Libre circulation et séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille : de nouvelles orientations bienvenues

En 1992, le traité de Maastricht a instauré la liberté de circulation et de séjour des personnes dans l’Union européenne, liberté qui constitue la pierre angulaire de la citoyenneté de l’Union. 

Par ailleurs, la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, s’inscrit dans la suppression progressive des frontières intérieures en application des accords de Schengen. 

En 2009, la Commission avait adopté des lignes directrices afin de faciliter l’application du texte1. De nombreuses décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sont également intervenues en la matière.

Or, force est de constater qu’en pratique l’application de la directive reste entravée, notamment par une mauvaise application du droit de l’Union et de la jurisprudence de la CJUE par les autorités nationales. Une mise à jour des lignes directrices s’imposait, notamment pour mieux refléter l'évolution de la jurisprudence de la CJUE et prendre en considération la diversité des familles, en ce compris les familles arc-en-ciel. 

Ces nouvelles orientations sur la libre circulation2 visent à aider les autorités et les juridictions nationales des États membres à appliquer correctement et plus uniformément les règles de l'Union en la matière. Elles fournissent une interprétation juridique et pratique ainsi que des exemples sur des questions clés relatives aux droits de libre circulation, offrant ainsi une plus grande sécurité juridique aux citoyens de l’Union et aux membres de leur famille qui exercent leurs droits à la libre circulation dans l’Union européenne.

Parmi les points abordés dans cette communication de la Commission particulièrement exhaustive, nous avons relevé les points suivants :

Champ d’application de la directive : 

Des précisions sont apportées afin de déterminer les cas dans lesquels une personne et les membres de sa famille relèvent de la directive 2004/38/CE et les cas dans lesquels leur situation est régie par le droit national. La situation des citoyens de l’Union européenne ayant une double nationalité est notamment abordée.

Notion de membre de la famille : 

  • En ce qui concerne les enfants de parents homosexuels exerçant leurs droits à la libre circulation, la Commission rappelle que la Cour a précisé que, si l’un des parents est citoyen de l’Union, tous les États membres doivent reconnaître le lien de filiation tel qu’établi dans l’acte de naissance dressé par un État membre aux fins de l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union, sans aucune formalité supplémentaire.
  • Il n’existe aucune restriction quant au lien de parenté entre les citoyens de l’Union et leurs ascendants ou descendants. Cela signifie, par exemple, que les petits-enfants et les grands-parents à charge sont couverts.
  • Une relation juridique entre un citoyen mobile de l’Union et un mineur qui ne présente pas de lien de filiation (par exemple, les tuteurs légaux et les enfants adoptifs), mais qui conduit à la création d’une vie familiale effective, bénéficie d’une protection au titre de la directive 2004/38/CE, à condition que cette relation puisse être dûment attestée.
  • La Communication précise les conditions à remplir pour être considéré comme membre de la famille à charge et les pièces justificatives permettant d’apporter la preuve de la dépendance.
  • Partenaires durables : les éléments susceptibles d’établir l’existence d’une relation de fait durable dûment attestée sont détaillés.
  • La Communication apporte par ailleurs des précisions bienvenues concernant l’acceptation par les Etats membres des documents attestant du lien de parenté entre le citoyen de l’Union et le membre de sa famille, en particulier lorsque ces documents ont été délivrés par des Etats tiers.

Documents de voyage : 

  • Le texte aborde la question des noms de famille de l’enfant citoyen de l’Union européenne sur son passeport ou sa carte d’identité, également pour les enfants de parents homosexuels. Afin de permettre à un enfant de l’Union d’exercer son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres avec chacun des deux parents, les parents ont le droit de disposer d’un document les mentionnant comme étant des personnes habilitées à voyager avec cet enfant (ce document peut consister en un acte de naissance). Les autres États membres sont tenus de reconnaître ce document. 
  • Quant aux documents de voyage, la Commission précise que les États membres ne peuvent refuser un document de voyage qui n’a pas une durée précise de validité future ou un ancien document dépourvu des derniers éléments de sécurité.

Séjour des citoyens de l’Union européenne dans un autre Etat membre pour une durée supérieure à trois mois :

Ce droit de séjour n’est pas automatique et est soumis à des conditions.

  • La notion de ressources suffisantes est détaillée. 
  • Les citoyens de l’Union n’exerçant pas d’activité économique (y compris les étudiants) et les membres de leur famille doivent disposer d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil : des précisions sont apportées quant à cette condition pour les titulaires de pensions et rentes.
  • Le texte détaille les conditions du droit au séjour des demandeurs d’emploi et des responsables à titre principal de citoyens mineurs.
  • L’application des règles nationales relatives aux registres de population doit respecter le droit de l’Union. En particulier, l’inscription au registre national de la population et la possession d’un numéro d’identification personnel ne doivent pas être des conditions préalables pour qu’un citoyen de l’Union ait le droit de travailler dans l’État membre d’accueil et ne doivent pas constituer un obstacle à l’exercice des droits de libre circulation d’un citoyen de l’Union.

Séjour des membres de la famille de citoyens de l’Union européenne dans un autre Etat membre pour une durée supérieure à trois mois et droit d’y travailler :

  • La Commission rappelle que la liste de documents à produire au moment de l’introduction de la demande de carte de séjour est exhaustive ainsi que les conditions à remplir.
  • Les États membres peuvent demander que des documents ne soient traduits, notariés ou authentifiés que lorsque l’autorité nationale concernée ne comprend pas la langue dans laquelle ils sont rédigés ou émet des doutes quant à l’authenticité du document.
  • La question des délais de traitement des cartes de séjour, qui doivent en principe être délivrées dans un délai de six mois, et des conséquences qui peuvent en découler est abordée. En particulier, lorsque le visa d’entrée expire dans l’attente de la délivrance de la carte de séjour, les membres de la famille qui sont ressortissants de pays tiers ne sont pas tenus de retourner dans leur pays d’origine et d’obtenir un nouveau visa d’entrée.
  • La Commission précise les conditions du maintien du droit de séjour des membres de la famille en cas de décès ou de départ du citoyen de l’Union et en cas de divorce, d’annulation du mariage ou de rupture d’un partenariat enregistré.

Séjour permanent :

  • En règle générale, l’acquisition du droit de séjour permanent requiert un séjour légal pendant une période ininterrompue de cinq ans dans l’État membre d’accueil. La Commission apporte des précisions quant à la notion de séjour légal et au calcul de cette durée de cinq ans. 
  • Le texte précise les délais de traitement des demandes (délai raisonnable pour les citoyens de l’Union européenne, délai de six mois pour les membres de leur famille).

Droit à l’égalité de traitement :

La Commission rappelle que le principe de non-discrimination consacré par l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38/CE ne s’applique qu’aux personnes qui résident dans l’État membre d’accueil dans le respect des conditions de séjour prévues par ladite directive et est donc subordonné au respect de ces conditions. En outre, des garanties sont en place pour protéger les États membres d’accueil contre des charges financières déraisonnables. Le texte aborde les conditions relatives à l’aide d’entretien aux études et, de manière exhaustive, le contenu et les conditions d’accès à l’assistance sociale (contenu de l’assistance sociale, catégories de personnes ayant droit aux mêmes prestations d’assistance sociale que les ressortissants nationaux, catégories de personnes pouvant se voir refuser l’accès aux prestations sociales).

Relation entre la directive 2004/38 et d’autres instruments du droit de l’Union européenne

  • Le règlement (UE) nº 492/2011 définit les droits qui s’appliquent aux travailleurs mobiles de l’Union et aux membres de leur famille. Conformément à la jurisprudence de la CJUE, les citoyens de l’Union non-salariés relevant de l’article 49 du TFUE peuvent jouir des droits prévus par le règlement (UE) nº 492/2011 qui s’applique par analogie.
  • Les droits en matière de sécurité sociale des citoyens mobiles de l’Union au niveau de l’Union sont régis par les règlements (CE) nº 883/2004 et (CE) nº 987/2009 (les « règlements de coordination »). La communication précise la relation entre la directive 2004/38 et ces textes notamment quant aux prestations visées et à la notion de membre de la famille.
  • Le droit à l’égalité d’accès aux soins de santé : le texte précise le contenu et les conditions d’accès aux soins de santé pour les citoyens de l’Union en fonction de leur situation.

Documents de séjour :

  • Des précisions sont apportées quant au format, aux informations minimales et à la durée de validité des certificats d’enregistrement et des cartes de séjour.
  • La Commission rappelle la nature et effet des documents de séjour : de nature déclaratoire, ces documents servent à certifier l’existence de droits au titre de la législation de l’Union sur la libre circulation. La possession d’un document de séjour n’est donc pas une condition préalable au séjour légal. De même, l’ouverture de droits (par exemple, demande d’aide d’agences publiques pour l’emploi, affiliation au régime public d’assurance maladie) peut être attestée par tout autre moyen de preuve.

Restrictions au droit de circuler et de séjourner librement pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

Cette section, particulièrement exhaustive, développe les conditions des mesures restrictives au déplacement et au séjour des citoyens de l’Union qui sont justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

  • Concernant les raisons d’ordre public, la Commission rappelle que des mesures restrictives ne peuvent être prises qu’au cas par cas lorsque le comportement personnel de l’intéressé constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société de l’État membre d’accueil et développe ces notions.
  • Les autorités doivent procéder à une appréciation de la proportionnalité et des indications leur sont données à cette fin.
  • La Commission rappelle les conditions permettant aux Etats membres de limiter l’exercice du droit de circuler et de séjourner librement pour des raisons de santé publique.

Restrictions pour des raisons autres que d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

La Commission détaille les conditions relatives à une mesure d’éloignement et les facteurs à prendre en considération. Sont visées ici les situations suivantes : un membre de la famille qui, à la suite du départ du citoyen de l’Union de l’État membre d’accueil, ne bénéficie plus d’un droit de séjour au titre de la directive 2004/38/CE, une personne qui n’est plus membre de la famille d’un citoyen de l’Union et qui ne remplit pas les conditions pour conserver un droit de séjour en vertu de la directive 2004/38/CE, un citoyen de l’Union économiquement inactif qui est devenu une charge déraisonnable pour le régime d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. 

Garanties procédurales :

La Commission détaille les garanties procédurales prévues au chapitre VI de la directive 2004/38/CE et rappelle qu’elles s’appliquent à toutes les situations dans lesquelles les droits d’entrée et de séjour prévus par la directive 2004/38/CE sont restreints ou refusés (y compris les refus de visa, les refus d’entrée, les refus de demandes de cartes de séjour, le refus d’attestation de séjour, le retrait des cartes de séjour, etc.) et quels que soient les motifs sur lesquels la mesure est fondée.

Droit de séjour des membres de la famille de ressortissants de retour dans leur pays d’origine après un séjour dans un autre Etat de l’Union européenne :

Dans ces circonstances, les membres de la famille d’un citoyen de l’Union de retour dans son État d’origine peuvent se voir accorder un droit de séjour dérivé dans l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité, sur la base des règles relatives à la libre circulation des personnes. Toutefois, comme l’a développé la jurisprudence, cette possibilité est subordonnée au respect de plusieurs conditions, détaillées par la Commission.

Jurisprudence Ruiz Zambrano :

La directive 2004/38/CE s’applique aux citoyens de l’Union qui se rendent ou séjournent dans un État membre autre que celui dont ils ont la nationalité, ainsi qu’aux membres de leur famille qui les accompagnent ou les rejoignent dans cet État membre. Les citoyens de l’Union qui n’ont jamais exercé leur droit à la libre circulation et qui ont toujours séjourné dans un État membre dont ils sont ressortissants ne sont pas couverts par la directive 2004/38/CE. Ils sont considérés comme des citoyens « statiques » de l’Union. Les membres de leur famille ne sont pas non plus couverts, étant donné que les droits qui leur sont conférés ne sont pas des droits autonomes, mais des droits dérivés, acquis par leur qualité de membres de la famille d’un citoyen de l’Union mobile. Toutefois, lorsque les conditions de la directive 2004/38/CE ne sont pas remplies, la CJUE a reconnu que ces ressortissants de pays tiers pouvaient acquérir un droit de séjour dérivé du citoyen « statique » de l’Union sur la base de l’article 20 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), établissant une citoyenneté de l’Union, statut fondamental des ressortissants des États membres. Ainsi, la Cour a reconnu ce droit pour la première fois dans l’affaire Ruiz Zambrano3 à l’égard d’un parent d’enfants mineurs ressortissants d'un pays tiers. Dans ses nouvelles orientations, la Commission, de manière particulièrement exhaustive, précise à quelles conditions les ressortissants de pays tiers peuvent acquérir un droit de séjour dérivé du citoyen « statique » de l’Union (lorsque le refus d’accorder un tel droit priverait ces citoyens de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par la citoyenneté de l’Union, l’existence d’une relation de dépendance entre le citoyen) ainsi que la possibilité pour les Etats membres de limiter un droit de séjour dérivé fondé sur l’article 20 du TFUE.

Ces orientations plus que bienvenues, qui tiennent compte de l’évolution jurisprudentielle du droit de libre circulation, seront une aide précieuse pour les citoyens et les praticiens et permettront, nous l’espérons, de faire en sorte que les citoyens européens et les membres de leur famille puissent pleinement bénéficier de leurs droits découlant de la législation de l’Union européenne.

Isabelle Kletzlen,
Avocate au barreau de Bruxelles

Stéphanie Pelet-Serra, 
Avocate au barreau de Bruxelles au moment de la rédaction de l'article

-------------

1 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil concernant les lignes directrices destinées à améliorer la transposition et l’application de la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres [COM(2009) 313 final du 2.7.2009].

2 Communication de la Commission « Orientations sur le droit à la libre circulation des citoyens de l’Union et des membres de leur famille » [Com(2023) 8500 final du 06.12.2023).

3 Affaire C-34/09, Ruiz Zambrano.

A propos de l'auteur

La
Tribune
latribune

a également publié

Informations pratiques

Jurisprudence professionnelle : textes et arrêts de la CEDH

Vous trouverez sur le site internet de la Délégation des Barreaux de France les résumés en français des principaux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui concernent la profession d’avocat.

Rentrées des jeunes barreaux

Agenda des formations

Prenez connaissance des formations, journées d'études, séminaires et conférences organisées par les Ordres des avocats et/ou les Jeunes Barreaux en cliquant ici.

Si vous souhaitez organiser une formation et que vous souhaitez l'octroi de points pour celle-ci, veuillez consulter les modalités qui s'appliquent aux demandes d'agrément dans le document suivant et complétez le formulaire de demande.