Début 2018, j’écrivais dans un autre canard en ligne quelques mots sur la phraséologie des avocats (qui me chagrinait). J’en retire ci-dessous les mots et expressions que j’ai déjà vilipendés dans cette Tribune. Une réédition du reste, aujourd’hui, ne me paraissait pas incongrue : mes agacements de l’époque me semblent toujours d’actualité. Hélas !
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A mon estime (le mot est choisi), un avocat est un professionnel du langage.
S’il prend la parole pour un autre, c’est parce qu’il va être plus clair que celui-ci. Il pourra expliquer, avec toute la limpidité requise, sa situation, ses arguments, ce qu’il souhaite et ce qu’il ne veut pas.
En principe …
Je n’entends pas fustiger ici les mots qu’il utilise et qui paraissent relever du jargon, car le rôle de l’avocat est aussi de traduire en termes juridiques ce que son client lui expose en langage commun.
Lorsqu’un médecin parle de spondylolyse, je suis bien obligé de le croire sur parole, moi, tout comme quand mon garagiste tente (vainement) de m’expliquer “ce qui ne va pas” dans mon moteur. Si je suis vraiment curieux, je pourrai toujours tenter de comprendre ce qu’ils m’ont dit, l’un et l’autre, grâce à un dictionnaire (spécialisé).
Je concède néanmoins être vite crispé quand un informaticien prétend m’expliquer comment me servir de mon ordinateur et utilise à cet effet des termes dont il gage qu’ils vont m’impressionner et qui, en réalité, ne signifient pas ce qu’il croit.
Faire un choix, même avec une souris, ce n’est pas “saisir une requête”. Tu ne sais pas dire “Clique là-dessus”, cornichon ? Tout ton mode d’emploi est indigeste !
Je pourrais donner d’autres exemples des dérives stylistiques (sémantiques) de ces professionnels, mais je souhaite m’en tenir ici à ma réprobation de l’abus, par des avocats, de mots parfois prétentieux et fréquemment mal appropriés.
Ces formules sentencieuses ne sont-elles pas à l’origine du fait que le sacro-saint grand public nous tient parfois (?) pour des personnages suffisants, voire arrogants ?
Il existe pourtant de bons exemples à suivre. En relisant dans la JLMB quelques chroniques d’un maître, Paul MARTENS, on perçoit vite que la simplicité du langage et sa clarté ne ternissent pas la brillante intelligence du propos ! Il fut une époque où, bien qu’hermétique au droit administratif, je me délectais de ses commentaires d’arrêts du Conseil d’État. Je ne comprenais d’ailleurs ces derniers qu’après l’avoir lu, lui.
Sincèrement, je ne pense être ni un ombrageux puriste ni un chicaneur formaliste lorsque je supplie mes pairs d’expurger leurs textes d’anglicismes inutiles et autres formules à la mode (souvent empruntées à la publicité ou au sabir journalistique) : les pédanteries sont toujours ridicules.
Quand un jeune avocat m’assène un avantageux « Vous n’êtes pas sans ignorer », je l’excuse d’ainsi dire juste l’inverse de sa pensée : il a choisi une formulation qu’il maîtrise mal, sans doute pour se donner des airs solennels, et au demeurant je soupçonne souvent son patron de l’avoir inspiré.
Je voudrais au passage lui dire quand même, à lui aussi, qu’il est superflu de vouloir compenser sa jeunesse par un ton affecté, mais ce n’est pas lui ma cible aujourd’hui.
Tant qu’à faire de monter un peu dans les tours (métaphore automobile vouée à disparaître avec “l’électrique”), me fondant sur l’adage qui veut que l’exemple doit venir d’en haut, ma “victime” sera … le président de l’OBFG (de l’époque, pour rappel).
Voulant attirer notre attention sur la sempiternelle “révolution numérique” (ndr : on disait le train de l’informatique voici quelques années et on ne parle plus à présent que d’intelligence artificielle, la naturelle semblant à l’agonie), il ne fut, en effet, pas avare d’expressions à la mode, dans la Tribune.
À sa décharge, son Mot du Président suivait un courrier enthousiaste de six jeunes avocats donnant des nouvelles de « l’incubateur » (une couveuse ?) en agrémentant leur laïus de tournures baroques :
- Comme annoncé “durant” la Tribune du 30 juin ;
- Le digital est une vague irrésistible qui “impacte” tous les secteurs de la société ;
- Il faut repartir avec des next steps concrets ;
- Faire cohabiter les LegalTech ;
- Permettre aux avocats qui “lancent leur pratique” … ;
- Nous relayerons régulièrement “de” l’information, etc.
Au-delà de l’emphase des slogans, il me paraît que l’insertion à toute force de mots anglais pour faire “hype” n’est pas un “must”, en sorte que les LegalTech, next steps et autres business models (me) paraissaient franchement évitables.
Quand on ne trouve pas de traduction à un mot anglais, c’est souvent qu’on n’est soi-même pas sûr du sens à lui donner. Au demeurant, au substantif anglomane, on trouve les synonymes xénophile et … snob.
Enfin, qu’on lance un moteur ou une mode, voire qu’on se lance en politique, ça paraît envisageable, mais qu’on lance sa pratique, c’est presque libidineux.
Galvanisé par ce langage qu’il avait sans doute trouvé inventif, notre bien-aimé président s’est engouffré dans la brèche jusqu’à associer dans une même phrase deux qualificatifs malencontreux : digital et profond ! Aïe.
Entraîné par la fougue de ses cadets, il nous ressert un impact de bon aloi, semble céder au modernisme à tout prix en voulant discuter “des nouveaux modèles des liens avocat-client” – c’est, au moins, mystérieux ! – et nous propose des ateliers (ndr : protégés ou maçonniques ? à moins que nous soyons des artistes ?) … participatifs !
Alors celui-là (l’adjectif supposé), vraiment, je souhaiterais le voir rejoindre, à la décharge, le collaboratif dont on nous inonde (aussi) en prétendant réinventer l’eau tiède : l’un et l’autre sont absents de tout dictionnaire digne de ce nom et ils empâtent sérieusement la rhétorique.
Faut-il nécessairement boursoufler notre langage – et ainsi martyriser notre langue – pour paraître dans le coup ? Je le conteste.
À la même époque (début 2018, pour les distraits et les oublieux), j’avais mijoté aussi un petit mot acide à propos d’un compte rendu (sans trait d’union !) de rentrée solennelle qui me semblait – comment dire ? – grandiloquent …
“L’humour et la cocasse se disputent la place de l’inédit” ; soyons de bon compte : ça ne veut rien dire.
Au-delà d’une aléatoire concordance des temps, j’épingle qu’avoir eu peu de temps pour se préparer se dit ici : “Les défections laissent une réalité de calendrier congrue” ! Euh, tu ne pousserais pas le bouchon un p’tit peu loin, Maurice ? (pub et prénom d’emprunt …).
Quand, en plus, “l’angoisse du vide et du néant laisse évoquer les sujets les plus farfelus”, on a presque la trouille.
“La force de l’avocat en son prétoire” (lyrique ou phraseur ?) rivalise avec “La recherche de la vérité serait-elle au prix de la confrontation des arguments ?” (Bon, phraseur en définitive).
Bouquet final : “Je sais que l’investissement du plus grand nombre et l’honneur fait par la tradition sera saisi l’an prochain”.
Est-ce bien raisonnable ?
Je vous en conjure, sans académisme : il faut se calmer les gars, n’en jetez plus !
Jari LAMBERT
gh.lambert@avocat.be
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