Atelier : Actualités en droit fiscal de la famille

« Pérégrinations « à vue » d’un fiscaliste dans le champ des rentes alimentaires et de leurs arriérés »

Président : Me François MASQUELIN, avocat au barreau de Bruxelles

Intervenant : Me Jean-Emmanuel BEERNAERT, avocat au barreau de Bruxelles

Rapporteur : Me Noémie LEPOT, avocate au barreau de Bruxelles


1) Introduction

Les conditions de taxation / déduction des rentes alimentaires ordinaires sont les suivantes:

  • Le paiement doit intervenir sur la base d’une obligation alimentaire visée au Code civil (ancien ou nouveau), au Code judiciaire ou dans une disposition légale analogue de droit étranger ;
  • Il doit être effectué à quelqu’un qui ne fait plus partie du ménage (fiscal) du débiteur au moment du paiement ;
  • Les paiements doivent être réguliers.

La condition de régularité, classiquement définie comme « avec une périodicité récurrente, sans qu’une identité parfaite de la date du paiement et du montant payé ne soit requise » est alternativement définie comme suit : « comme cela a été convenu ou fixé par le juge ».

La distinction n’est, selon Me Beernaert, pas simplement théorique et pose en pratique des difficultés, dans la mesure où la régularité n’a pas été définie dans la loi fiscale.

On peut imaginer l’hypothèse du versement tardif d’une contribution alimentaire, au mois d’octobre, alors que celle-ci se rapporte au mois d’août.

La définition classique de la régularité est respectée, et ce d’autant plus qu’il existe une tolérance administrative pour considérer comme « régulier » un versement effectué dans les trois mois de la mensualité à laquelle elle se rapporte1.

Si l’on retient la définition alternative, en revanche, et que la rente était due, selon le jugement, « par anticipation et au plus tard le xième jour du mois », force est de constater que la condition de régularité n’est pas respectée et que, partant, la rente n’est ni taxable, ni déductible.

Me Beernaert considère que la tolérance administrative susvisée, qui crée une exception contra legem à la condition de régularité, est une véritable prime pour le mauvais payeur, outre qu’elle est illégale.

Il attire également l’attention sur une seconde tolérance administrative illégale à son sens, qui concerne les arriérés de frais extraordinaires : ceux-ci seraient toujours taxables et déductibles, puisque par essence payés de manière irrégulière2.

L’administration fiscale rejette à nouveau contra legem la condition de régularité pour lesdits frais, qui peuvent en définitive être payés par le débiteur alimentaire quand il le souhaite, sans sanction.

En cas de taxation de l’enfant à la suite du paiement tardif de frais extraordinaires, Me Beernaert conseille aux contribuables de contester le caractère taxable des montants, dans la mesure où la condition de régularité n’est, à son sens, pas remplie.

2) Les arriérés des rentes alimentaires : définition

Il existe une seule exception légale à la condition de régularité des rentes alimentaires : il s’agit des arriérés judiciaires3.

Il doit s’agir des montants alimentaires, répondant aux conditions de base (sauf la régularité) mais, en outre (et de manière cumulative) :

A. Dont le montant est fixé ou majoré par un jugement avec effet rétroactif ;

Des arriérés fixés par acte notarié ou sentence arbitrale ne sont pas au sens de la loi des arriérés judiciaires déductibles et taxables.

Quant au jugement homologuant une entente de médiation concernant des contributions alimentaires, il y a lieu de s’interroger quant à la condition de la fixation du montant par jugement.

Le raisonnement suivant pourrait être suivi : puisqu’en vertu de l’article 1321 du Code judiciaire, le jugement doit objectiver les contributions alimentaires en fonction de huit critères, il apparaît que le juge fasse sien le raisonnement des parties en homologuant l’entente, et, par là-même, fixe le montant.

Pour le jugement homologuant des conventions de divorce par consentement mutuel prévoyant une contribution alimentaire au profit d’un enfant majeur, économiquement mineur, la condition n’est pas remplie car le juge n’homologue que les seules conventions relatives aux enfants mineurs.

Les arriérés qui figureraient aux conventions relativement à cet enfant ne seraient, dès lors, pas des arriérés judiciaires.

Me Beernaert propose de fonctionner en deux temps : en introduisant une requête conjointe qui permet l’homologation par le tribunal de la famille de l’accord relatif aux seuls arriérés, puis, la requête en divorce par consentement mutuel.

B. Dont le paiement intervient au cours d’une période imposable ultérieure à celle à laquelle elle se rapporte.

Selon cette seconde condition, en cas de jugement prononcé en septembre 2022, déterminant un arriéré à dater de septembre 2021, seules les mensualités de septembre à décembre 2021 devraient être considérées comme un arriéré, à l’exclusion des mensualités de janvier à août 2022.

Cette condition est incompréhensible, compliquée et potentiellement discriminatoire.

Ces mensualités, qui ne sont ni des rentes alimentaires, ni des arriérés au sens de la loi, se déclarent pourtant pour l’heure sous forme d’arriérés judiciaires.

*    *    *

Les arriérés judiciaires sont déductibles dans les mêmes conditions que les rentes alimentaires ordinaires de l’ensemble des revenus imposables globalement dans le chef du débirentier, pour l’année où il effectue le paiement desdits arriérés.

Me Beernaert attire l’attention sur les deux points suivants :

Rentes alimentaires en nature (par exemple, l’occupation gratuite d’un immeuble) : elles constituent également un arriéré judiciaire taxable et déductible, même si la qualification alimentaire s’effectue rétroactivement.

Arriérés pour un exercice fiscal dont l’impôt a déjà été enrôlé : il est possible d’introduire une réclamation, dans un délai de six mois depuis le troisième jour qui suit l’envoi de l’avertissement-extrait de rôle. Si le délai de réclamation est expiré lorsqu’est prononcé le jugement, ces montants ne pourront plus être déclarés et déduits fiscalement.  Il est donc opportun d’introduire, titre conservatoire, une réclamation fiscale lors de la réception de l’avertissement-extrait de rôle qui porte sur les revenus d’une année pour laquelle des arriérés sont demandés dans le cadre d’une procédure judiciaire en cours.     

Arriérés pour un exercice fiscal où le parent bénéficiait d’un partage de l’abattement fiscal pour enfant à charge : aucune déduction n’est possible.

3) Les arriérés des rentes alimentaires : taxation

Lorsqu’ils respectent les conditions précitées, les arriérés sont taxables de manière distincte dans le chef du créancier, au taux moyen appliqué aux autres revenus.
Ils ne sont pas pris en considération pour le calcul du plafond légal des ressources autorisées dans le chef de l’enfant pour vérifier si celui-ci peut demeurer fiscalement à charge (de l’autre parent – article 143,5° du CIR).

4) Les grands arrêts de la Cour constitutionnelle

Arrêt du 15 septembre 1999 : rien ne justifie de postposer l’entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 1990 à l’exercice d’imposition 1992. Elle s’applique dès l’exercice d’imposition 1991, dans la mesure où elle a été publiée au Moniteur belge durant la période imposable 1990.

Arrêt du 27 mai 2008 : il n’existe pas de discrimination entre le débirentier qui dispose des moyens financiers suffisants pour apurer en une fois les arriérés judiciaires et le débiteur qui ne peut faire face immédiatement à une telle charge.

Le débirentier qui paie les arriérés judiciaires en plusieurs fois perd donc la possibilité de les déduire de ses revenus, alors que le versement n’intervient pas conformément au jugement, immédiatement exécutoire.

Me Beernaert conseille au praticien de solliciter en ordre subsidiaire des délais de grâce (article 5-301 du Code civil, qui s’applique en toutes matières) pour le paiement des arriérés auxquels son client est susceptible d’être condamné, s’il ne dispose pas des moyens financiers pour un paiement immédiat. Ceci permettra un versement conforme aux termes du jugement intervenu et, en conséquence, déductible.

Les délais de grâce doivent être sollicités pendant la procédure (articles 1333 et 1334 du Code judiciaire). Inutile de les solliciter dans un second temps devant le juge des saisies.

Arrêt du 17 mars 2022 : il n’existe pas de discrimination entre le débiteur qui attend la décision en degré d’appel et celui qui exécute – tous droits saufs – le premier jugement nonobstant l’appel interjeté.

La déduction d’arriérés est une exception légale au principe de la régularité des paiements et doit dès lors être interprétée de manière restrictive.

En l’espèce soumise à la cour, le débiteur alimentaire s’était vu condamné au paiement d’une pension alimentaire à l’égard de son ex-épouse, de 650 € par mois. Il relève appel de la décision et ne paie rien dans l’attente de l’arrêt.

La cour d’appel déclare l’arrêt recevable mais non fondé et confirme le jugement entrepris. Monsieur paie, ensuite de cet arrêt, les arriérés dus et entend les déduire, ce que le fisc (et les cours et tribunaux) rejettent, puisque le juge qui fixe le montant de la rente alimentaire est celui de la famille, et pas la cour d’appel.

Il apparaît dès lors opportun de conseiller à nos clients créanciers d’aliments de se montrer patients en cas d’appel interjeté par un débiteur alimentaire récalcitrant, l’économie d’impôts étant susceptible d’être conséquente. 

5) Tout n’est pas encore dit

Me Beernaert illustre ensuite ses propos par quelques cas pratiques. Nous nous en tiendrons à leurs enseignements.

La majoration en degré d’appel

En cas de majoration en degré d’appel, seul le montant additionnel est considéré comme un arriéré judiciaire et, partant, déductible et taxable, alors que d’un point de vue fiscal, c’est ce que le juge fixe, à l’exclusion du montant initial, qui avait d’ores et déjà été fixé par le premier juge.

L’effet déclaratif de droit lié à l’arrêt de la cour d’appel porte uniquement sur les sommes additionnelles, alors que le juge ne constitue pas un droit nouveau, mais majore uniquement les montants octroyés en première instance.

D’un point de vue judiciaire, il pourrait être considéré que le juge statue et fixe par dispositions nouvelles, mais, selon Me Beernaert, cette hypothèse ne tient pas du point de vue du fiscaliste.

La minoration en degré d’appel

Si la cour d’appel minore la pension alimentaire, et que le débiteur alimentaire n’avait, dans l’intervalle, pas payé le montant auquel il avait été condamné en première instance, il faut considérer le montant minoré était déjà compris dans le jugement entrepris et, en ce cas, que rien ne qualifie comme « arriérés judiciaires » déductibles.

Si le débiteur alimentaire avait payé le montant auquel il avait été condamné en première instance, le remboursement de l’indu par le créancier d’aliments n’est pas un paiement alimentaire déductible, puisqu’il n’intervient pas sur la base d’une obligation alimentaire légale.

Il est possible de compenser l’indu pour le passé avec la pension alimentaire minorée pour le futur (article 1293 du Code judiciaire). Cette compensation est considérée comme un paiement, déductible et taxable.

Quant au montant que le débiteur a trop-payé et déduit, et sur lequel le créancier a trop-perçu et déclaré :

  • L’administration fiscale peut rectifier dans le chef du débiteur, dans les délais légaux (article 354 et suivants du CIR : actuellement, trois ans) : l’annualité de l’impôt n’y fait pas obstacle, pas plus que l’imposition (potentiellement) définitive dans le chef du créancier d’aliments4;
  • Le créancier doit introduire une réclamation fiscale dans le délai légal de 6 mois : s’il est hors délai, il est forclos (il ne s’agit pas d’un cas de force majeure mais d’un aléa judiciaire5).
  • La procédure de dégrèvement d’office (art. 376 du CIR) n’est pas applicable en l’espèce et ce n’est pas contraire au principe constitutionnel d’égalité6.

    Dans une telle hypothèse, il y a lieu d’effectuer chaque année une réclamation fiscale conservatoire.

6) Conclusion

Rien n’est simple en fiscalité familiale.

Les zones d’ombre et incertitudes sont légion, et l’attitude de l’administration fiscale n’aide en rien (par exemple, le refus de se conformer aux termes de l’arrêt de principe du 17 février 2020 concernant l’article 132bis du CIR, qui déclare que le partage de l’abattement fiscal qu’il prévoit n’est pas d’ordre public).

Le pire reste cependant à craindre, à la suite de la défiscalisation (complète) des rentes alimentaires annoncée par le Ministre des Finances dans l’avant-projet de la réforme de l’IPP, qui éveille de vives craintes quant au droit transitoire et promet – si elle devait aboutir – le retour de milliers de dossiers familiaux devant les cours et tribunaux.

Me Noémie LEPOT
Avocat au barreau de Bruxelles

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1 Comm.Ir., n° 104/21.

2 Circulaire Ci. 241/605.665 du 5 août 2010.

3 articles 90,4° et 104,2° du CIR.

4 Cass., 16 juin 2017, inédit.

5 Gand, 12 septembre 1996, Div.Act. 1998, p. 28.

6 C.const., arrêt n° 67/2022 du 19 mai 2022.

A propos de l'auteur

Noémie
Lepot
Avocate au barreau de Bruxelles

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