Note sur le plan d’action du 7 mai 2020 de la Commission européenne concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme

La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme est assurément salutaire.

Il suffit pour s’en convaincre de songer notamment aux fraudes financières informatiques en recrudescence (fraudes dite « au faux président » ou « aux factures maquillées ») où des sommes importantes sont soustraites frauduleusement à des personnes physiques ou morales à destination de comptes bancaires situés dans d’autres Etats européens ou hors UE ouverts aux noms de « mules » ou de complices, rendant le recouvrement des fonds quasiment impossible vu la rapidité des transactions financières électroniques.

Le plan d’action présenté par la commission européenne doit donc être salué ainsi que la consultation organisée jusqu’au 29 juillet 2020 ouverte à tous (lien vers le plan et la consultation).

Ceci étant dit, certaines questions peuvent être posées

  • Le plan d’action n’est-il pas prématuré ?

Ne faudrait-il pas d’abord que tous les pays membres aient transposé la 5ème Directive anti-blanchiment (ainsi huit pays, Chypre, l’Espagne, la Hongrie, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie n’ont notifié aucune mesure de transposition de la 5ème Directive anti-blanchiment) ?

  • Le plan d’action ainsi proposé n’est-il pas exagérément ambitieux, au risque d’être contre-productif (« le mieux » est parfois l’ennemi du « bien ») ?

Ce plan d’action apparaît en effet sous-tendu par la volonté de la Commission européenne de créer une autorité supranationale de supervision de la lutte contre le blanchiment qui disposerait de pouvoirs d’enquête substantiels à exercer partout en Europe, destinés à prévenir, détecter et poursuivre tant le blanchiment lui-même que le non-respect de la réglementation préventive du blanchiment par n’importe lequel des professionnels assujettis à celle-ci.

Cet objectif, au regard que ce qui s’est produit pour l’institution du Procureur européen qui aspirait initialement à une même finalité très ambitieuse pour déboucher finalement sur une réalité différente, donne à penser que les Etats-membres pourraient ne pas vouloir d’une telle autorité supranationale indépendante et que, partant, ce plan d’action soit rejeté dans son ensemble alors qu’il contient pourtant des idées de réformes très pertinentes.

On songe notamment à l’obligation d’un service bancaire de base auquel aurait droit toute personne physique ou morale, ne pouvant donc plus être, comme c’est le cas actuellement, rejetée par toutes les banques au motif qu’elle est active dans un secteur dit « à risque » ou qu’elle est l’objet d’une enquête judiciaire en cours (à l’issue de laquelle elle pourrait pourtant être acquittée). 

Il est permis par ailleurs de se demander si les compétences de cette autorité européenne ne seront pas les mêmes en tous les cas en partie que celles du parquet européen.

  • N’est-il pas exagérément coûteux ?

 Ce plan d’action appelle de ses voeux un renforcement substantiel des forces vives et des moyens matériels et financiers de l’Autorité Bancaire Européenne, voire la création d’une nouvelle instance européenne dédiée à la supervision de la lutte contre le blanchiment dans l’Union.

Le plan d’action, c’est significatif, convient toutefois lui-même que les coûts de ses aspirations et finalités seront très importants et que c’est sans doute délicat dans le contexte actuel (cf. p. 10).

Cependant, le plan d’action soutient à cet égard que ce financement pourrait être aisément réclamé aux entités assujetties à la réglementation préventive du blanchiment (voyez la page 10, § 3, du plan d’action).

  • N’est-il pas délicat en ce qu’il suscite la question, fondamentale, de la légitimité d’un transfert imposé au citoyen de tâches incombant à la puissance publique et qui sont sa raison d’être ?

Ce plan d’action interroge en effet sur l’économie même de la réglementation préventive du blanchiment encore plus poussée qu’il prône.

Celle-ci consiste en effet à imposer à des citoyens dits « assujettis » de faire eux-mêmes et plus intensivement encore la police en la matière, mais sans recevoir les moyens financiers appropriés à cet effet, alors même qu’à lire le plan d’action de la Commission, l’accomplissement de ces tâches par les fonctionnaires européens justifierait l’allocation de moyens financiers à ce point considérables qu’ils devraient être recherchés ailleurs que dans le budget, pourtant déjà très important de l’UE, à savoir être prélevés directement à charge des entités assujetties à la réglementation préventive du blanchiment, à savoir notamment, les notaires, avocats, comptables, etc… (voyez la page 10, § 3)

La Belgique qui fait partie, avec la France, des pays les plus lourdement taxés en Europe et dans le monde, devrait ainsi astreindre ses contribuables qui financent pourtant déjà plus que substantiellement les pouvoirs publics, à devoir, outre l’accomplissement par eux-mêmes de ce service public de lutte contre le blanchiment, financer complémentairement celui-ci.

Le plan d’action de la Commission pourrait amener le citoyen à se poser la question de la légitimité/utilité même de l’autorité publique, puisqu’il importe de rappeler que la mission première de l’Etat est d’assurer la sécurité publique, si l’Etat se décharge ainsi sur le citoyen de cette mission qui conditionne sa légitimité de puissance publique.

On rappellera comment est née progressivement la fronde qui, en 1789, à la faveur de deux années de mauvaises récoltes en France, conduisit à la Révolution française face à un pouvoir assujettissant ses sujets à des prélèvements colossaux dont ils ne retiraient pas les bienfaits à la mesure des sacrifices que l’on exigeait d’eux.

 

François Koning,
Avocat au barreau de Bruxelles

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