Dans les coulisses du parlement belge - février 2023

Il a beaucoup été question d’aide juridique ces dernières semaines, tant en commission de la justice que du côté du ministre de la justice et à l’Institut fédéral des droits humains. Le ministre de la justice a confirmé dans une réponse à une question parlementaire son intention de fixer dans un arrêté royal la valeur du point et le principe de son indexation. Il s’engage également à ce que les avocats soient payés deux fois par an à partir de 2024. Par ailleurs, des auditions ont été organisées en commission de la justice au sujet d’une proposition de résolution visant à créer des cabinets composés d’avocats salariés. Signalons enfin que la récente loi sur les lanceurs d’alerte prévoit pour une assistance juridique et une assistance financière dans les procédures judiciaires pour les lanceurs d’alerte. Cette assistance sera coordonnée par l’IFDH.


I. Aide juridique - question parlementaire posée au ministre de la justice

Vincent Van Quickenborne a été interrogé par Marijke Dillen (VB) en commission justice du 8 février au sujet de la revalorisation de l'aide juridique de deuxième ligne : 

« Au cours d'une audition sur l'aide juridique de deuxième ligne, différents orateurs ont insisté sur la nécessité d'évaluer et d'adapter le système actuel. 

Le ministre prendra-t-il des initiatives à cet égard ? Ajustera-t-il le budget destiné à l'aide de deuxième ligne, et augmentera-t-il et indexera-t-il la valeur d'un point, afin que les avocats bénéficient désormais d'une indemnisation correcte ? Réduira-t-il en outre drastiquement le délai de paiement de l'indemnisation ? Les conditions d'indemnisation seront-elles revalorisées ? Prendra-t-il des mesures pour améliorer l'accessibilité de l'aide de deuxième ligne pour le justiciable et pour supprimer les entraves administratives ? »

Réponse du Ministre : « Conformément à l'arrêté royal du 20 décembre 1999, la valeur du point est calculée chaque année en divisant le budget fixé par le nombre de points prestés. Cette méthode prévoyant une enveloppe fermée n'est plus tenable, en raison de l’abaissement des seuils d'accès à l'aide juridique de deuxième ligne. Actuellement, nous déterminons le budget en nous basant sur des estimations de la Cour des comptes. 

Depuis 2016, la valeur du point a toujours été garantie à 75 euros. Le déficit budgétaire a été résolu.  Nous avons pris cette valeur comme base et décidé de l'indexer selon l'indice santé de septembre 2016. 

En 2023, nous fixerons également la valeur du point selon ces règles. D'ici la fin de l'année, nous entendons inscrire structurellement la valeur du point, tout en prenant une série de mesures de contrôle visant à éviter tout dérapage budgétaire. Nous soumettrons à cet effet un projet d'arrêté royal au Conseil des ministres. 

Selon l'arrêté ministériel du 19 juillet 2016, chaque point correspond à une heure de prestations. Pour l'année judiciaire 2020-2021, le point a été fixé à 81,23 euros. Pour l'année judiciaire 2021-2022, la valeur sera indexée selon l'indice santé.

Au cours de l'année à venir, je souhaite améliorer les procédures internes afin d'accélérer le paiement des indemnisations, tout en évitant les risques d'abus du système de points.

Je soumettrai un avant-projet de loi au gouvernement à cette fin. Je veux payer les avocats deux fois par an à partir de 2024 au lieu d'une fois. Ainsi, ils seront remboursés plus rapidement. 

Avec les ordres, nous renforcerons la qualité du contrôle interne et de l'audit des prestations. Le cas échéant, le cadre légal sera adapté et des contrôles de qualité seront instaurés. 

J'ai lu dans les avis des ordres que les justiciables parviennent à se frayer un chemin vers l'assistance juridique de deuxième ligne. Les obstacles administratifs doivent être supprimés autant que faire se peut et l'administration doit être numérique dans la mesure du possible. Par exemple, je veux inscrire dans le Code judiciaire que le justiciable doit pouvoir s'inscrire dans un bureau d’assistance juridique à l'aide de sa carte d'identité électronique, sans avoir à présenter toutes sortes de documents papier ».

Rappelons que le projet du ministre en vue de la modernisation de la profession comprend un volet relatif à la réforme de l’aide juridique.

Les Ordres communautaires sont bien sûr associés au processus.

 

II. Aide juridique – Cabinets multidisciplinaires

a. Textes

  • Proposition de résolution PS visant à garantir de manière effective le droit d'accès à la Justice par la création de cabinets multidisciplinaires composés d'avocats salariés et par la revalorisation de la rémunération et une révision des conditions de rémunération des avocats pratiquant l'aide juridique de deuxième ligne (DOC55 2611).
  • Avis d’AVOCATS.BE

b. Développements

La commission de la Justice a organisé des auditions le 24 janvier 2023 au sujet de la proposition de résolution relative à la création de cabinets multidisciplinaires composés d'avocats salariés.

Quentin Rey, administrateur en charge de l’aide juridique, y a représenté AVOCATS.BE.

Ont également été entendus :  Emmanuelle Debouverie et Elise Dermine, professeures à l'ULB, Stefan Pieters, représentant de l' "Orde van Vlaamse Balies", Anke Gittenaer, cheffe de service, et Sofie Vanderhoydonc, chargée de mission de l' "Agentschap voor Justitie en Handhaving", Clémentine Ebert, Katia Melis, Noémie Segers et Margarita Hernandez-Dispaux, représentantes de Casa Legal, Jeroen Léaerts et Sandra Rosvelds, représentants de "Beweging.net".

Le projet de cabinets d’avocats multidisciplinaires dédiés à l’aide juridique ne fait pas l’unanimité au sein des barreaux francophones et germanophone.

En effet, diverses questions interpellent, telles notamment le risque d’ingérence étatique, l’indépendance des avocats salariés, la concurrence avec les avocats praticiens de l’aide juridique non intégrés dans ces cabinets multidisciplinaires, et/ou le financement de tels projets.

En ce qui concerne le risque d’ingérence étatique, il ne faudrait pas que le salariat soit revisité en un fonctionnariat inféodé au SPF Justice. Ainsi, le projet de l’ancienne ministre de la Justice Turtelboom avait été perçu par le Barreau comme une volonté gouvernementale de rationner et de superviser les interventions des avocats BAJistes en matière de droit des étrangers, et le Barreau s’y était fermement opposé.

En ce qui concerne l’indépendance, ADN de la profession d’avocat, il y a lieu de garantir que les avocats salariés dédiés à l’aide juridique, et lesdits cabinets, fonctionneront en toute autonomie (le cas échéant sous la supervision d’un « manager-avocat » de l’Ordre local et/ou d’AVOCATS.BE). Ainsi, à l’instar d’un médecin salarié dans un hôpital qui conserve sa liberté thérapeutique, l’avocat salarié devra conserver une totale indépendance intellectuelle quant au choix des actions à entreprendre, et ce indépendamment de son statut social d’employé.  Le salariat pourrait par ailleurs être remplacé par un statut d’indépendant avec une garantie de revenus mensuels forfaitaires. Pour le reste, l’exclusivité du modèle canadien interpelle, voire effraie, également les avocats en termes d’indépendance.  

En ce qui concerne la concurrence, indépendamment du respect du libre choix de l’avocat par le client, le projet devra garantir d’éviter toute concurrence déloyale ou discrimination entre les cabinets d’avocats multidisciplinaires dédiés à l’aide juridique et les avocats de pratique privée libérale (en aide juridique ou pas).

Enfin, en ce qui concerne le financement, le coût de ces (projets-pilotes de) cabinets d’avocats multidisciplinaires dédiés à l’aide juridique ne pourrait bien entendu être prélevé sur l’enveloppe étatique (actuellement fermée) de l’aide juridique mais devra faire l’objet d’un budget distinct.

AVOCATS.BE estime que d’autres pistes pourraient également être explorées dans le cadre de la réflexion initiée par le projet de résolution.

Ainsi, le distinguo entre la première et la seconde ligne d’aide juridique n’est pas pertinent.  Il serait en conséquence opportun de refusionner les deux instances etd’allouer des assistants sociaux et/ou des psychologues dans les lieux de consultations (BAJ, CPAS, Justices de Paix, …). 

Par ailleurs, plutôt que de cadenasser des structures au service de l’aide juridique, il pourrait être envisagé de labelliser certains cabinets d’avocats -pratiquant l’aide juridique ou pas- qui en feraient la demande afin de leur accorder un subside couvrant l’intervention régulière d’un assistant social et/ou d’un psychologue en vue d’améliorer l’accueil du justiciable et le suivi de ses dossiers.

 

III. Lanceurs d’alerte

a. Textes

  • Loi du 28 novembre 2022 concernant la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l’Union ou au droit national constatées au sein d’une entité juridique du secteur privé (M. B. du 15 décembre 2022).
  • Loi du 8 décembre 2023 relative aux canaux de signalement et à la protection des auteurs de signalement d'atteinte à l'intégrité dans les organismes du secteur public fédéral et au sein de la police intégrée. 
  • Arrêté royal du 23 janvier 2023 portant désignation des autorités compétentes pour la mise en œuvre de la loi du 28 novembre 2022 sur la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l'Union ou au droit national constatées au sein d'une entité juridique du secteur privé (M. B. du 31 janvier 2023). 

b. Développements

La loi relative aux lanceurs d’alerte est entrée en vigueur ce 15 février 2023.

Pour rappel, cette loi offre une protection aux personnes qui signalent aux autorités des infractions ou des fraudes commises dans un contexte professionnel dans une série de domaines énumérés dans la loi (ainsi par exemple dans le secteur privé, les violations des règles  relatives aux marchés publics, aux services, aux produits et marchés financiers et à la  prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, à la protection des consommateurs, à la protection de la vie privée et des données à caractère personnel, et sécurité des réseaux et des systèmes d'information, à la lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale (voir article 2 de la loi).

Il est important de rappeler et de souligner que la loi ne s’applique pas aux informations couvertes par le secret professionnel des avocats (voir article 5, §1, 3° de la loi).

Cette protection consiste de manière générale en une interdiction de représailles à l’égard du lanceur d’alerte (licenciement, refus d’une promotion, harcèlement, discrimination, etc.) mais aussi une assistance juridique, un soutien psychologique et une assistance financière dans les procédures judiciaires. L’Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits humains (IFDH) jouera un rôle à cet égard.

La loi confie la coordination au médiateur fédéral des signalements externes1 dans le secteur privé, c’est-à-dire qu’il, est entre autres, chargé d’évaluer les signalements et de les transmettre aux autorités compétentes désignées pour enquête. 

Ces autorités compétentes ont été désignées par un arrêté royal publié le 31 janvier 2023.

Parmi les autorités compétentes figurent « les autorités visées à l'article 85 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces », c’est-à-dire pour les avocats, les bâtonniers de l'Ordre auquel ils appartiennent.

Des protocoles d’accord entre le médiateur fédéral et les autorités compétentes vont être conclus afin de définir les modalités pratiques de la collaboration et de l’échange d’informations.

Sur le plan de la compétence matérielle, les bâtonniers ne seront compétents que pour traiter les signalements externes de violations de dispositions nationales ou européennes relatives à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Les bâtonniers ont déjà des compétences en matière de blanchiment et ces compétences seront donc élargies.

Nous reviendrons prochainement sur le sujet dans un article plus détaillé consacré à la loi sur les lanceurs d’alerte et à ses implications pratiques. 

 

IV. Règlement collectif de dettes – audition 

a. Texte

  • Proposition de loi PS modifiant le Code judiciaire, visant à favoriser le recours au règlement collectif de dettes (DOC 55/2679) et amendement (DOC55 2679/002)

b. Développements

La commission de la justice a décidé d’organiser des auditions au sujet de la proposition de loi modifiant le Code judiciaire, visant à favoriser le recours au règlement collectif de dettes le mardi 28 février 2023.

La proposition de loi vise à favoriser le recours au règlement collectif de dettes par les deux moyens suivants : 

  • adapter le montant du pécule afin qu’il corresponde aux besoins du requérant « afin de pouvoir vivre conformément à la dignité humaine » ; 
  • raccourcir la durée de la procédure.

Dans un amendement déposé ultérieurement, il est proposé que « les paiements effectués par le débiteur ne s’imputent sur le montant des intérêts de retard ou autres pénalités et dommages et intérêts qu’après le remboursement du solde restant dû ».

Cet amendement permettrait d’assainir la situation des débiteurs en leur permettant de rembourser leurs dettes plus rapidement, ce qui rendrait la poursuite du plan plus aisée.

Jean-Luc Denis, avocat, médiateur de dettes et membre de la commission « médiation de dettes » représentera AVOCATS.BE à cette audition. 

Laurence Evrard, 
Responsable des actualités législatives

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1 A côté du signalement externe existe également la possibilité d’un signalement interne qui doit être mis en place dans les entités juridiques qui emploient au moins 50 travailleurs pour le 17 décembre 2023 au plus tard et la divulgation publique.

Crédit photo : Oakenchips, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

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Laurence
Evrard
Responsable des actualités législatives

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