Dans les coulisses du parlement belge - novembre 2022

Réduction du nombre de bâtiments de justice, définition du secret professionnel des avocats, sanctions administrative communales, Salduz militaire, étude sur la défédéralisation de la justice au menu de la présente note d’actualités législatives belges.


I. Dispositions diverses en matière d’organisation judiciaire - article 186 du Code judiciaire – diminution des lieux de justice

a. Texte

  • Projet de loi portant des dispositions diverses en matière d'organisation judiciaire II (DOC55 2978 /001)
    En ce qui concerne la modification de l’article 186 du Code judiciaire, voir article 12 du projet : 
    Exposé des motifs p. 17 à 29, avis du Conseil d’Etat p. 143, projet p. 159 et tableau comparatif p. 214 à 217. 

b. Développements

Le projet de loi portant des dispositions diverses en matière d'organisation judiciaire II, déposé le 8 novembre 2022, porte sur diverses dispositions prétendument destinées à garantir un meilleur fonctionnement de l’ordre judiciaire et promouvoir l'attractivité de la magistrature et du personnel judiciaire. 

Le texte modifie principalement plusieurs dispositions du Code judiciaire, mais également un certain nombre de lois directement liées à l’ordre judiciaire, au sujet : 

  • des stages judiciaires, sélections et nominations,
  • des indemnités des magistrats et du personnel judiciaire,
  • de l’envoi de courriers recommandés,
  • du fonctionnement du Collège des cours et tribunaux et du Collège du ministère public,
  • du fonctionnement des collèges disciplinaires,
  • du règlement de répartition des affaires (= article 186 du Code judiciaire),
  • des dispositions relatives aux cadres judiciaires, permettant une interprétation flexible.

Dans le cadre de l’élaboration de l’avant-projet, AVOCATS.BE avait été consulté par le cabinet du ministre de la justice au sujet de la modification envisagée de l’article 186 du Code judiciaire.

L’article 186 est celui qui encadre la possibilité de prendre des règlements de répartition des affaires. Pour rappel, le règlement de répartition des affaires est un instrument qui permet au Roi, sur proposition du chef de corps d’un tribunal ou d’une cour, de rendre certaines divisions de la juridiction exclusivement compétentes pour l’ensemble du territoire de la juridiction dans certaines matières limitativement énumérées. 

AVOCATS.BE avait rendu un avis très négatif quant à la possibilité d’élargir la possibilité de prendre des règlements de répartition des affaires.

Loin de suivre notre avis, le texte proposé aujourd’hui va encore plus loin que le texte qui nous avait été soumis au stade de l’avant-projet de loi. 

L’article 12 du projet supprime en effet la liste limitative d’affaires susceptibles de relever de la compétence exclusive d’une ou de plusieurs divisions et en ajoutant la possibilité de centraliser des phases de procédure au sein d’une division.

En outre, la garantie que les règlements de répartition ne peuvent en aucun cas avoir pour effet de supprimer des lieux d’audiences existants a disparu sauf pour les tribunaux de police. Seule la garantie très générale du maintien de l’accès et de la qualité de la justice est encore retenue par le législateur comme balise. 

Le gouvernement a demandé l’urgence sur ce projet. AVOCATS.BE va évidemment demander à être entendu et poursuivre le combat.


II. Lanceurs d’alerte – définition du secret professionnel

a. Textes

  • Projet de loi sur la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l’Union ou au droit national constatées au sein d’une entité juridique du secteur privé (DOC 55—2912/001).
  • Amendements déposés par Sophie Rohonyi et François Smet (Défi).
  • Projet de loi relatif aux canaux de signalement et à la protection des auteurs de signalement d'atteinte à l'intégrité dans les organismes du secteur public fédéral et au sein de la police intégrée (DOC-2952/001). 
  • Amendements déposés par Sophie Rohonyi , François Smet (Défi) et Vanessa Matz (les Engagés). 
  • Avis d’AVOCATS.BE 

b. Développements

Le projet de loi sur la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l’Union ou au droit national constatées au sein d’une entité juridique du secteur privé a été déposé à la Chambre et adopté en première lecture par la commission de l’économie le jour même de sa présentation, le 19 octobre 2022.

Il prévoit en son article 5 que la loi sur la protection des lanceurs d’alerte ne s’applique pas « aux informations couvertes par le secret médical ni aux informations et renseignements que les avocats reçoivent de leurs clients ou obtiennent au sujet de leurs clients, à la stricte condition qu’ils évaluent la situation juridique de ce client ou exercent leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une telle procédure ».

Les Ordres, consultés dans le cadre de l’avant-projet, avaient pourtant dit tout le mal qu’ils pensaient d’une définition du secret professionnel que la directive n’imposait pas et qui est inopportune, particulièrement dans le cadre d’une loi de nature économique.
Ce point de vue était d’ailleurs relayé par le Conseil d’Etat (voir projet de loi p. 213 à 215).

Extrait de l’avis du Conseil d’Etat :
« Puisque la notion de “secret professionnel des avocats” figurant dans la directive (UE) 2019/1937 doit être interprétée en dernière instance par la Cour de Justice, et qu’il ne revient pas, en principe, à des États membres individuels d’interpréter cette notion dans un sens déterminé à l’occasion de la transposition de cette directive, il n’est cependant pas indiqué de définir cette notion plus avant dans l’avant-projet. En effet, dans ce cas, cette définition devra être adaptée en fonction des évolutions éventuelles dans la jurisprudence de la Cour. Afin d’éviter ce cas de figure, mieux vaudrait que l’article 5, § 1er, 3°, de l’avant-projet mentionne “le secret professionnel des avocats”. C’est d’autant plus pertinent que l’article 34 utilise ces termes ».

Les présidents d’AVOCATS.BE et de l’O.V.B. ont écrit le 4 novembre 2022 aux membres de la commission de l’économie pour leur demander de reconsidérer la question du secret professionnel.

Un avis commun des deux Ordres était joint à cet envoi.  Ce nouvel avis reprenait notre avis antérieur complété par les observations du Conseil d’Etat et accompagné de la suggestion d’amendement validée par l’assemblée générale du 17 octobre 2021 à savoir un amendement visant à prévoir l’intervention de l’autorité disciplinaire territorialement compétente (plutôt que l’autorité compétente au niveau fédéral) pour apprécier dans quelle mesure, le signalement se concilie avec le respect du secret professionnel des avocats 

Cet avis a également été transmis à la commission de l’Intérieur dès lors qu’un projet de loi similaire a été déposé en commission de l’intérieur en ce qui concerne les agents de la fonction publique et à la commission de la Justice.

Les amendements suggérés par AVOCATS.BE ont été déposés et défendus par Sophie Rohonyi (Défi) en commission de l’Economie et par Vanessa Matz (Les Engagés) en commission de l’Intérieur le 9 novembre 2022. Ils ont toutefois été rejetés.

Le projet est définitivement adopté en commission de l’Economie et est adopté en première lecture en commission de l’Intérieur.

Important : ce projet ne restreint en rien le secret professionnel de l'avocat. Simplement, nous ne voulions pas de définition figée du secret professionnel et surtout pas dans une loi de nature économique.


III. Sanctions administratives communales 

a. Textes

b. Développements

Alexandre Pirson, avocat au barreau de Liège et membre de la commission de droit public a rédigé un avis au sujet de la proposition de loi modifiant la loi du 24 juin 2013 relative aux sanctions administratives communales.

Dans cet avis, AVOCATS.BE attire l’attention du législateur sur le fait que la proposition s’inscrit dans une tendance, de plus en plus importante ces dernières décennies, de donner toujours plus de pouvoirs aux autorités administratives tout en ne contribuant plus aux moyens nécessaires pour l’exercice du pouvoir judiciaire par ses magistrats et auxiliaires de justice. Il est primordial que l’essentiel de l’appareil répressif demeure prioritairement dans les mains des organes dépendant de l’appareil judiciaire et de respecter le principe de séparation des pouvoirs. 

S’il peut se concevoir que législateur confie aux autorités administratives locales des moyens supplémentaires pour répondre à un besoin d’effectivité exprimé par elles, cette conception ne peut se faire sans un accroissement des garanties procédurales, dont notamment celles de pouvoir présenter une défense orale ou écrite ou de se faire assister d’un avocat. 

La proposition a tendance à aller en sens inverse, notamment en recourant au mécanisme de perception immédiate et en proposant des montants d’amende plus importants, sans permettre le respect des droits de la défense dans toutes les hypothèses. 

 

IV. Salduz militaire  

a. Texte

b. Développements

Le projet de loi modifiant la loi du 20 mai 1994 relative aux statuts du personnel de la défense adopté en commission de la défense et soumis à la séance plénière du 10 novembre 2022 organise la procédure Salduz pour les militaires.

Le texte prévoit que : « le militaire ou l’ancien militaire a droit à l’assistance en justice d’un avocat à charge de l’État, lorsque, pour des actes commis dans l’exercice de ses fonctions, il est arrêté ou fait l’objet d’un mandat d’amener, d’un mandat de prolongation de la détention ou d’un mandat d`arrêt européen, ou s’il est auditionné en qualité de suspect ».

 

V. Réforme et modernisation du cadre légal de la profession de juriste d’entreprise  

a. Texte

  • Avant-projet de loi portant réforme et modernisation du cadre légal de l’Institut des juristes d’entreprise (non disponible)

b. Développements

Sur proposition du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne, le Conseil des ministres a approuvé le 14 octobre 2022 un avant-projet de loi portant réforme et modernisation du cadre légal de l’Institut des juristes d’entreprise (IJE).

Le métier de juriste d'entreprise a été reconnu en 2000 par la loi créant un Institut des juristes d'entreprise. Les crises successives ont provoqué une multiplication des lois et des règlements et d'énormes changements ont été opérés dans l'organisation de la société sur les plans administratif, économique, financier et social. Les entreprises ont besoin d’un accompagnement juridique adapté pour faire face à cette législation toujours plus étendue et complexe.

L’avant-projet présenté vise à procéder à des réformes et aux modernisations requises et à mettre le cadre existant en conformité avec la jurisprudence actuelle via les actions suivantes :

  • moderniser les missions de l’Institut, le mettant ainsi au niveau des autres ordres professionnels ;
  • inscrire dans la loi certains aspects importants de la profession tels que l’indépendance intellectuelle ;
  • permettre à une personne membre de l’organe de direction ou d’administration d’une entreprise de devenir juriste d’entreprise sous statut d’indépendant si la loi lui interdit d’exercer ce mandat de direction par le biais d’un contrat de travail ;
  • confirmer la jurisprudence existante concernant la portée de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise ;
  • confirmer la possibilité de tenir une assemblée générale électronique ;
  • habiliter, en cas de vacance de mandat, le conseil de l’Institut à coopter un membre jusqu’à la prochaine assemblée générale ;
  • moderniser l’arsenal disciplinaire de l’Institut.

L’avant-projet de loi est transmis pour avis au Conseil d’État.

A noter que le texte de l’avant-projet de loi reprend le texte de la proposition de loi qui avait été discutée avec les Ordres.

AVOCATS.BE était d’accord avec la dernière version du texte reprise dans l’avant-projet de loi.

 

VI. Etude sur la défédéralisation de la Justice 

Répondant à une question relative aux infractions environnementales posée par un député N-VA au Parlement flamand, lors de la séance de la commission « politique générale, finances, budget et justice » le 25 octobre 2022, la ministre flamande en charge des maisons de Justice Zuhal Demir (N-VA) a indiqué qu’elle avait commandé une étude sur la défédéralisation de la justice : « De toute évidence, nous ne devons pas trop attendre des préparatifs du gouvernement fédéral autour des réformes institutionnelles, car leur leader et constitutionnaliste est parti en raison des blocages francophones1. Je m’y attendais et j’ai donc pris mes précautions vis-à-vis de la justice. C’est pourquoi j’ai demandé à un autre constitutionnaliste, Stefan Sottiaux, de faire une étude de droit comparé sur une éventuelle défédéralisation de la justice.

L’étude comprend une analyse de la répartition actuelle des compétences en Belgique, mais aussi de la répartition des compétences dans d’autres États fédéraux. L’étude concerne « tant la conception et l’organisation des cours et tribunaux que de la police. Sur la base de l’étude, un certain nombre de scénarios possibles seront présentés pour une nouvelle répartition des compétences. J’attends les résultats de cette étude au début de l’année prochaine. »

Laurence Evrard, 
Responsable des actualités législatives

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1 La ministre fait référence au départ du constitutionnaliste Jürgen Van Praet du cabinet de la ministre en charge des Réformes institutionnelles Annelies Verlinden.

Crédit photo : Oakenchips, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

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Laurence
Evrard
Responsable des actualités législatives

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