Pourquoi réformer le Conseil d’État sans les avocats ?

La ministre de l’Intérieur est en train de largement réformer le Conseil d’État. Le barreau, dont on connaît pourtant l’importance dans le fonctionnement d’un État démocratique, est tenu à l’écart de la réforme. Il convient de l’y associer de toute urgence.

Un appel signé par plus de 120 avocats spécialisés en droit public, dont 8 bâtonniers et le président d’AVOCATS.BE (*)

Le Conseil d’État est une institution qui a septante-cinq ans. Elle est constituée de deux sections. La section de législation - la première - est chargée de rendre des avis à propos des projets de loi et de règlement de l’autorité fédérale, des Régions et des Communautés. En clair, elle donne des conseils sur la manière dont les projets de texte - le Code civil, le Code pénal, les lois d’impôts… - sont rédigés et sur leur conformité aux règles supérieures, notamment la Constitution, la Convention européenne des droits de l’homme et le droit de l’Union européenne. La section du contentieux administratif - c’est la seconde - exerce une tout autre mission. Elle ne conseille pas, elle juge. La section du contentieux administratif, c’est le juge de l’administration : celui qui peut être saisi par toute personne intéressée de recours dirigés contre un règlement ou une décision - mesures Covid, attributions de marchés publics, permis de construire… - de n’importe quelle administration du pays.

Disons les choses comme elles sont : dans un État démocratique, le Conseil d’État joue un rôle majeur, que ce soit à travers l’une ou l’autre sections. Grâce à la section de législation, les lois et les règlements en projet sont, dans toute la mesure du possible, améliorés et contrôlés avant d’être rendus applicables. Grâce à la section du contentieux administratif, l’action de l’administration peut être censurée si elle est irrégulière, ce qui protège le citoyen contre l’arbitraire de l’administration.

Les magistrats qui composent les deux sections du Conseil d’État sont, pour les uns, des conseillers d’État, pour les autres, des auditeurs. Ces deux corps de magistrats se complètent. Les auditeurs instruisent les dossiers et, grâce à un examen particulièrement patient et minutieux, fournissent un premier éclairage aux conseillers qui, à leur tour, écoutent, évaluent, délibèrent et, finalement, décident par les avis qu’ils formulent - en législation - ou par les arrêts qu’ils rendent - au contentieux.

Une large réforme

Il apparaît que la ministre de l’Intérieur est en train de vouloir réformer largement le Conseil d’État. Son cabinet est au travail. Si le contenu de ce travail est tenu confidentiel, il se dit que le rôle, pourtant essentiel, des magistrats de l’auditorat serait fortement remis en question. Ces magistrats n’interviendraient notamment plus dans chaque affaire. Dans ces conditions, c’est le contrôle de la légalité de l’action des autorités publiques qui s’en trouverait appauvri, ce qui provoquerait un recul sensible de l’État de droit.

Le barreau, dont on connaît pourtant l’importance dans le fonctionnement d’un État démocratique, est, depuis de nombreux mois, tenu à l’écart de la réforme. Malgré des demandes renouvelées, il est privé d’accès au projet à l’étude, alors même que ce projet touche à de multiples questions essentielles : non seulement le rôle de l’auditorat, mais bien d’autres questions, comme la manière dont le Conseil d’État peut être saisi en référé - autrement dit dans les situations les plus graves et les plus urgentes.

Pourquoi, madame la ministre de l’Intérieur ? Pourquoi le barreau ne pourrait-il pas être associé à la réforme sur laquelle planche votre cabinet ? Tous les jours, l’avocat rend des avis au sujet de textes normatifs en projet. Tous les jours, l’avocat introduit des recours. Son expertise est précieuse. Son indépendance est totale. Sa neutralité tout aussi totale puisqu’il peut être amené à défendre tant le citoyen que l’autorité. Son rôle est singulier.

Une réforme du Conseil d’État, c’est une réforme de l’État de droit. L’avocat en est l’un des acteurs essentiels. Nous vous demandons de l’y associer de toute urgence !

(*) Signataires : Pauline Abba, Nicolas Barbier, François Belleflamme, Pascal Bertrand, bâtonnier, Sarah Ben Messaoud, Gaëtan Bihain, Thomas Boquet, Charles-Hubert Born, Jean Bourtembourg, Benoît Cambier, Jean-François Cartuyvels, Luca Ceci, Margot Celli, Philippe Charpentier, Jonathan Commans, Antoinette Cornet, Morgane Crispin, Geoffroy Cruysmans, Julie Cuvelier, Augustin Daoût, Laurence de Meeûs, Joséphine de Mevius, Matthieu De Mûelenaere, Frédéric De Muynck, Quentin de Radigues, Alexis Della Faille, Annabelle Deleeuw, Caroline Delforge, Laurent Delmotte, Michel Delnoy, Laure Demez, Luc Depré, Alexandre Devillé, Aurore Dewulf, Cyrille Dony, Xavier Drion, Nicolas Dubois, bâtonnier, Émilie Dumortier, Gauthier Ervyn, Fabrice Evrard, Laurane Feron, Anne Feyt, Sébastien Fievez, Marie-Cécile Flament, Fanny Foccroulle, Ronald Fonteyn, Nathalie Fortemps, Bernard Francis, Axel Geniesse, Emmanuelle Gonthier, Benoit Gors, Emmanuel Gourdin, France Guerenne, Matthieu Guiot, Fabien Hans, Francis Haumont, Benoît Havet, bâtonnier, Bénédicte Hendrickx, Patrick Henry, bâtonnier, ancien président d’Avocats.be, Pierre Henry, bâtonnier, Philippe Herman, Séverine Hostier, Catherine Jimenez, Alexis Joseph, Michel Kaiser, Michel Karolinski, Élisabeth Kiehl, Xavier Koener, Maurice Krings, bâtonnier, Dominique Lagasse, Fleur Lambert, Jean Laurent, Martin Lauwers, Pierre Lejeune, Éric Lemmens, bâtonnier, Sylviane Leprince, Philippe Levert, Matthieu Leysen, Matthieu Lys, Alain Mercier, Judith Merodio, Clémence Merveille, Cédric Molitor, Emilie Moyart, Marc Nihoul, Etienne Orban de Xivry, Alexandre Paternostre, David Paulet, Arnaud Picqué, Alexandre Pirson, Emmanuel Plasschaert, Kevin Polet, Laurence Rase, David Renders, Benjamin Reuliaux, Marie-Louise Ricker, Jean-Marc Rigaux, Catherine Roelants, Jacques Sambon, Joëlle Sautois, Michel Scholasse, Jean-Marc Secretin, Renaud Simar, Nathanaël Sneessens, Jérôme Sohier, Catherine Taverne, Christophe Thiebaut, Patrick Thiel, Vincent Thiry, Nathalie Tison, Nathalie Van Damme, Frédéric Van De Gejuchte, Frédéric Van Den Bosch, Xavier Van Gils, président d’Avocats.be, bâtonnier, Gaetan Van Hoorebeke, Joël van Ypersele, Véronique Vanden Acker, Tangui Vandenput, Gaëtan Vanhamme, Louis Vansnick, Marie Vastmans, Dominique Vermer, Alain Verriest, Benoît Verzele, François Viseur, Zoé Vrolix, Thierry Wimmer, Audrey Zians.

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