Mots troublants “de chez nous” (7)

Le verbe voler est apparu d’abord comme intransitif : l’oiseau vole. Sauf si c’est une pie, veut l’histoire, l’oiseau ne vole pas quelque chose. Il en va de même de l’avion (et je m’autorise un conseil : s’il semble agiter les ailes, la recherche d’un parachute s’impose certainement ; il n’est en effet pas exclu qu’il aille jusqu’à voler … en éclats !).

Ce “voler” s’est transmis à la fauconnerie en signifiant Poursuivre en volant ; ainsi, le faucon vola la perdrix. C’est de cette évolution que naquit l’autre sens du mot voler.

D’autres expressions françaises viennent du vocabulaire de la fauconnerie. Un escroc de haut vol est en effet une fripouille de grande envergure.

Devenu transitif, voler est passé de poétique à frauduleux.

Il peut s’employer absolument (sans complément d’objet) – Ce misérable vole par nécessité –, le cas échéant de façon circonstancielle : à l’étalage, avec effraction ou à main armée, par exemple.

Voler un baiser, c’est “embrasser quelqu’un par surprise”, dit la vieille dame du quai Conti : encore un problème de consentement. On dit aussi dérober un baiser et, non, ça ne veut pas dire qu’on a, en plus, ôté son vêtement à la personne.

La fraude s’amoindrit lorsqu’on vole seulement la vedette à quelqu’un.

Alternative 

On le perd progressivement de vue, mais, en français, alternative désigne un ensemble de deux solutions ; ce n’est PAS un synonyme de choix, possibilité ou solution de rechange.

“L’alternative est un Choix nécessaire entre deux propositions dont l’une exclut l’autre” (Académie française). L’alternative est la suivante : partir ou rester ; il ne s’agit pas de deux alternatives.

Le glissement de sens (assez fréquent) vient, de nouveau, de l’anglais (qui utilise ce mot aussi au sens de solution de remplacement – nous connaissons tous un américain qui vit de sa vérité alternative…).

Je le concède, la nuance devient vraiment subtile lorsqu’il n’y a PAS d’alternative. On pourrait penser que ça signifie qu’il n’y a pas de plan B alors qu’en réalité, s’il n’y a pas d’alternative, c’est parce qu’il n’y a pas de choix : il n’existe qu’UNE solution ...

Vous me voyez venir : contrairement à ce qu’on nous dit tous les jours, la médiation n’est PAS un mode alternatif de règlement d’un conflit. Cette appellation est une impropriété (Erreur de vocabulaire consistant à employer un mot ou une expression dans un sens inadéquat ou contraire à la norme en usage).

L’Académie française en dit encore : “On se gardera bien d’étendre ce sens et de faire d’alternatif un synonyme aux allures pompeuses de l’adjectif autre ou de la locution adjectivale de remplacement”.

Aux allures pompeuses, on y revient …

Les MARC devraient donc s’appeler les MRC, mais c’est moins facile à prononcer (et ça fait un peu centre-avant croate).

Alors, procès ou médiation ? Ça, c’est une alternative. Et parfois même un dilemme.

Ce dernier, presque toujours qualifié de cruel, a une teinte plus négative : il met en quelque sorte dans l’obligation de choisir entre Charybde et Scylla, conduisant dans les deux cas à un résultat regrettable.

Bref, on est dans une alternative quand on pèse toujours le pour et le contre mais dans un dilemme lorsque, tout bien pesé, on constate que les deux options vont de toute façon apporter leur lot d’inconvénients. J’ai déjà dit ailleurs ma perplexité quant aux messages subliminaux liés à la médiation ; j’y reviendrai peut-être un jour ici

On écrit Les face-à-face (nom, invariable) entre ces deux avocats sont souvent épiques.

Mais, Lorsqu’il est tombé face à face avec son confrère…, l’adverbe composé, lui, est délesté de traits d’union ! Donc, si c’est un adverbe, pas de traits d’union… ?

Eh non ! Sur-le-champ, autre locution adverbiale – qui signifie curieusement sans délai alors qu’un champ ne semble a priori pas une notion temporelle –, arbore de beaux traits d’union ! À l’audience, on peut devoir répondre sur-le-champ, mais aussi se faire interrompre ...à tout bout de champ. Tiens, sans le moindre trait d’union ?

Sur-le-champ peut aussi se dire séance tenante. Voilà une expression que les juristes comprennent aisément. Étymologiquement, seoir (qui ne s’emploie guère qu’à la 3e personne) vient du latin sedere, « être assis, siéger » et, en latin médiéval, « convenir ».

On dit certes la cour de céans pour dire la cour d’ici, mais on dit la cour séant à Liège pour signifier que c’est dans cette ville qu’elle siège, qu’elle tient séance. Et si c’est pendant cette séance, et non plus tard, qu’il faut répondre à une question, c’est bien au cours de la séance tenante. Sans possibilité d’y surseoir. Sans sursis, donc. Question de bienséance. Il s’agit d’une expression qui sied à ravir aux plaideurs.

Le susdit seoir est un verbe défectif (anciennement : défectueux), c’est-à-dire “dont certaines formes sont inusitées”.

Il en existe beaucoup (pleuvoir, neiger, …), tel traire qui signifiait tirer. Ainsi, ce n’est que par métonymie qu’on trait une vache puisqu’au sens premier, c’est le lait qu’on trait ; c’est lui qu’on tire (du pis). Si seule la vache – qui a quatre trayons – a sauvé ce verbe de l’oubli, les équidés viennent un peu l’épauler lorsqu’ils sont des chevauxde trait. Traire à chevaux signifiait d’ailleurs écarteler ! On savait rire, en ce temps-là.

Et, un trait étant également une flèche, qu’on tire par hypothèse, il a pu servir au figuré à faire des … traits d’humour. On peut même, à cette occasion, user des deux formes et, de quelqu’un, tirer le portrait. Portraire n’est plus usité mais, comme sa variante plus ancienne encore, pourtraire, il est bien constitué de pour et de traire (dessiner). Et, non, on ne dresse PAS le portrait de quelqu’un, tout au plus le brosse-t-on (Brosser : peindre à la brosse par larges touches, et donc, figurément, « décrire dans les grandes lignes, à larges … traits »). Le seul qu’on puisse dresser – parce qu’il s’agit alors d’une chose qui exige soin et précision, comme quand on dresse un acte, un plan, une liste –, c’est le… portrait-robot !

Il nous reste quelques cousins du verbe traire, fort usités sous toutes leurs formes quant à eux, et fréquents en droit (de nouveau), tels attraire, soustraire ou encore distraire – ce dernier, à l’origine : tirer en divers sens, est devenu se détourner, puis s’écarter et enfin amuser ou … prélever frauduleusement (qui amène à la locution distraction frauduleuse, laquelle ne signifie PAS, ai-je dû âprement préciser à mon boucher qui aime les distractions, aller aux putes).

Le parangon des verbes défectifs nous est lui aussi familier dans la profession. Pas dans sa forme infinitive totalement méconnue,apparoir, mais à la 3e personne du singulier de l’indicatif présent – et sous nulle autre forme ! – : il appert.Appert que d’aucuns croient italianiser en apéro. [Intervention bien-pensante : L’alcool nuit à la santé ! Réponse blasphématoire et sophistique : L’alcool ne tue que ceux qui n’ont pas le mauvais goût de mourir d’autre chose].

A propos de l'auteur

Jari
Lambert
Avocat au barreau de Liège

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