Le 1er mars 2021, le tribunal correctionnel de Paris rendait un jugement (de plus de 200 pages) dans lequel il condamnait l’ancien président Sarkozy à une peine de trois ans de prison dont deux avec sursis.
Ce jugement a fait grand bruit à juste titre. C’était l’aboutissement de l’affaire dite des « écoutes Paul Bismuth ». C’est la première fois qu’un ancien président de la République est condamné à une peine de prison ferme (même si le jugement prévoit expressément que pour la peine de prison, l’ancien président Sarkozy bénéficie de la mesure du bracelet électronique).
Pour mémoire, il était reproché à Nicolas Sarkozy d’avoir promis à M. Azibert, magistrat à la Cour de cassation, un poste à Monaco en échange d’informations sur un pourvoi qu’il avait formé. Ces tractations auraient été effectuées par l’intermédiaire de son avocat de l’époque, Me Thierry Herzog.
Les enquêteurs avaient eu connaissance des interventions de Me Herzog suite à la mise sur écoute de la ligne « Bismuth », du nom d’une ligne utilisée par le président Sarkozy et Me Herzog pour être à l’abri de toute indiscrétion.
Peine perdue !
Le tribunal correctionnel de Paris a considéré que l’ancien président Sarkozy était complice de « corruption par particulier sur un magistrat ».
Il a considéré que :
« La preuve du pacte de corruption ressort d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants résultant des liens très étroits d’amitié noués entre les protagonistes, des relations d’affaires renforçant ces liens, M. Herzog était l’avocat de M. Sarkozy, des intérêts communs tenant vers un même but, celui d’obtenir une décision favorable aux intérêts de M. Sarkozy, et des écoutes téléphoniques démontrant les actes accomplis et la contrepartie proposée ».
Me Herzog a donc été reconnu coupable de la même infraction et a été condamné à la même peine de trois ans de prison dont deux avec sursis. En outre, Me Herzog a été condamné à une peine de cinq ans d’interdiction professionnelle sous réserve de l’appel, cela pourrait signifier la fin de la carrière professionnelle d’un avocat qui a aujourd’hui 65 ans.
La mise sur écoute d’un avocat et de son client ont donc constitué un pilier essentiel de l’enquête et, partant, de l’accusation.
Cette mise sur écoute pose toutefois un problème majeur. Comment peut-elle être compatible avec le secret professionnel de l’avocat ? La preuve recueillie par un tel moyen n’aurait-elle pas dû être d’office écartée des débats ?
L’échappatoire a consisté à considérer que Me Herzog se rendait coupable de l’infraction ne pouvant se prévaloir du secret professionnel.
Mais, en décidant ainsi, le juge ne met-il pas la charrue avant les bœufs ? Le moyen de preuve ne devient admissible que moyennant la culpabilité de l’avocat. Ce dernier pouvait-il échapper à la condamnation, au risque de causer l’effondrement de tout l’édifice pénal déjà fragile ?
Il ne peut en ressortir qu’un sentiment de grand malaise auquel tous les acteurs de la justice devraient être particulièrement sensibles.
L’Etat de droit, il ne suffit pas d’y croire. Il faut veiller à sa défense au quotidien et, plus particulièrement, dans tous les actes de procédure.
Dans un interview donné au journal Le Figaro (édition du 2 mars 2020), Me Julie Couturier et Vincent Noré, futurs bâtonnier et vice-bâtonnier de Paris, ont déclaré :
« Il est aberrant de considérer que l’existence du secret de l’avocat est liée au support informatique ou téléphonique. Une ligne ouverte au nom d’un tiers n’ôte rien à la confidentialité de l’échange, quelle qu’en soit la teneur. Pour le tribunal, il semblerait que la fin ait justifié les moyens. Il n’en demeure pas moins que cette écoute n’aurait jamais dû avoir lieu, car cette intrusion est attentatoire au libre exercice de la profession d’avocat. On ne peut criminaliser la libre parole de l’avocat à l’égard de son client en violation des droits de la défense. Magistrats et avocats devraient être capables de se rassembler autour d’une valeur commune qui est le droit ».
Laissons-leur le mot de la fin : tout est dit.
Pierre Sculier,
Vice-président