autres MARC également via le BAJ. La nomenclature devra donc être revue et nous nous réjouissons.
- Un accès facilité des avocats spécialisés à la magistrature. Nous attendons avec impatience les réflexions du nouveau CSJ qui vient d’entrer en fonction.
- Le « divorce sans juge » soit la reconnaissance par un fonctionnaire de l’état civil d’un divorce par consentement mutuel rédigé par un avocat ou un notaire « à la condition qu’il n’y ait pas d’enfant pour lesquels la loi exige un règlement et que les parties aient conclu un accord réciproque ». Notre commission « Droit de la famille » est précisément occupée à dresser un projet de loi en ce sens, en collaboration avec la chambre des notaires.
- La fixation du délai d’opposition à 30 jours. C’est assurément plus praticable.
- La réforme du droit disciplinaire des avocats, chose que nous attendons … mais à la condition bien entendu qu’elle se fonde sur la proposition commune des Ordres communautaires, qui est en voie d’achèvement.
Les choses se gâtent par contre dans les chapitres concernant le droit pénal, la procédure pénale et les prisons.
Le texte transpire un climat très répressif, que l’on peut comprendre sur certains points (la lutte contre les organisations criminelles qui tendent à s’implanter en Belgique est à l’évidence une priorité) mais qui est aussi en contradiction avec d’autres objectifs affichés, la défense des victimes et la réduction du taux de récidive.
Ainsi, l’énumération ci-dessous n’étant pas non plus exhaustive :
- Il est prévu de renforcer la procédure de comparution immédiate récemment introduite et de supprimer le consentement du suspect comme condition d’application de celle-ci.
Rappelons qu’une procédure en annulation a été introduite devant la Cour constitutionnelle contre la loi du 18 janvier 2024 qui ne respecte pas le principe du procès équitable, notamment pour les victimes (comment évaluer leur dommage en quelques jours/semaines et même savoir s’il sera ou non permanent ?), et a pour conséquence d’augmenter la surpopulation carcérale puisqu’elle implique la détention du suspect.
- La note prévoit qu’en règle générale les détenus seront déplacés le moins possible pour les audiences de la chambre du conseil et de la chambre des mises en accusation qui devront se tenir en prison ou par vidéoconférence, les exceptions devant être justifiées par des circonstances liées aux droits de la défense, à l'absence infrastructure appropriée ou à la présence souhaitée des victimes.
Elle ajoute : « Si le client le souhaite, l’avocat doit toujours avoir la possibilité d’être présent sur place pour assister son client » … C’est bien le moins mais cela ne suffit évidemment pas !
Un justiciable présumé innocent ne comparaît pas en prison.
Par ailleurs, la vidéoconférence est tout à fait inadéquate en matière pénale. La justice pénale juge avant tout des hommes, et pas uniquement des faits, ni du droit et le langage non-verbal, qui n’est par perceptible par vidéoconférence, est au moins aussi important que le langage verbal.
- Le gouvernement ARIZONA prévoit de revoir la loi Lejeune et de durcir les conditions de libération conditionnelle et de congés pénitentiaires. Cela semble difficilement compatible avec l’objectif de prévenir la récidive (taux de récidive actuel : 70%).
Contrairement au détenu « qui va à fond de peine » (50 % des détenus), celui qui bénéficie d’une libération conditionnelle prépare sa libération (travail, hébergement, …) et a davantage de chances de se réinsérer.
On note tout de même que les négociateurs s'engagent à améliorer la collecte des données et à mener des enquêtes statistiques au sein du système judiciaire afin de mieux comprendre le problème des taux élevés de récidive.
Il est indispensable que ces études soient réalisées avant toute modification de la loi sur la libération conditionnelle et des lois en matière d’exécution des peines.
On notera toutefois que de nombreuses études existent déjà à ce sujet qui montrent que les conditions d’incarcération, le manque cruel d’accompagnement et le temps passé en prisons sont à l’origine du taux de récidive dramatiquement élevé en Belgique et c’est donc à la racine que le mal doit être pris.
- La note souligne à juste titre que les conditions actuelles de surpopulation sont « insoutenables tant pour les détenus que pour le personnel pénitentiaire » et que « les détenus doivent pouvoir exécuter leur peine de manière humaine et travailler à leur reclassement. Le personnel pénitentiaire doit pouvoir exercer ses missions essentielles de manière sûre », ce qui devrait nous rassurer.
La suite n’est toutefois pas prometteuse car il est question d’un Masterplan IV en vue de l’augmentation de la capacité des prisons, de constructions modulaires, de construction (?) ou de location de prison(s) dans d’autres états de droit européens où les détenus en séjour illégal pourront purger tout ou partie de leur peine de prison pour ensuite, à la fin de leur peine, être expulsés dans leur pays d’origine « ou un autre pays où ils peuvent séjourner (? à nouveau) et de déploiement dans les prisons au côté des agents pénitentiaires, d’acteurs privés, en ce compris, le cas échéant, pour des tâches qui impliquent des contacts avec les détenus, ce que le cadre juridique actuel prohibe.
En conclusion, comme en beaucoup de choses, il y a à boire et à manger mais soyez assurés qu’AVOCATS.BE continuera de défendre les intérêts des avocats et des justiciables avec force et conviction.
Mon homologue néerlandophone, le bâtonnier Peter Callens, et moi-même avons d’ores et déjà sollicité un entretien avec la nouvelle ministre de la justice, Madame Annelies Verlinden.
Gageons que celle-ci, ancienne consœur, nous écoutera et que nous pourrons entamer une collaboration riche et fructueuse !