Philanthropie et prévention du blanchiment de capitaux

Le Fil blanc : la Spin-off

Pour rappel, la Spin-off du Fil blanc s’attèle chaque mois (une Tribune sur deux ou presque) à examiner une branche spécifique du droit à la loupe, afin de déterminer où sa pratique pourrait donner lieu à un assujettissement et quels y seraient les indices d’un éventuel blanchiment. 

Votre Fil blanc classique ne raccroche pas sa blouse (blanche) pour autant, mais passe par conséquent à une périodicité mensuelle (l’autre Tribune sur deux).

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Philanthropie et prévention du blanchiment de capitaux

Le secteur de la philanthropie en Belgique pourrait paraître moins exposé que d’autres aux risques de blanchiment de capitaux dès lors que les acteurs de celui-ci (philanthropes, fondations, asbl et associations internationales sans but lucratif, ci-après « aisbl ») poursuivent à priori des buts désintéressés et non leur enrichissement personnel ou celui de leurs fondateurs, membres ou administrateurs. 

Ce serait oublier que ce risque existe aussi dans ce secteur et que des personnes malintentionnées pourraient essayer d’utiliser des structures juridiques de droit belge constituées à des fins philanthropiques pour réaliser des opérations de blanchiment de capitaux.  

C’est la raison pour laquelle la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces (ci-après :  la loi anti-blanchiment) vise expressément, dans son champ d’application, l’avocat qui assiste (prête son concours) son client dans la préparation ou la réalisation d’opérations concernant la « constitution, la gestion ou la direction de fondations ou de structures similaires ».

L'avocat qui assiste son client pour la constitution d'une asbl, d'une aisbl ou d'une fondation de droit belge (fondation privée ou fondation d’utilité publique) entre donc dans le champ d’application de la loi anti-blanchiment et est soumis aux obligations qui en découlent (article 5, § 1er, 28°, V). 

Outre la constitution de ces structures juridiques, d’autres opérations auxquelles l’avocat prête son concours entrent également dans le champ d’application de la loi anti-blanchiment (au regard des autres dispositions de l’article 5, § 1er, 28° précité). 

C'est le cas des opérations suivantes, sans que cette liste ne soit exhaustive :

  • L’avocat qui rédige le projet de modification des statuts d’une asbl, aisbl ou fondation de droit belge pour les mettre en conformité avec le (nouveau) code des sociétés et des associations avant le 1er janvier 2024,   
  • L'avocat qui rédige des documents en lien avec un apport ou la donation d'un patrimoine à une asbl, aisbl ou fondation de droit belge (somme d'argent, portefeuille titres, œuvre d'art, immeuble, droit d'auteur …),
  • L'avocat qui intervient dans des opérations liées à l'achat ou la vente de biens immeubles par ces structures juridiques,
  • L’avocat qui a mandat de représenter une asbl, aisbl ou fondation de droit belge dans toute opération financière ou immobilière.

Dès qu'il entre dans le champ d'application de la loi anti-blanchiment, l'avocat a pour obligation d'identifier parfaitement son client et d'évaluer le risque potentiel de blanchiment en lien avec l'opération pour lequel son intervention est demandée.

Ce risque est élevé et doit inciter l'avocat à être particulièrement prudent avant d'accepter d'intervenir dans le dossier pour lequel il est consulté dans les quelques exemples suivants :

  • Il n'arrive pas à identifier parfaitement la ou les personnes qui le consultent pour constituer une asbl, une aisbl ou une fondation belge au regard des documents qui lui sont remis (on pense notamment aux ressortissants de pays dans lesquels il n'existe pas de "carte d'identité"),
  • L’avocat constate que la personne qui le consulte et qui se dit administrateur d’une de ces structures juridiques belges n'est pas mentionnée au registre UBO ou que les informations reçues au sujet des administrateurs en fonction ne correspondent pas aux informations mentionnées au registre UBO de cette structure.
  • L’avocat ne reçoit pas d’information pertinente et/ou de pièce justificative sur l’origine des œuvres d’art que son propriétaire veut apporter à une fondation belge ou il constate qu'il n'est raisonnablement pas possible que les revenus déclarés de cette personne aient permis de constituer une collection d’œuvres d’art d'une telle valeur, alors que la personne déclare qu’elle les a été acquises grâce à son "épargne".
  • Une asbl belge va recevoir une importante somme d'argent d'un donateur établi en Belgique et les fonds donnée seront versés à partir d'un compte bancaire au Panama. L’avocat n'arrive pas à identifier, sur base des documents demandés, l'origine parfaitement légale des fonds se trouvant sur son compte bancaire étranger. 

En outre, l ’avocat sera également particulièrement vigilant et s’abstiendra le cas échéant d’intervenir dans l'opération pour laquelle on le consulte lorsqu'on lui formule une demande « anormale » ou « atypique », comme dans l’exemple qui suit. 

Un avocat est consulté par une asbl qui va acquérir un immeuble. Les responsables de cette institution indiquent que le prix d'achat de l'immeuble sera financé par des dons de plusieurs personnes résidant à l'étranger et demandent à l’avocat « par mesure de facilité » de pouvoir « regrouper » tous ces dons sur son compte Carpa. Cette demande "atypique" au regard des usages en la matière doit évidemment éveiller l’extrême vigilance de l'avocat. Pour quelles raisons (peut-être peu avouables), les donateurs souhaitent verser les fonds sur le compte de l’avocat alors qu'il serait normal qu'ils les versent directement sur le compte de l’asbl ou du notaire qui recevra l'acte d'achat de l'immeuble. 

Le fait que d'autres "professionnels" soumis à la loi anti-blanchiment soient concernés par l’opération  (la banque qui reçoit les fonds ou le notaire qui établit l'acte d'acquisition de l’immeuble, l’acte de donation ou l’acte de constitution de la structure juridique) n'exonère aucunement l'avocat d’accomplir toutes les obligations qui lui incombent en cette matière lorsque l’opération pour laquelle son assistance est demandée entre dans le champ d'application de la loi anti-blanchiment.

Il se pourrait que l'avocat apprenne, après la réalisation de l'opération pour laquelle il est intervenu, des informations qui lui permettent de soupçonner un blanchiment d'argent (on rappellera que le "moindre soupçon" suffit pour obliger l'avocat, dans les conditions fixées par la loi, à en faire la déclaration à son bâtonnier) comme dans les exemples qui suivent :

  • Un avocat est consulté par plusieurs membres d'une même famille pour constituer une asbl dont le but désintéressé sera de venir en aide aux personnes sans abri. L'asbl a le projet d'acheter un immeuble qui servira d’ "abri de nuit" pour ces personnes défavorisées. L'immeuble sera acheté grâce à des fonds personnels qui seront donnés à l'asbl par un de ses fondateurs. L'avocat a parfaitement vérifié l'identité des personnes qui le consultent ainsi que l'origine des fonds qui seront apportés à l’association (qui se trouvent sur un compte bancaire en Belgique et sont justifiés par d'importants revenus professionnels déclarés du fondateur en Belgique). Dans le cadre de l'analyse de l'opération, l'avocat a reçu la copie d'une lettre du CPAS de Bruxelles qui marque son intérêt à vendre un de ses immeubles à l'asbl lorsqu'elle sera constituée pour être affecté à l'aide aux personnes sans abri. 

Après la constitution de l'asbl dont il a rédigé les statuts, les clients mettent fin à la mission de l'avocat. Celui-ci apprend, quelques semaines plus tard, que les fonds apportés à l'asbl ne proviennent pas du compte belge d'un fondateur mais d'un compte à l'étranger d'une personne dont l'identité ne lui a jamais été révélée dans le cadre du dossier. Il apprend en outre que l'asbl n'a pas acheté l'immeuble qui lui était proposé par le CPAS de Bruxelles mais un immeuble appartenant au beau-frère d'un des fondateurs de l'asbl. L'avocat peut raisonnablement soupçonner un risque de blanchiment de capitaux dès lors que les sommes "rapatriées en Belgique" par le compte de l'asbl sont finalement arrivées dans le patrimoine d'un proche des fondateurs de l'asbl. 

  • Un avocat intervient pour la constitution d'une fondation d’utilité publique de droit belge auquel le fondateur, qui est une personne physique habitant en Belgique, va apporter son importante collection d'art en vue de l'exposer en permanence au public (un accord est en cours de négociation avec un musée belge). Les statuts disposent que la fondation est constituée pour une durée de dix ans et que le fondateur pourra « récupérer » les œuvres qu’il a apportées à la fondation lorsque celle-ci cessera d’exister. L'avocat a parfaitement identifié le client, les œuvres d'art qui seront données à la fondation (elles se trouvent au domicile du client à Liège et l’avocat a reçu les factures d'achat de celle-ci) ainsi que l'origine des fonds ayant permis l'acquisition des œuvres. 

Après la constitution de la fondation, l'avocat apprend que les œuvres qui ont été apportées par le client (par don manuel) à la fondation sont celles qui se trouvaient à son domicile en Belgique mais également d’autres œuvres - dont le client ne lui a jamais parlé - qui étaient placées antérieurement dans un coffre d’une banque à l’étranger. L'avocat peut raisonnablement soupçonner un risque de blanchiment de capitaux dès lors que les œuvres d’art "rapatriées en Belgique" par le fondateur par son apport à la fondation seront in fine « récupérées » par lui lorsque la fondation sera dissoute dix ans plus tard.   

  • Un avocat reçoit sur son compte Carpa une somme d'argent en provenance d'un compte bancaire étranger d'une personne qui n'est pas son client. Il se rend compte que ce paiement est lié à un dossier pour lequel il a été consulté quelques jours auparavant par une asbl qui souhaite obtenir un permis d'urbanisme pour un immeuble qu'elle souhaite construire en Belgique (l'avocat est spécialisé dans cette matière). 

L’avocat ne reçoit pas d’informations pertinentes sur l’origine des fonds reçues sur son compte Carpa et sur l’identité précise du « donateur ». ce versement  « non identifié » paraît « anormal » et l'avocat peut raisonnablement soupçonner que l'utilisation de son compte bancaire pourrait servir à blanchir des capitaux. L’avocat en informera au plus vite son bâtonnier.

On rappellera que dans une telle situation, l'avocat ne peut pas "renvoyer les fonds" à celui qui les a versés, sous peine de participer lui-même à une opération de blanchiment.

En d'autres termes, dans le secteur de la philanthropie comme les autres, l'avocat prend toutes les mesures d'identification et de contrôle « AVANT », afin d'éviter les problèmes « APRES » » (pour paraphraser le célèbre slogan de notre organisation professionnelle) dès qu'il rentre dans le champ d'application de la loi anti-blanchiment. 

François-J. Masquelin
Avocat au barreau de Bruxelles 

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A propos de l'auteur

François-J
Masquelin
Avocat au barreau de Bruxelles

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