Personne morale par Justine Augier

Où est donc votre fameuse justice ? On entend partout que pour être libres et voir ses droits respectés, il faut aller en Europe ; mais quelle différence finalement avec notre pays, dans lequel on peut être tués sans que personne ne s’en préoccupe ?

Élise m’a dit qu’elle et les autres exploraient d’autres voies. Je ne sais pas. Sommes-nous vraiment exclus à cent pour cent ? J’ai quand même l’impression qu’il nous reste une petite chance…

Ainsi parle Yassin, un des anciens employés de la filiale syrienne de la multinationale française Lafarge, l’un des plus grands groupes cimentiers du monde. Nous sommes en 2024, un peu plus de dix ans après que, pour maintenir l’activité de sa cimenterie modèle de Jalabiya, le cimentier eut versé à différents groupes terroristes, dont DAESH, plus de cinq millions d’euros. Mais aussi abandonné ses employés syriens lorsque l’usine dut être désertée.

Romancière et essayiste française (elle a notamment obtenu le prix Renaudot en 2017 pour son ouvrage De l’ardeur, dans lequel elle raconte l’histoire de l’avocate et militante des droits humains syrienne Razan Zaitouneh, prix Sakharov et prix Anna-Politkovskaïa en 2011, prix Petra Kelly en 2014, disparue en 2013 et dont on est toujours sans nouvelle – sans doute a-t-elle été enlevée et exécutée par un groupe terroriste dissident, à moins que ce ne soit par la police de Bachar al-Assad), Justine Augier a suivi le travail d’une équipe de jeunes juristes – presque toutes des jeunes femmes, cela doit être souligné – qui se sont lancées dans une croisade contre cet ex-fleuron de l’industrie française (il est aujourd’hui une filiale du groupe Holcim), qui n’a donc pas hésité à financer des groupes terroristes pour tenter de protéger les intérêts de ses actionnaires.

Elles sont avocates, ou stagiaires, ou juristes. Elles font partie d’O.N.G. ou travaillent en collaboration avec elles. Elles s’appellent Cannelle, comme dans la chanson, Dorothée, Charlotte, Claire ou Clara. Leurs armes, c’est le droit. Elles s’en servent pour construire des plaidoyers, pour mener des procès pilotes, tenter de construire de nouvelles jurisprudences. Elles disposent de moyens dérisoires au regard de ceux que peuvent déployer leurs adversaires.

Pourtant c’est bien écrit, et ces mots valent pour Lafarge mais aussi pour toutes les affaires à venir : pour que l’infraction de complicité soit retenue, il suffit qu’il y ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l’humanité et que, par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation.

C’est un travail ingrat, long et ingrat, car il est fait de plus de revers que de succès, car le découragement n’est pas loin lorsqu’en appel, un arrêt vient détricoter, pour une question de procédure ou de compétence, les avancées que l’on avait arrachées de haute lutte quelques mois (ou années !) plus tôt. Mais quelle satisfaction pour ces Davida lorsque, çà et là, elles réussissent à toucher Goliath entre les deux yeux !

Il existe donc encore dans notre société ultracapitaliste, ultralibérale, une petite place pour l’engagement désintéressé. Et avec des notions de droit, on arrive encore à construire de grandes choses. Au moins à freiner les appétits insatiables de ces actionnaires pour lesquels ne semblent compter ni la vie de leurs employés, ni la sécurité de leurs concitoyens, ni l’avenir de la planète. L’argent, seulement l’argent.

Aucun animal autonome, libre de tout mouvement, n’adopterait un tel comportement suicidaire. Cette attitude face au danger est incompatible avec l’instinct de survie et l’évaluation du risque dans le règne animal. On peut se demander pourquoi l’Homme y succombe et pense pouvoir s’en sortir.

Ce livre est donc le récit de ce combat strictement judiciaire, mené par quelques O.N.G. contre un immense groupe international. Il est loin d’être le seul. Nous connaissons surtout, en Europe, le contentieux climatique dont se sont emparées quelques autres associations, un peu de tout bord (on songe aux jeunes portugais de l’affaire Duarte Agostinho ou aux vieilles dames suisses de l’affaire Verein KlimaSeniorinnen). Mais de nombreuses autres O.N.G., dont Avocats sans frontières, en mènent aussi, en Amérique latine, en Afrique, partout dans le monde en réalité. Et parfois au péril de leurs vies.

Quel bel hommage ! Quel beau témoignage ! Quels beaux portraits !

Allez les filles ! Luttez.

Patrick Henry
Ancien Président

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

a également publié

Informations pratiques

Jurisprudence professionnelle : textes et arrêts de la CEDH

Vous trouverez sur le site internet de la Délégation des Barreaux de France les résumés en français des principaux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui concernent la profession d’avocat.

Rentrées des jeunes barreaux

Agenda des formations

Prenez connaissance des formations, journées d'études, séminaires et conférences organisées par les Ordres des avocats et/ou les Jeunes Barreaux en cliquant ici.

Si vous souhaitez organiser une formation et que vous souhaitez l'octroi de points pour celle-ci, veuillez consulter les modalités qui s'appliquent aux demandes d'agrément dans le document suivant et complétez le formulaire de demande.