L’arrêté royal n°2 du 9 avril 2020 concernant la prorogation des délais de prescription et les autres délais pour ester en justice ainsi que la prorogation des délais de procédure et la procédure écrite devant les cours et tribunaux
1) La prorogation des délais de prescription et des autres délais pour ester en justice (article 1er, § 1er)
Les délais de prescription et les autres délais pour introduire une demande en justice auprès d'une juridiction civile qui expirent à partir du 9 avril 2020 (date de la publication de l’arrêté) jusqu'au 3 mai 2020 inclus sont prolongés de plein droit d'une durée d'un mois après l'issue de cette période, prolongée le cas échéant.
Par exemple, supposons qu'un copropriétaire veut demander au juge d'annuler ou de réformer une décision irrégulière, frauduleuse ou abusive de l'assemblée générale de l'association des copropriétaires parce qu'elle lui cause un préjudice personnel, action qui doit être intentée dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle l'assemblée générale a eu lieu (article 577-9, § 2, du Code civil). Si ce délai se prescrit le 10 avril 2020, donc pendant la période dite « de confinement », il sera prolongé (à l'heure actuelle) jusqu'à la fin de cette période « majorée » d'un mois, donc jusqu'au 3 juin 2020.
Ce mois supplémentaire permet par exemple, après la période de confinement, de procéder à une constatation contradictoire, de demander un avis d'ordre technique, d'organiser une descente sur les lieux, une expertise, une négociation ou une réunion, etc...., et ensuite de mettre la partie adverse en demeure, la citer, etc.... en temps utile. Ou encore, aux parties - les particuliers et leurs avocats - et les instances concernées - comme les huissiers de justice et les greffes - de se concerter et de se réorganiser afin de faire procéder aux significations, notifications, dépôts et communications, etc., sans encombre.
2) La prorogation des délais de procédure (article 1er, § 2)
Les délais de procédure et les délais pour exercer une voie de recours qui expirent au cours de la période du 9 avril 2020 (date de la publication de l’arrêté) jusqu'au 3 mai 2020 inclus sont également prolongés de plein droit d'une durée d'un mois après l'issue de cette période, prolongée le cas échéant.
Ainsi, pour tout délai de recours (appel, opposition, tierce-opposition) qui expire entre le 9 avril 2020 et le 3 mai 2020, le dernier jour utile pour introduire le recours devient le 3 juin 2020.
Il en va de même pour la communication et le dépôt de conclusions : tout délai qui expire entre le 9 avril 2020 et le 3 mai 2020 est automatiquement reporté au 3 juin 2020
L’échéance des éventuels délais subséquents est adaptée de plein droit conformément à la durée de cette prolongation. Concrètement, le premier délai est prolongé jusqu’au 3 juin 2020 et les délais suivants sont reportés d’autant de jours.
Par exemple, dans le cadre d'un calendrier pour conclure, si aucune "date limite" n'échoit pendant la période de crise, rien ne change. Ce n'est que si un délai expire pendant cette période qu'il sera prolongé - à l'heure actuelle - jusqu'au 3 juin 2020. Les délais éventuels qui suivent et qui expirent après la période de crise et ne sont pas prolongés, mais simplement "retardés dans le temps" : ils durent aussi longtemps qu'avant, mais commencent à courir plus tard.
Supposons que A devra conclure pour le 30 avril 2020 et B pour le 31 juillet 2020. Le délai de A sera prolongé jusqu’au 3 juin 2020, le délai de B le sera de la même durée, c'est-à-dire 34 jours, donc jusqu'au 3 septembre 2020. Ce second délai ne sera pas « prolongé » mais simplement « reporté », parce que la partie B disposera d'un délai de la même durée qu'auparavant, c'est-à-dire un délai de 3 mois.
Supposons que A devra conclure pour le 10 avril 2020, B un mois après l'échéance du délai de A et C un mois après l'échéance du délai de B. En vertu de l'arrêté, le délai de A sera prolongé jusqu'au 3 juin 2020. Dans ce cas, le délai de B prendra fin le 3 juillet, et celui de C le 3 août. Sans confinement, les délais venaient à échéance le 10 avril, le 10 mai et le 10 juin, respectivement pour A, B et C.
Si ces prolongations ont pour conséquence que le dernier délai expire moins d’un mois avant l’examen de l’affaire à l’audience, celle-ci est remise de plein droit à la première audience disponible un mois après l’expiration du dernier délai.
Les règles usuelles de computation des délais sont applicables (articles 52, alinéa 1er, 53, 54 et 55 du Code judiciaire).
Cela n'empêche toutefois pas les parties, de commun accord, de conserver le calendrier initial ou de s’accorder sur des nouvelles échéances et de convenir à l'amiable d'un calendrier contraignant « recalculé » (cf. le rapport au Roi).
Cette prorogation des délais de procédure n'est applicable qu'aux cours et tribunaux du pouvoir judiciaire, à l'exception des affaires pénales (sauf s'il s'agit uniquement d'intérêts civils), ce qui comprend les affaires de délinquance juvénile. Les procédures disciplinaires sont également écartées, ainsi que les mesures d'ordre.
3) Les affaires urgentes (article 1er, § 3)
Si la poursuite d’une procédure est urgente, le Tribunal peut, sur demande motivée, exclure la prolongation des délais de procédure.
Si la demande est formulée oralement à l’audience, le juge statue sur le champ.
Si la demande est formulée par écrit, elle est communiquée en même temps aux autres parties, qui peuvent présenter des observations écrites dans un délai de huit jours. Après l’expiration de ce délai, le tribunal statue sans délai sur pièces.
Aucun recours n’est possible contre cette décision.
4) La procédure écrite devant les cours et tribunaux (article 2)
Toutes les causes devant les cours et tribunaux qui sont fixées pour être entendues à une audience qui a lieu à partir du 11 avril 2020 (deuxième jour après la publication de l’arrêté) jusqu'au 3 juin 2020 inclus, et dans lesquelles toutes les parties ont remis des conclusions, sont de plein droit prises en délibéré sur la base des conclusions et pièces communiquées, sans plaidoiries.
La procédure écrite devient donc la règle durant cette période dérogatoire.
Cette disposition ne s’applique pas aux causes pénales, à moins qu'elles ne concernent uniquement des intérêts civils.
La condition selon laquelle toutes les parties doivent avoir remis des conclusions vise notamment à exclure les dossiers dans lesquels une partie n'est pas représentée par un avocat. Cela exclut également la possibilité d'un jugement par défaut (cf. le rapport au Roi).
Pour le reste, il suffit que des conclusions aient été déposées, mais il n'est pas requis qu'elles soient conformes à toutes les règles de l'art (délais, formes, …). Dès lors, si le juge écarte un jeu de conclusions des débats, cela ne l'oblige pas à revenir sur sa décision de prendre l'affaire en délibéré sans plaidoiries (cf. le rapport au Roi).
La partie qui s’oppose à cette procédure écrite en informe le juge par écrit et de façon motivée au plus tard une semaine avant l’audience fixée. Ce délai est raccourci à la veille de l’audience pour les affaires fixées à des audiences de plaidoiries qui ont lieu dans les huit jours qui suivent la publication de l’arrêté, soit durant la période du 10 au 17 avril 2020 inclus. Le mot publication parait cependant incongru au vu du § 1er de l’article 2 selon lequel cette disposition vise les causes « fixées pour être entendues à une audience qui a lieu à partir du deuxième jour après la publication du présent arrêté », soit le 11 avril 2020. Dans cette acceptation du texte, il y aurait lieu de lire « entrée en vigueur » de l’article 2 (soit le 11 avril 2020) en lieu et place de « publication » de l’arrêté royal (soit le 9 avril 2020), de sorte que les causes visées seraient celles fixées à une audience entre le 11 et le 18 avril 2020.
L’opposition à la procédure écrite peut être communiquée soit via DPA-Déposit ou E-Déposit, physiquement au greffe ou même par courrier (mais attention au respect du délai en ce cas : le pli doit, vraisemblablement, être réceptionné par le greffe dans ce délai d’une semaine).
Le juge statue sur pièces quant à l’opposition à la procédure écrite. Il peut décider de tenir une audience, éventuellement par voie de vidéoconférence, remettre l’affaire à une date indéterminée ou à une date déterminée, ou prendre l’affaire en délibéré sans plaidoiries. Cette décision n’est pas susceptible de recours.
Si l'affaire est prise en délibéré sans plaidoiries, les parties qui n'ont pas encore déposé leurs pièces au greffe les déposent dans un délai d'une semaine à compter de la date initialement fixée pour plaider ou, le cas échéant, dans un délai d'une semaine à compter de la notification de la décision du juge quant au sort de l’affaire (tenue d’une audience, remise de l’affaire ou prise en délibéré), sous peine d'écartement d'office. La manière dont le dépôt doit être réalisé n’est pas précisée ; il faut donc en déduire que cela peut être accompli soit via DPA-Déposit ou E-Déposit, physiquement au greffe ou même par courrier (mais attention au respect du délai en ce cas : le pli doit, vraisemblablement, être réceptionné par le greffe dans ce délai d’une semaine).
Au plus tard un mois après la prise en délibéré de l'affaire ou, le cas échéant, au plus tard un mois à partir du dépôt des dossiers de pièces, le juge peut demander que les parties donnent des explications orales, éventuellement par voie de vidéoconférence, sur les points qu'il indique. Le cas échéant le juge fixe une date dont le greffier informe les parties.
Si l'affaire est prise en délibéré sans plaidoiries, la clôture des débats a lieu de plein droit un mois après la prise en délibéré ou, le cas échéant, après le dépôt des dossiers de pièces. Si le juge demande des explications orales, cette clôture est prononcée par lui le jour où ces explications lui sont fournies.
Le rapport au Roi précise que les vidéoconférences sont des audiences et que, par conséquent, des demandes peuvent y être formulées oralement.
Les décisions du juge visées à cet article 2 ne sont pas susceptibles de recours.
Si toutes les parties s’opposent à la procédure écrite, l’affaire est remise « à une date indéterminée ou à une date déterminée ».
Les parties peuvent donc toujours, de commun accord, s’opposer à la procédure écrite, sans pouvoir d’appréciation du juge.
Quentin Rey,
Administrateur