Pour rappel, notre rubrique est consacrée à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Chaque édition aborde un autre thème pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent. Appliquer la loi anti-blanchiment relève parfois de l’exercice du funambule. D’où le titre de notre rubrique…..
Celle-ci se veut courte est lisible. Elle se veut également interactive, donc n’hésitez pas à nous soumettre vos questions à l’adresse blanchiment@avocats.be. Nous ferons le maximum pour leur y apporter une réponse claire.
***
Evoquer la matière de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme avec des confrères revient parfois à s’entendre dire qu’ils ne sont pas concernés, dès lors que leur pratique se limite à la défense en justice ou que leur domaine d’activité n’est pas couvert par la loi.
Les choses ne sont pourtant pas si simples.
Champ d’application : une liste exhaustive
Le champ d’application aux avocats de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation d’espèces (ci-après : la Loi BC/FT) est défini à l’article 5, 28° de celle-ci.
Les avocats sont soumis à la Loi BC/FT
« a) lorsqu'ils assistent leur client dans la préparation ou la réalisation d'opérations concernant :
i) l'achat ou la vente de biens immeubles ou d'entreprises commerciales ;
ii) la gestion de fonds, de titres ou d'autres actifs appartenant au client ;
iii) l'ouverture ou la gestion de comptes bancaires ou de portefeuilles ;
iv) l'organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés ;
v) la constitution, la gestion ou la direction de sociétés, de fiducies ou de trusts, de sociétés, de fondations ou de structures similaires ;
b) ou lorsqu'ils agissent au nom de leur client et pour le compte de celui-ci dans toute opération financière ou immobilière »
Il s’agit d’une liste exhaustive, mais qui va loin : une action en divorce peut mener à la vente d’un bien immeuble ou être lié à la gestion d’une société, assigner un locataire mauvais payeur revient à assister un client dans la réalisation d’une opération de gestion de fonds,… les exemples sont légion même dans le cadre d’une banale intervention limitée à une défense en justice.
L’assujettissement ne fait en lui-même l’objet d’aucune exception, si ce n’est lorsque l’avocat agit en qualité de mandataire de justice (voir article publié dans la Tribune n°191).
L’ « exception défense en justice »
Certaines obligations découlant de l’assujettissement à la Loi BC/FT sont cependant nuancées[1] pour protéger le secret professionnel de l’avocat.
Quant à l’obligation de déclaration de soupçon, l’avocat en est purement et simplement dispensé lorsqu’il agit dans le cadre d’une défense en justice, comme en dispose l’article 53 de la Loi BC/FT :
« Par dérogation aux articles 47[2], 48[3] et 54[4], les entités assujetties visées à l'article 5, § 1er, (…) 28°, ne communiquent pas les informations et renseignements visés auxdits articles lorsque ceux-ci ont été reçus d'un de leurs clients ou obtenus sur un de leurs clients lors de l'évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l'exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une procédure, que ces informations ou renseignements soient reçus ou obtenus avant, pendant ou après cette procédure, sauf si les entités assujetties visées ont pris part à des activités de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, ont fourni un conseil juridique à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ou savent que le client a sollicité un conseil juridique à de telles fins. » (nous soulignons)
L’exception à l’obligation de déclaration s’étend naturellement à la représentation en justice.
La Cour a également estimé que donnait lieu à une dispense, pour l’avocat, de procéder une éventuelle déclaration de soupçons l’ « évaluation de la situation juridique » du client concernant une éventuelle procédure judiciaire, quand bien même, en définitive, aucune procédure ne serait engagée. La Cour constitutionnelle a ensuite encore étendue la notion d’ « évaluation de la situation juridique » en indiquant qu’elle comprenait celle de « conseil juridique »[5], celle-ci visant à « informer le client sur l’état de la législation applicable à sa situation personnelle ou à l’opération que celui-ci envisage d’effectuer ou à lui conseiller la manière de réaliser cette opération dans le cadre légal » et que celle-ci « a donc pour but de permettre au client d’éviter une procédure judiciaire relative à cette opération »[6].
L’exception n’a cependant aucune incidence sur la qualité d’entité assujettie à la Loi BC/FT.
***
L’exception à l’obligation de procéder à une déclaration de soupçons est elle-même assortie d’exceptions. Nous y reviendrons dans un prochain article du Fil blanc.
La Commission anti-blanchiment d’AVOCATS.BE
[1] Article 33, §2 de la loi (vérification préalable du client avant de nouer une relation d’affaires), article 33, § 2 de la loi (identification du bénéficiaire effectif).
[2] Déclaration de soupçon
[3] Demandes de renseignements complémentaires par la CTIF
[4] Possible extension de l’obligation de déclaration de soupçon par le Roi
[5] Cour Constitutionnelle, 10-2008, considérants B. 9.4
[6] Cour Constitutionnelle, 10-2008, considérants B.9.5