Rechten zonder grenzen par Luc Walleyn

Alors que les décorations de Noël étaient suspendues partout dans l'hôtel, dans la salle d'audience, la lumière semblait découper la chaleur et la foule. Macha avait rendez-vous au ministère ce matin-là pour récupérer le document qui était censé me donner l'autorisation de comparaître devant le tribunal en tant qu'étranger. Lorsque les juges sont entrés, elle n'était toujours pas arrivée. Lorsque le président Jariel Rutaremara m'a demandé si je pouvais présenter l'admittatur ministérielle, la sueur a commencé à couler sur mon visage, mais avant que je puisse ouvrir la bouche, des vagues se sont formées au fond de la salle. Macha a réussi à s'y engouffrer, brandissant le précieux document ministériel. Elle avait passé deux heures dans la salle d'attente devant la porte du ministre pour l'obtenir. Lorsqu’elle s’est aperçue que le ministre était assis à son bureau et qu'elle s’est fâchée sur la secrétaire, cette dernière lui a gentiment dit : "Je trouve que votre sac à main est joli !", ce à quoi Macha a jeté tous ses principes par-dessus bord et a répondu : "Il est à vous, si j'ai mon document dans les quinze minutes". C'était la formule magique qui a tout débloqué.

Le report a été accordé sans grande difficulté, mais surtout, ASF pouvait désormais intervenir officiellement devant les tribunaux rwandais. "Justice pour tous" avait débuté1.

Luc Walleyn est un des anciens présidents d’Avocats sans frontières. Mais pas que…

Issu d’une famille catholique de Flandre occidentale, mais peut-être plus encore ancien soixantehuitard (il se plait à raconter qu’il a vécu dans une communauté en compagnie d’un couple de dealers, d’un gangster en fuite et d’un danseur de Béjart), sa conscience politique s’éveille à l’Université (comme il le raconte, à Louvain, il était de ceux qui criaient plutôt « Bourgeois buiten » que « Walen buiten »). Il fréquente donc les milieux d’extrême gauche et c’est tout naturellement que, lorsqu’il aura prêté le serment d’avocat, il défend AMADA et est l’un des fers de lance du mouvement qui dénonce le sinistre bourgmestre raciste de Schaerbeek et ses fameux guichets. C’est le début d’une carrière dédiée à la défense des droits de l’homme.

Ici, mais aussi partout dans le monde, partout où les droits des plus vulnérables sont bafoués, partout où il a la possibilité de porter efficacement secours. Ce livre retrace ce parcours singulier. Il raconte.

Cela commence en Belgique par la défense des migrants (quel terrible illustration que ce dessin de GAL montrant le ministre Tobback tourmenté dans ses rêves par le fantôme de la malheureuse Sémira Adamu, étouffée sous un coussin par les policiers qui la ramenaient de force dans son pays, qu’elle avait fui en raison des violences sexuelles qu’elle y subissait !). Il côtoie bien sûr Anne Krywin, Michel Graindorge, Régine Orfinger et, déjà, Pierre Legros.

Le tournant décisif survient alors qu’il siège au conseil de l’Ordre, en 1993. Il est délégué par le NOAB comme représentant au sein du conseil d‘administration d’Avocats sans frontières. Il en est donc lorsque survient le génocide rwandais et il sera l’un des artisans de l’énorme évolution que connaîtra alors l’organisation. Fondée par les bâtonniers de 1992 fédérés autour de Pierre Legros pour porter aide à des confrères inquiétés dans leurs pays en raison de leurs activités de défense, elle se transforme en une véritable ONG dont la première mission sera de participer à la (re)construction d’un appareil judiciaire capable de juger le génocide. Il faut les défendre tous : les (présumés) coupables et les victimes.

Plus tard, il y aura Sabra et Shatila et la compétence universelle, le Liberia, les Kurdes, l’Est du Congo et les crimes sexuels… Et, bien sûr, les juridictions internationales. Le fol espoir que représente la Cour internationale de justice et, aussi, malgré leurs évidentes imperfections, les juridictions internationales ad hoc.

Ce ne sont pas des mémoires. Mais plutôt des histoires. Elles illustrent un parcours de plus d’un demi-siècle : années de braise, années de feu, années de plomb, chute du mur, génocide, le 11 septembre et les guerres du Golfe, le terrorisme islamiste… Un parcours entièrement voué à la défense des plus faibles.

J’ai regardé les auteurs des pires crimes dans les yeux, me sentant souvent impuissant face à la souffrance des victimes de massacres, j'ai admiré leur courage et leur persévérance, et je me suis consacré à leur rendre justice.  

C’est Edgar Boydens, ancien bâtonnier du NOAB, ancien président de l’OVB puis d’ASF, qui signe la préface. Comme il l’écrit, ce livre donne non seulement un aperçu honnête de la vie de son auteur, en rapportant certains des procès et des événements-clés qui ont façonné sa carrière, mais il éclaire aussi la façon dont nous considérons les droits humains aujourd'hui.

Ja, er zijn nog advocaten.

Patrick HENRY
Ancien Président

1
Rechten zonder grenzen, par Luc WALLEYN, Berchem, Mammoet, 2022, 270 pages, 26 euros.

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1 J’ai moi-même traduit les passages cités en italiques. J’espère ne pas les avoir (trop) déformés….

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

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