Le coupable condamné à mort pour parricide, sera conduit sur le lieu de l’exécution, en chemise, nu-pieds, et la tête couverte d’un voile noir. Il sera exposé sur l’échafaud pendant qu’un huissier fera au peuple lecture de l’arrêt de condamnation ; il aura ensuite le poing droit coupé, et sera immédiatement exécuté à mort (article 13 du Code pénal de 1810).
Le parricide : crime suprême, crime contre l’ordre naturel, crime reconnu comme tel dans la plupart des civilisations, de la nôtre, judéo-chrétienne, aux orientales, marquées par le confucianisme.
La revue Considérant, publiée une fois par an à Paris, se sous-titre elle-même « Revue de droit imaginé ». Elle explore les relations entre civilisations, littérature et droit. J’ai choisi de vous parler de son numéro 4, publié en 2022. Les numéros précédents avaient porté sur les thèmes « Représenter le droit » (2019), « L’élu » (2020), « L’erreur judiciaire » (2021). Le numéro 2023 est consacré au droit constitutionnel. C’est donc le parricide qui est l’objet de l’édition 2022. Il est disséqué au travers de neuf contributions, qui puisent leurs inspirations dans des domaines très divers, de l’histoire du droit au cinéma, en passant notamment par la sociologie et l’anthropologie.
Arnaud Paturet étudie la symbolique du châtiment du parricide en droit romain : le coupable, muni de sabots de bois, revêtu d’une cagoule en peau de loup, était flagellé, avant d’être enfermé dans un sac, en compagnie d’un chien, d’un coq, d’une vipère et d’un singe, qui était jeté à l’eau. Tous ces éléments semblaient signifier une volonté de l’exclure de la communauté des humains.
La construction du parricide, en tant que crime public, date de Rome. Au sein de cette société, le pouvoir des Pères était caractérisé par les entrelacs complexes de la « parenté et du politique, mais… également de la famille et de l’économie, qui les distinguaient des autres citoyens ».
Donc, dès l’origine, à Rome, le meurtre du père ne fut pas pensé comme un homicide, mais comme un crime qui saisit la Cité et dont la répression concerne l’État.
Comme le met en évidence Sébastien Dubreuil, à Rome, en effet, c’est la société entière qui est bâtie autour du pater familias, qui a le droit de vie et de mort sur sa famille. Conception que l’on retrouve dans le 4e commandement du Dieu des Juifs ou, certes, sous une justification différente, chez Confucius, qui élabore un système social entièrement axé sur le modèle familial, archétype d’un régime où le chef de l’État, Roi ou Empereur, apparaît comme le père suprême. Le régicide est d’ailleurs assimilé au parricide dans la plupart des régimes.
Les différents intervenants traquent l’institution dans la littérature : Sophie Delbrel dans « La Terre de Zola : un parricide intégral ? », Josette Rico interroge la mort du Père Goriot : parricide indirect ? Autre symbole du capitalisme, évacuant les valeurs morales d’un ordre traditionnel ? Lydie Brunetti étudie la Journée du Guichet, acte de révolte d’une jeune abbesse cistercienne se rebellant, au début du XVIIIe siècle, contre son père en lui refusant l’accès à l’abbaye pour s’émanciper de son autorité : un parricide symbolique.
Deux contributions sont consacrées aux civilisations grecques et hindoues. Eve-Maria Halba étudie l’Orestie, qui nous présente toutes les variantes du crime intrafamilial : Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie, Clytemnestre tue son mari Agamemnon avec l’aide de son frère Thyeste, Oreste tue sa mère Clytemnestre avec l’aide de sa sœur Electre. Mais là s’arrête le cycle infernal. Le matricide ne sera pas puni.
Mathilde Kamal-Girard s’interroge quant à l’absence de notion de parricide dans la mythologie hindoue.
« Ce n’est ni l’être ni le non-être, ni les deux à la fois. Mais ce n’est pas non plus l’absence d’être et de non-être. Son indicible subtilité est incompréhensible », dit Abhinavagupta dans le Tantrâloka. C’est clair, non ?
Enfin, deux contributions analysent le parricide, l’une dans l’univers de Star Wars (Amélie Imbert), l’autre dans deux œuvres de science-fiction : 2001, Odyssée de l’espace et Minority Report (Paul Tallio). Ces œuvres ont de passionnant qu’elles abordent le parricide sous des angles différents. Si Luke Skywalker finit, malgré les encouragements de Kenobi, par ne pas exécuter son père Anakin, ou plutôt ce qu’il en reste, le parricide est monnaie courante dans la saga, voire en constitue un ressort.
De même, dans 2001, Bowman finit par tuer son père symbolique, le super ordinateur Hal, avant de se dissoudre jusqu’à redevenir un fœtus, scène contrepoint du parricide originaire commis par le singe qui découvre la première arme pour éliminer le chef qui vient de l’expulser.
Et dans Minority Report, Lamar Burgess, créateur de la fameuse section « précrime », censée éradiquer le meurtre, retourne contre lui l’arme que lui tend John Anderton, en quelque sorte en se « parrisuicidant ».
Passionnante analyse que nous livrent ainsi toutes ces contributions. Interroger le parricide, c’est aussi questionner une construction sociale qui tant dans les religions du livre, que, avec des nuances importantes, dans les sociétés orientales marquées par le confucianisme, attribue au Roi, au père, au mari, une sorte de droit de propriété sur sa famille et son peuple.
L’histoire est en marche même si elle balbutie quelquefois. Condamnerait-on encore aujourd’hui Violette Nozière ? Aurait-on condamné hier Alexandra Lange, ou gracié Jacqueline Sauvage ?
À l’origine, Romulus savait que le parricide n’existait pas (Y. Thomas).
Patrick Henry,
Ancien Président