L’article 505 du Code Pénal, nouveau « Marteau des Sorcières » (Le Malleus Maleficarum) de la moralité publique ? (partie 2/2)

Voici la suite de la contribution de Me Yves Demanet, consacrée au volet pénal de la matière du blanchiment de capitaux, dont la première partie est parue dans la précédente Tribune.

Bonne lecture à tous. 

***

  1. Les biens saisissables et les limites

Définis par l’article 42, 3° du Code Pénal, il s’agit des : « … avantages patrimoniaux tirés directement de l'infraction, aux biens et valeurs qui leur ont été substitués et aux revenus de ces avantages investis ». Le texte de 505 est particulièrement large. D’abord il n’est pas question d’ouvrir la porte à l’argument de double peine. Ainsi il est dit : « Les infractions visées à l’alinéa 1er, 3° et 4°, existent même si leur auteur est également auteur, coauteur ou complice… » Le point 3 est écarté à raison de son mécanisme. Ensuite, pas question non plus de voir opposer le concept de la territorialité de la Loi de police ou la condition de double incrimination : « … même si leur auteur est également auteur, coauteur ou complice de l’infraction d’où proviennent les choses visées à l’article 42, 3°, lorsque cette infraction a été commise à l’étranger et ne peut être poursuivie en Belgique. » Il y a aussi une condition à cliquet relative à la fraude fiscale qui mérite d’autres développements. Enfin, last but not least, pas question de revendiquer l’article 1 du protocole additionnel numéro 1 de la Convention Européenne de 1950 qui garantit le droit de propriété. Ainsi il est dit au sens de 42 que les biens seront confisqués « même si la propriété n’en appartient pas au condamné » et ce sans limite de temps, contrairement au Code Civil qui admet les prescriptions acquisitives même de mauvaise foi (meubles et immeubles). Et si les petits coquins ont tellement bien caché les produits larcineux qu’ils ne se retrouvent nulle part, alors le Juge peut condamner à une somme d’argent qualifiée d’« équivalente » mais pas « déraisonnable » pour l’alinéa 1, points 3 et 4 et « proportionnelle à la participation du condamné » pour l’alinéa 1, point 2. On ne peut que se féliciter de tels appels à la tempérance et à la lucidité par le législateur qui croit nécessaire de rappeler aux Juges les principes de raison et de proportionnalité !

Deux limites à tout cela. D’une part la loi prévoit que le tiers de bonne foi ne doit pas être préjudicié et organise un mécanisme permettant à ceux-ci de s’exprimer à deux moments de la procédure et, d’autre part, l’exigence d’un réquisitoire écrit qui ainsi empêche l’effet de surprise et ouvre un droit effectif à la défense[1]. Plusieurs décisions de justice ont consacré les droits du tiers de bonne foi. Qu’il me soit permis d’en citer une peu connue, car spécifique aux armes, de la Cour Constitutionnelle qui précise : « Lorsque celui à qui les choses appartiennent est partie civile au procès pénal, le Juge prononcera d’office la restitution (art. 43 bis al. 3). Lorsque le tiers prétendant droit sur la chose confisquée ne s’est pas constitué partie civile, il doit faire valoir ses droits dans le délai et selon les modalités déterminées par le Roi (art. 43 bis al. 4) »[2]. Il s’agit de l’arrêté royal du 9 août 1991.

Comment conclure ? Impossible de rédiger un exposé exhaustif sur la question par ailleurs éminemment évolutive. Je n’en n’ai ni la place ni la compétence. Si d’aucuns trouvent que mon texte est un peu trop humoristique voire hyperbolique, ils liront l’extrait suivant repris par la Cour Constitutionnelle[3] : « B.10.1. La confiscation spéciale visée par l'article 42, 1°, du Code pénal est une peine applicable entre autres aux infractions commises par des personnes physiques (article 7 du Code pénal). Comme les autres peines instaurées par le Code pénal, cette confiscation spéciale a pour but le « maintien de l'ordre social, la garantie du droit commun, l'organisation de la paix publique et du perfectionnement social ». Elle vise à produire des « effets multiples » : l'« intimidation du condamné et des hommes pervers qui seraient tentés de le suivre dans la voie du crime », la « prévention » et, si possible, l' « amélioration du condamné » par l' « amendement du coupable » (Doc. parl., Chambre, 1850-1851, n° 245, p. 11) ».

« Intimidation », « hommes pervers », « tentation »… voilà bien des termes qui indubitablement relèvent du « Malleus Maleficarum »…

Pour le moment, cette manière de penser n’a pas encore atteint les Juges mais jusqu’à quand d’une part, et d’autre part, l’« administrativisation »  du dispositif préventif me faire craindre un glissement de même nature du dispositif répressif.

Le Barreau se taira-t-il alors ? Serait-t-il entendu, éventuellement écouté ? Rien n’est moins certain.

Yves DEMANET,
Avocat au barreau de Charleroi

[1] On sera attentif à la position prise par la Cour Constitutionnelle dans son arrêt n° 16/2021 du 28 janvier 2021, Numéro du rôle : 7333, qui confirme la lecture que fait la Cour de cassation de cassation (Cass., 29 janvier 2019, P.18.0422.N ; Cass., 28 mai 2019, P.19.0113.N) de l’article 152 du C. In. Crim. à l’égard des articles 42, 3° et 43 bis du Code Pénal. 
[2] Arrêt 99/2018 du 19 juillet 2018, B.5.2., 2e al.
[3] Arrêt n° 12/2017 du 9 février 2017.

***

Pour rappel, la rubrique « Le fil blanc » est consacrée à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Chaque édition aborde un autre thème pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent.

Appliquer la loi anti-blanchiment relève parfois de l’exercice du funambule. D’où le titre de notre rubrique…

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