Les relations familiales s’inscrivent désormais dans un contexte qui présente des éléments fréquents d’extranéité, qu’il s’agisse de la nationalité des parties ou de leur résidence.
L’Union européenne est en effet un espace de libre circulation des personnes, auquel s’ajoutent les flux migratoires économiques mais aussi ceux résultant de situations de guerre, comme l’illustre dramatiquement l’actualité récente en Ukraine, avec plus trois millions de réfugiés, à l’heure de la rédaction de ces lignes.
Il est essentiel pour le praticien du droit de la famille d’acquérir les bons réflexes et de maîtriser les différents critères de rattachement qui traversent le droit international privé de la famille.
A ce titre, la notion de résidence habituelle occupe une place centrale dans la matière des relations familiales et plus particulièrement, d’une part, pour le divorce, la responsabilité parentale, les régimes matrimoniaux et les obligations alimentaires et d’autre part, les successions.
Il nous est donc paru opportun de faire un état des lieux de cette notion, essentiellement sous l’angle des principaux arrêts rendus par la Cour de Justice de l’Union Européenne, en rappelant au préalable les divers instruments européens qui l’évoquent, sous le double angle du règlement des conflits de juridictions et de lois applicables, les deux piliers de tout raisonnement en droit international privé.
Le divorce et la responsabilité parentale
Le règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et à l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit « règlement Bruxelles II bis » énonce en son article 3, à propos de la règle de conflit de juridiction en matière matrimoniale, que :
"1. Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’Etat membre :
a. Sur le territoire duquel se trouve :
- La résidence habituelle des époux, ou
- La dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou
- La résidence habituelle du défendeur, ou
- En cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou
- La résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou
- La résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est soit ressortissant de l’Etat membre en question, soit, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, s’il y a son « domicile. »
b. De la nationalité des époux ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, du « domicile » commun."
Pour ce qui concerne, par ailleurs, la responsabilité parentale, l’article 8, paragraphe premier, stipule :
"Les juridictions d’un Etat membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet Etat membre au moment où la juridiction est saisie."
Cette même place prépondérante se retrouve, à propos de la règle de conflit de loi applicable au divorce, mais aussi à propos de la responsabilité parentale, en application cette fois du code de droit international privé.
En matière matrimoniale, le règlement Rome III n°1259/2010 du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps renvoie, en son article 8, au titre de critères de rattachement cette fois hiérarchiques et non plus alternatifs, à la résidence habituelle, en ces termes :
"A défaut de choix conformément à l’article 5, le divorce et la séparation de corps sont soumis à la loi de l’Etat :
a) de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
b) de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet Etat ou moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut … »
L’article 35 du CODIP rattache la loi applicable à la responsabilité parentale à la loi de la résidence habituelle de l’enfant mineur, conformément à l’article 17 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 qui prévoit que « l’exercice de responsabilité parentale est régi par la loi de l’Etat de la résidence habituelle de l’enfant… ".
Les régimes matrimoniaux
Le règlement 2016/1103 (UE) du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux fait référence, en ses articles 5. 2 a) et b) et 6.a) b) c) à « la résidence habituelle ou dernière résidence habituelle », comme critère de compétence hiérarchique pour établir la juridiction de l’Etat membre.
Quant à la loi applicable aux régimes matrimoniaux, à défaut de choix, l’article 26 retient comme critère hiérarchique au point 1, a) celle "de la première résidence habituelle commune des époux au moment de la célébration du mariage ; ou, à défaut… ".
Les obligations alimentaires
Deux instruments sont pertinents. Le règlement 4/2009 du 18 décembre 2008 sur la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, d'une part, et le protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires, d'autre part. Par son article 15, le règlement renvoie directement au protocole pour la détermination de la loi applicable.
L’article 3 du règlement fait référence, dans ses paragraphes a) et b), à la notion de « résidence habituelle », comme il suit :
"a) la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou
b) la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle."
Les successions
Enfin, le règlement (UE) 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et la création d’un certificat successoral européen, dit règlement sur les successions internationales, règle comme il suit, à l’article 4, la compétence internationale :
"sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès."
Quant à la loi applicable à l’ensemble de la succession du défunt, ce même instrument institue, au titre de règle générale, à l’article 21 celle "de l’Etat dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès".
La résidence habituelle
La notion de résidence habituelle1 est une notion autonome en droit européen et constitue, comme on vient de le voir, le critère principal de la plupart des instruments internationaux, alors même qu’elle n’est pas définie.
Ce critère supplante largement celui de la nationalité qui devient subsidiaire, essentiellement parce qu’il est difficile à mettre en œuvre, en cas de binationalité ou de nationalités différentes au sein d’un même couple.
Le critère de la résidence habituelle répond aussi à un objectif de proximité car il privilégie le juge qui sera le mieux placé pour appréhender les questions à régler.
Pour en cerner le contour, il faut donc avoir égard aux différents arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
La Cour précise, dans son arrêt Mercredi du 22 décembre 20102 qu’on entend par « habituelle » ce qui fait référence à une forme de stabilité ou de régularité. Pour établir cette résidence habituelle, il faut avoir égard à une convergence d’éléments de faits. Ce que l’on retrouve aussi dans les arrêts A et HR relatifs à la résidence habituelle de l’enfant3.
La C.J.U.E., dans son arrêt A du 2 avril 20094, donne une définition de la résidence habituelle de l’enfant. Celle-ci implique, outre sa présence physique dans un Etat membre, une certaine intégration dans un environnement social et familial5.
Pour que cette intégration soit déterminée de la manière la plus objective possible, la Cour souligne, au point 39 de son arrêt, une liste non exhaustive6 de plusieurs facteurs, auxquels le praticien aura égard, lorsque cette question sera débattue, tels que le lieu et la durée de séjour de l'enfant, ses activités, la personne de l’enfant et les rapports personnels, familiaux et sociaux entretenus par l’enfant.
Par ailleurs, dans l’arrêt HR du 28 juin 20187, la C.J.U.E poursuit en ces termes :
"l’article 8, paragraphe 1, du règlement n°2201/2003 doit être interprété en ce sens que la résidence habituelle de l’enfant, au sens de ce règlement, correspond au lieu où se situe, dans les faits, le centre de sa vie. Il appartient à la juridiction nationale de déterminer où se situait ce centre au moment de l’introduction de la demande concernant la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant, sur la base d’un faisceau d’éléments de faits concordants".
Dans un arrêt du 25 novembre 20218, la C.J.U.E. précise encore la notion de résidence habituelle comme étant caractérisée par un élément intentionnel, comme il suit :
"en principe, par deux éléments, à savoir, d’une part, la volonté de l’intéressé de fixer le centre habituel de ses intérêts dans un lieu déterminé et, d’autre part, une présence revêtant un degré suffisant de stabilité sur le territoire de l’Etat membre concerné".
Enfin, à propos du règlement sur les successions internationales, dans son arrêt Kauno, la C.J.U.E. considère que, pour établir la résidence habituelle du défunt, l’autorité qui est chargée de la succession doit prendre en considération "l’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en comptes tous les éléments de faits pertinents"9. Elle établira donc le lieu qui révèle un lien étroit et stable entre la succession et l’Etat10.
Pour conclure, il nous paraît que les éléments suivants peuvent être mis en exergue afin d’asseoir cette notion, non définie par les instruments examinés ci-avant, dans une approche concrète :
- La durée de séjour sur le territoire11 ;
- La régularité dudit séjour ;
- Les conditions du séjour sur le territoire ;
- Les raisons du séjour et l’intention à propos du séjour ;
- La nationalité ;
- Les lieu et conditions de travail ;
- La maitrise de la langue ;
- Les relations familiales, professionnelles et sociales ;
- Tous autres facteurs pertinents.
A propos cette fois de la résidence habituelle de l’enfant, quelques circonstances sont pertinentes à relever :
- Le même lieu de résidence de l’enfant jusqu’à la séparation parentale ;
- La circonstance que le parent exerçant depuis la séparation du couple la garde de fait de l’enfant séjourne toujours avec lui en ce lieu et y exerce son activité professionnelle dans le cadre d’un travail à durée indéterminée ;
- Le fait pour l’enfant d’avoir des contacts réguliers avec son autre parent qui réside toujours en ce même lieu.
- Les activités de l’enfants (école, sport), la personne de l’enfant (nationalité, langues parlées) et les rapports personnels, familiaux et sociaux entretenus par l’enfant.
Nous espérons avoir pu ainsi apporter aux praticiens de cette matière une information utile sur cette notion si essentielle de résidence habituelle, sans laquelle la sécurité juridique des mécanismes de conflit de juridictions et de conflit de lois applicables ne serait plus aujourd’hui correctement assurée.
Le bon réflexe en droit international privé devient alors une autre manière de raisonner.
Marina Blitz
Avocate au barreau de Bruxelles
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1 C.J.U.E., 25 novembre 2021, « IB », aff. C-289/20, ECLI:EU:C:2021:955, point 38.
2 C.J.U.E., 22 décembre 2010, « Mercredi », aff. C-497/10.
3 C.J.U.E., 25 novembre 2021, « IB », aff. C-289/20, ECLI:EU:C:2021:955, point 39.
4 C.J.U.E., 2 avril 2009, « A », aff. C-523/07, ECLI:EU:C:2009:225.
5 C.J.U.E., 2 avril 2009, « A », aff. C-523/07, ECLI:EU:C:2009:225, point 38.
6 A. NUYTS, « Compétence, litispendance et renvoi des affaires : la Coordination européenne des procédures en matière de responsabilité parentale » in Barnich, L. et al. (Dir.), Le droit des relations familiales internationales à la croisée des chemins, 1e éd., Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 68.
7 C.J.U.E., 28 juin 2018, « HR », aff. C-512/17, EU:C:2018:513, point 66.
8 C.J.U.E., 25 novembre 2021, « IB », aff. C-289/20, ECLI:EU:C:2021:955, point 57.
9 C.J.U.E., 16 juillet 2020, « Kauno », aff. C-80/19, ECLI:EU:C:2020:569, point 23.
10 C.J.U.E., 16 juillet 2020, « Kauno », aff. C-80/19, ECLI:EU:C:2020:569, point 23.
11 Pour un exemple récent voir C.J.U.E., 10 février 2022, « OE c. YV », aff. C-522/20, ECLI:EU:C:2022:87