Le droit des successions a connu une refonte en profondeur sous la plume du législateur, par les lois réformatrices des 31 juillet 2017[1] et 22 juillet 2018[2] et recodificatrice du 19 janvier 2022[3].
L’institution de la réserve héréditaire, auparavant socle de solidarité intrafamiliale immuable, a été dans ce cadre fondamentalement redéfinie. Les pertes qu’accuse l’institution suite à la réforme sont à la fois quantitatives[4] et qualitatives. Sauf les trois exceptions prévues par le législateur[5], la réserve s’exprime en effet désormais, impérativement[6], en valeur. Dès lors, en présence de plusieurs héritiers réservataires dont l’un est institué légataire universel, celui-là recueille seul, à l’exclusion de tout autre, la pleine propriété de la succession[7]. L’héritier exhérédé ne recueille aucun droit de propriété en nature dans la succession mais dispose d’une créance à l’encontre du légataire universel. Partant, il n’est donc plus recevable à solliciter le partage par la voie judiciaire[8]. Or, avant l’intervention législative de juin 2025, la procédure visée aux articles 1207 et suivants du Code judiciaire ne faisait aucune scission entre l’action en liquidation et, le cas échéant, en partage, de sorte que la recevabilité de toute l’action reposait sur la démonstration de l’existence ou de la vraisemblance d’une indivision[9]. Or, comme nous l’avons vu supra, l’héritier exhérédé est départi de tout droit in re dans la succession.
Les droits des tiers se trouvaient également fragilisés puisque les créanciers personnels de l’héritier ne pouvaient davantage provoquer le partage sur pied de l’article 1561 du Code judiciaire, ni y intervenir sur pied de l’article 4.101, al. 1er du Code civil.
Une réforme du droit judiciaire de la procédure en liquidation-partage était donc nécessaire. Celle-ci est intervenue par la loi du 18 juin 2025[10]. Le législateur relève la nécessité d’adapter la procédure visée actuellement aux articles 1207 et suivants du Code judiciaire, afin de la rendre applicable lorsque « à défaut d’indivision entre les parties, un partage n’est pas requis mais qu’une liquidation s’impose néanmoins en vue de la fixation des droits de ceux-ci ». Par cette réforme, le législateur entend également remédier très ponctuellement à certaines difficultés identifiées, notamment en matière d’inventaire[11].
I. Les modifications intervenues dans le Code judiciaire
- La consécration de la possibilité d’une liquidation SANS partage
Les articles 1205, alinéa 2 et 1207, alinéa 2 du Code judiciaire sont insérés dans l’arsenal juridique et permettent dès lors une liquidation sans partage, amiable ou judiciaire, de la masse. La compétence du Tribunal de la Famille est étendue en ce sens[12]. La sécurité juridique est, partant, rétablie.
Il faut noter que le vocable de masse s’étend tant à la masse successorale que matrimoniale. Partant, il est définitivement mis fin par le législateur aux controverses entourant la recevabilité de l’action portant sur la seule liquidation du régime matrimonial, en ce compris donc le cas des époux mariés en séparation de biens ou des époux mariés en régime de communauté lorsque, par l’effet de la loi ou par l’insertion d’une clause dans leur contrat de mariage, la pleine propriété de la communauté est attribuée au conjoint survivant. Dans ce dernier cas, il demeure en toute hypothèse nécessaire d’établir le compte des récompenses puisque celui-ci relève de la liquidation du régime, la clause d’attribution ne portant, elle, que sur le partage)[13].
Aux termes des opérations de liquidation, la consistance exacte de la masse pourra donc être déterminée et les droits de chaque partie valorisés (=chiffrés)[14].
- En matière d’inventaire
a) La fin de la controverse : la consécration de la compétence concurrente du Juge de Paix et du Tribunal de la Famille en cas de difficulté en cours d’inventaire (art. 1184, al. 1er)
L’article 4 de la loi du 18 juin 2025 opère une refonte de l’article 1184 du Code judiciaire.
L’intervention législative met fin aux controverses qui pouvaient subsister quant à la compétence concurrente du Juge de Paix et du Tribunal de la Famille ou la compétence exclusive de l’un ou de l’autre lorsque l’inventaire est réalisé sur pied de l’article 1214 du Code judiciaire, consacrant la première.
Le notaire liquidateur peut désormais saisir le Juge de Paix ou le Tribunal de la Famille de toute difficulté qui surgirait en cours d’inventaire. La saisine de ce dernier s’effectue selon la procédure visée à l’article 1216 du Code judiciaire[15]. Le choix du Tribunal saisi est laissé à l’entière appréciation du notaire[16]. Le rôle central du notaire liquidateur, agissant en véritable chef d’orchestre de la liquidation, est, ici encore, consacré.
b) Renonciation expresse et unanime à l’inventaire
L’article 1214, §2, al.1er du Code judiciaire est réécrit et impose désormais l’accord unanime et exprès de toutes les parties pour renoncer à l’inventaire[17].
Ceci met fin aux incertitudes liées à la lecture inconciliable de l’ancienne mouture de cette disposition par la doctrine et la Cour de cassation. Si la doctrine majoritaire estimait en effet qu’aucune renonciation tacite n’était possible, la Cour de cassation avait dit pour droit, dans son arrêt du 6 janvier 2022 que le notaire liquidateur pouvait valablement déduire de l’absence ou du silence circonstancié d’une partie, dans des circonstances qui ne sont susceptibles d’aucune autre explication, de sa renonciation tacite à l’établissement d’un inventaire.
c) Le notaire fixe la date et le lieu de l’inventaire
Pour pallier à toute difficulté pratique, le notaire est désormais requis d’indiquer, dans sa convocation adressée aux parties, le lieu où se tiendra l’inventaire[18].
d) Inventaire de récolement
Dans l’hypothèse où un inventaire a déjà été établi au préalable de l’ouverture des opérations de liquidation, celui-ci peut être actualisé par un inventaire de récolement, à la demande des parties[19].
- Calculs et computation des délais
Le législateur insère un § 8 à l’article 1214 du Code judiciaire, rédigé désormais comme suit : « Les délais convenus ou fixés en application de la présente section se comptent conformément au chapitre VIII de la première partie du présent code».
Les articles 48 à 57 du Code judiciaire sont dès lors applicables à la procédure en liquidation, et le cas échéant, en partage, à l’exclusion toutefois de l’article 55 dudit Code. En effet, celui-ci est rédigé comme suit :
« Lorsque la loi prévoit qu'à l'égard de la partie qui n'a ni domicile, ni résidence, ni domicile élu en Belgique, il y a lieu d'augmenter les délais qui lui sont impartis, cette augmentation est:
1° de quinze jours, lorsque la partie réside dans un pays limitrophe ou dans le Royaume-Uni de Grande-Bretagne;
2° de trente jours, lorsqu'elle réside dans un autre pays d'Europe;
3° de quatre-vingts jours, lorsqu'elle réside dans une autre partie du monde ».
Puisqu’aucune intervention législative n’est venue modifier les articles 1207 et suivants pour prévoir une augmentation des délais en l’absence de domicile sis en Belgique, l’article 55 demeure à notre sens inapplicable aux différents délais intervenant aux cours de la phase notariale.
L’on peut toutefois regretter ici que l’intervention législative soit dénuée de toute réflexion, ou à tout le moins de motivation fouillée.
- L’exécution provisoire des décisions et la liquidation-partage : remaniement des articles 1218, §3,3° et 1223 ,§5 du Code judiciaire
Le législateur a utilement modifié les articles 1218, §3,3° et 1223, §5 du Code judiciaire, qui prévoyaient toujours dans leur ancienne mouture, en totale contradiction avec l’article 1397 du Code judiciaire refondu, que le notaire était tenu de dresser son état liquidatif ou de déposer la décision judiciaire intervenue au rang de ses minutes dans un délai de quatre mois, prenant court au jour où la décision rendue est passée en force de chose jugée.
Désormais, le délai susvisé court à partir de la requête écrite d’une partie, pour tout jugement exécutoire par provision.
II. Les modifications intervenues dans le Code civil (la situation des tiers)
Si les créanciers personnels de l’héritier exhérédé ne sont toujours pas admis, à bon droit, à provoquer le partage[20] ni à y intervenir[21], ils peuvent toutefois participer à la liquidation.
III. Les limites de la nouvelle procédure en liquidation sans partage
- Les compétences ratione personae et materiae du Tribunal de la Famille maintenues
Le législateur n’a, par la réforme intervenue, pas souhaité modifier la compétence du Tribunal de la Famille. La demande en liquidation, et le cas échéant en partage, ne peut, partant, être requise que sur base du titre 3 du livre 2 (relations patrimoniales des couples) ou du livre 4 (successions, donations ou testaments) ou encore pour régler les décomptes entre cohabitants légaux. Les cohabitants de fait demeurent, eux, exclus du champ d’application des articles 572bis et 1207 et suivants du Code judiciaire[22].
- L’impossibilité de dénaturer le partage
Nonobstant la réforme intervenue, il demeure impossible pour les parties de dénaturer le partage, de sorte que seuls les indivisaires, soit les parties qui disposent de droits en nature dans la masse, sont recevables à formuler toute demande relative au partage de la masse. On peut relever notamment les exemples suivants : solliciter la formation et l’attribution de lots, faire constater le caractère non commodément partageable de biens successoraux, demander des mesures de gestion de la masse indivise, etc[23].
IV. Dispositions transitoires/Entrée en vigueur
L’article 20 de la loi du 18 juin 2025 rend les nouvelles dispositions applicables à toutes les affaires dans lesquelles la demande en partage est pendante et qui n’ont pas encore été mises en délibéré au moment de l'entrée en vigueur de la loi précitée.
Sans disposition particulière, celle-ci est entrée en vigueur le 7 juillet 2025.
V. Conclusion : que faut-il penser de la réforme intervenue ?
Aucun praticien de la matière normalement constitué ne pourra dénier que la réforme intervenue par la loi du 18 juin 2025 aura été salvatrice et restauratrice de sécurité juridique. Si une action en partage était de lege lata irrecevable en présence d’un cohéritier réservataire légataire universel et d’un cohéritier exhérédé, il demeure en toute hypothèse indispensable, comme le législateur l’a bien compris, d’ouvrir aux acteurs de la succession ou du régime matrimonial une action en vue de procéder à la seule liquidation de la masse. On peut toutefois regretter que le législateur n’ait pas profité de l’occasion qui lui était donnée pour trancher certaines des nombreuses controverses qui demeurent, et qui ne manqueront pas de faire encore couler beaucoup d’encre. Le chantier, s’il progresse, est pour l’heure loin d’être achevé.
Laura Vilain,
Avocate au barreau de Bruxelles.
[1]Loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière, M.B., 1er septembre 2017, p. 81578.
[2]Loi du 22 juillet 2018 modifiant le Code civil et diverses autres dispositions en matière de droit des régimes matrimoniaux et modifiant la loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière, M.B., 27 juillet 2018, p. 59435.
[3]Loi du 19 janvier 2022 portant le livre 2, titre 3, "Les relations patrimoniales des couples" et le livre 4 "Les successions, donations et testaments" du Code civil, M.B, 14 mars 2022, p. 19772.
[4]Les ascendants sont désormais exclus des réservataires (article 4.148 a contrario du Code civil). En outre, en présence de descendants en ligne directe, la réserve de ces héritiers ne porte désormais plus que sur la moitié de la masse visée à l’article 4.153 du Code civil. Dès lors, la part réservataire de ces héritiers est une quotité fixe, que leur nombre ne fait plus varier.
[5]Soit la réserve concrète du conjoint survivant (art. 4.150, al. 3 C.civ.), à la demande du tiers gratifié (art. 4.150, al. 2, in fine, C.civ.) et enfin en présent d’un tiers gratifié (art. 4.150, al. 4 C.civ.).
[6] Le testateur ne peut imposer une réserve en nature. L’article 4.150, alinéa 2 du Code civil précise en effet: « nonobstant toute disposition contraire, la réduction n’a lieu qu’en valeur ».
[7] G. HOLLANDERS DE OUDERAEN et J. FILLENBAUM, « La réserve en valeur : aperçu de quelques impacts civils (passés inaperçus) », Rev.not.b., 2021/11, pp.1026-1027 ; V.WYART, « La réduction en valeur et les droits du conjoint survivant », Le couple et le droit patrimonial de la famille, Bruxelles, Larcier, 2022, pp. 102 et 103 ; A. WYLLEMAN, « Wie kan vanaf wanneer welke bevoegdheden uitoefenen over de goederen die behoren tot een opengevallen nalatenschap ? », Patrimonium, 2021, pp. 231-242 ; C. DECLERCK et S. MOSSELMANS, « Welke rechtpositie heeft de onterfde reservataire erfgerechtigd in het nieuwe erfrecht ? », Patrimonium, 2021, pp. 261-266.
[8] Voy. notamment V. WYART, « La réduction en valeur et les droits du conjoint survivant », op.cit., p105.
[9] Inhérente au partage s.s. L’article 572bis, 10° C.J. ne prévoyait par ailleurs initialement qu’un chef de compétence en cas de partage. La doctrine et la jurisprudence ont toutefois tenté de dégager des solutions juridiques diverses pour résoudre la situation de blocage, de lege ferenda. Dans l’hypothèse où l’une des parties s’y opposait toutefois, des difficultés apparaissaient invariablement…
[10] Voy. les propositions de loi des 13 décembre 2023 et 25 septembre 2024. La première ayant été abandonnée puis retranscrite, par identité de termes, dans la seconde.
[11] Voy. le résumé de la proposition de loi.
[12] Article 572bis, 10° C.J.
[13] S’agissant d’un principe essentiel du régime légal, en vertu du principe de cohérence du régime matrimonial (article 2.3.1 C.civ.), il ne peut y être dérogé, par convention ou encore par l’effet de la loi successorale.
Voy. sur ces deux notions (principe de cohérence/nécessité de liquidation même en cas d’attribution de la pleine propriété de la communauté, les deux contributions très intéressantes de J. SAUVAGE : J. SAUVAGE, « Le double régime de la convention matrimoniale : organisation et protection » in C. AUGUET et al., Evolutions récentes du droit patrimonial de la famille, Limal, Anthemis, 2023, p. 251 ; J. SAUVAGE, « L’attribution totale du patrimoine commun au conjoint survivant supprime-t-elle le compte de récompenses ? », in H. CASMAN et al., Les masses de partage, Limal, Anthemis, 2023, pp. 7 et s.
[14]Voy. sur la notion de liquidation : N. GENDRIN et D. KARADSHEH, Liquidation-Partage, Bruxelles, Larcier, 2020, p. 181.
[15] Par le dépôt d’un procès-verbal intermédiaire.
[16] A titre informatif, le législateur rappelle la compétence naturelle du Juge de Paix pour toute difficulté d’ordre pratique, ou encore l’opportunité de saisir le Tribunal de la Famille de toute difficulté qui pourrait in fine avoir une incidence sur les droits des parties dans la masse. En définitive toutefois, seul le notaire tranchera cette question.
[17] Article 14 de la loi du 18 juin 2025 précitée.
[18] Voy. les articles 3 et 14, 2° de la loi du 18 juin précitée, qui modifient les articles 1179 et 1214, §2, al.2, du Code judiciaire.
[19] Voy. l’article 14, 3° de la loi du 18 juin précitée, qui modifie l’article 1214, §2, al.2, du Code judiciaire.
[20] Article 1561 du Code judiciaire.
[21] Article 4.101, al.1er du Code civil.
[22] La Cour constitutionnelle avait déjà été saisie de la question, sans relever aucune discrimination (C.const., arrêt n°1/2017 du 19 janvier 2017).
[23] L’article 1207, al.3 du Code judiciaire, tel que modifié par l’article 11 de la loi du 18 juin précité, vise les articles 1209, § 3, 1212, 1214, § 1er, alinéas 3 à 6, 1214, § 6, alinéa 2, 1224 et 1224/1 du même Code.