On sait que certains produits ont une durée de vie anormalement limitée. Pourquoi ? Parce les producteurs conçoivent le produit pour qu’il n’ait qu’une courte durée de vie.
Par ailleurs, pour des produits sujets à une rapide évolution technologique, le propriétaire d’une ancienne version ou modèle peut ne plus retrouver les pièces de rechange propres aux produits de cette version ou modèle. Même si pièces de rechange il y avait, le coût de la réparation est presque toujours excessif.
L’obsolescence est dite « programmée » puisqu’elle n’est pas naturelle mais résulte d’un stratagème.
Cette pratique est en opposition fondamentale avec les attentes du consommateur mais aussi avec les nécessités écologiques criantes.
Le droit commun offre certains remèdes.
En premier lieu, en droit commun des obligations, l’article 1134, alinéa 3, du Code civil prévoit, dans certaines hypothèses, une obligation d’information dans le chef du vendeur mais c’est à l’acheteur à prouver que les conditions de cette obligation sont réunies et il n’est pas sûr que le juge estime que la preuve est rapportée que le vendeur ne pouvait concevoir des produits d’une durée aussi courte, ni qu’il devait être conscient de l’importance que l’acheteur apportait à cette caractéristique.
Cette obligation est, on le sait, renforcée en droit de la consommation. L’article VI.2 du Code de droit économique met en effet à charge de l’entreprise une obligation expresse d’information en faveur du consommateur ; suit alors une liste d’informations que le vendeur doit expressément communiquer au consommateur, mais aucune information n’est exigée quant à la durée du produit.
On peut estimer que la durée du produit constitue une caractéristique essentielle du bien qui doit être divulguée en toute hypothèse par l’entreprise mais ni les entreprises, ni le SPF économie, ni les consommateurs n’ont, à notre connaissance, fait valoir ce moyen jusqu’à présent.
En droit commun de la vente, le vendeur doit délivrer une chose conforme. La conformité s’apprécie à la conclusion du contrat ; or, l’obsolescence programmée pourra difficilement être décelée par l’acheteur à l’agréation du contrat puisque le produit paraît alors conforme ; ce sera donc plus dans la garantie des vices cachés que pourra se trouver le remède de l’acheteur.
Nous croyons que le fait de prévoir une durée maximale pour un produit en fonction de l’évolution technologique constitue un vice caché. On peut l’affirmer mais, là aussi, la preuve incombe à l’acheteur.
En droit de la consommation, la garantie de conformité et la garantie des vices cachés sont repris dans un seul et même concept de conformité. La garantie s’appliquera si le produit ne rencontre pas les exigences habituelles auxquels le consommateur peut s’attendre.
Les remèdes du droit commun ouvrent certes une voie, mais une plus grande protection de l’acheteur suppose que la durabilité du produit, assortie d’une possibilité aisée de réparation et/ou de disponibilité des pièces de rechange, soit expressément reprise dans les caractéristiques légales du produit.
Le droit européen a pris plusieurs initiatives à cet égard. Tout d’abord la directive 2019/771 a été transposée dans un projet de loi adapté par la chambre des représentants le 17 mars 2022, pour entrer en vigueur le 1 juin 2022. Le considérant 32 de la directive prévoit que la conformité suppose que le bien réponde aux critères de durabilité auxquels le consommateur peut s’attendre. L’article 1649quater, §3,4°, inséré par cette nouvelle loi prévoit que, pour être conforme le bien doit répondre aux exigences suivantes, et plus spécifiquement ;
« 4° être en quantité et présenter les qualités et d’autres caractéristiques, y compris en termes de durabilité, … »
L’on peut saluer cette avancée.
La loi belge poursuit en son article 1649quater, §5, que le consommateur doit être informé des mises à jour, ce qui est très pertinent pour les produits numériques.
La directive comme la loi qui la transpose maintiennent le délai de garantie à deux ans. Ce délai peut paraître court pour rencontrer toutes les hypothèses d’obsolescence programmée, notamment l’absence de compatibilité entre les nouveaux et les anciens modèles.
Le droit à réparation existe mais ne fait pas l’objet d’une priorité dans la chaîne des remèdes en cas d’usure. Le droit français encourage pour sa part, la réparation des produits. Notamment, l’article 441-3 du Code de la consommation français dispose :
« toute technique, y compris logicielle, par laquelle un metteur sur le marché vise à rendre impossible la réparation ou le reconditionnement d’un appareil hors de ses circuits agréés est interdite ».
Par ailleurs, en droit français, l’obsolescence programmée est érigée en délit par l’article L 441-2 et L 454-6 du Code de la consommation.
C’est dans ce contexte que la Commission européenne a décidé de réagir et de mettre à jour les règles européennes en matière de protection des consommateurs. Elle veut que le consommateur puisse savoir pour quelle durée d’utilisation le produit qu’il achète est conçu et s’il peut être réparé ou – pour les produits avec contenus numériques – s’il peut être mis à jour.
La Commission veut aussi que les fabricants de produits mettent fin aux pratiques d’obsolescence programmée qui freinent la transition écologique. Cette initiative s’inscrit en effet dans le prolongement du Pacte vert pour l’Europe. Elle s’inscrit également dans la droite ligne du « nouveau plan d’action pour une économie circulaire – Pour une Europe plus propre et plus compétitive » que la Commission publiait le 11 mars 2020.
La Commission a ainsi publié, le 30 mars 2022, une nouvelle proposition de directive pour donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique grâce à une meilleure protection contre les pratiques déloyales et à de meilleures informations sur les pratiques d’écoblanchiment et d'obsolescence précoce.
Cette proposition modifie à la fois la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales des entreprises et la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs.
Avec la modification de la directive relative aux droits des consommateurs, la Commission entend renforcer l’obligation d’information précontractuelle à charge des entreprises, d’une part, sur la durabilité des produits et l’existence éventuelle d’une garantie commerciale, et, d’autre part, sur les moyens de réparation des produits (indice ou manuel de réparation, informations sur la disponibilité des pièces de rechange, etc.). Les moyens d’exécution de cette obligation d’information devraient en revanche rester à la discrétion des entreprises, qui pourront choisir de fournir ces informations sur l’emballage, dans la description du produit ou sur leur site web.
Avec la modification de la directive sur les pratiques commerciales déloyales (DPCD), la Commission veut interdire aux entreprises d’induire les consommateurs en erreur sur les caractéristiques environnementales de leurs produits. Elle propose d’élargir la liste des caractéristiques du produit au sujet desquelles un professionnel ne peut induire les consommateurs en erreur. Elle souhaite également ajouter de nouvelles infractions à la « liste noire » des pratiques commerciales, telles que le fait de rattacher un produit à des allégations commerciales vagues et génériques sur les performances dudit produit ou d’apposer sur ceux-ci un label qualitatif non-agréé par les autorités publiques.
La nouvelle proposition législative de la Commission est actuellement examinée par le Parlement et par le Conseil dans le cadre de la procédure législative ordinaire de codécision, le Parlement décidant sur ce texte sur un pied d’égalité avec le Conseil.
Au niveau du Parlement, la commission parlementaire qui est saisie au fond est la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO). L’eurodéputée croate Biljana Borzan, membre du groupe S&D, a été désignée comme rapporteure. La commission parlementaire de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) a décidé de rendre un avis.
Il est intéressant de noter que le 30 mars 2022, quelques parlementaires – dont la rapporteure Biljana Borzan - ont déposé une proposition de résolution du Parlement européen sur le droit à la réparation, invitant la Commission à légiférer en faveur de l’écoconception. Cette résolution va dans le même sens que l’initiative de la Commission puisqu’elle insiste sur la nécessité de « concevoir des produits qui dure plus longtemps et peuvent être réparés », de « donner aux consommateurs les moyens de choisir des produits réparables » et de « renforcer les droits des consommateurs et les garanties pour que les biens soient utilisés plus longtemps ». Elle a été adoptée en séance plénière le 7 avril 2022.
Au niveau du Conseil, un point d'information sur l'état d'avancement des travaux sur la directive était à l’ordre du jour du Conseil Compétitivité des 9 et 10 juin 2022. Aucun rapport n’est cependant disponible à ce sujet à ce jour.
AVOCATS.BE suivra attentivement l’évolution des discussions sur ce projet de directive et n’hésitera pas à faire part de l’une ou l’autre suggestion au législateur européen.
Denis Philippe
Avocat au barreau de Bruxelles et Luxembourg
Anne Jonlet
Avocate au barreau de Bruxelles.